CARTES

Enfant, je passais des heures à tracer des cartes de pays imaginaires, d'une folle complication. Tel Etat par exemple était divisé entre catholiques et protestants. Mais les régions protestantes n'étaient pas d'un seul tenant, et surtout, elles recelaient toujours en leur sein des provinces catholiques, lesquelles comptaient plusieurs enclaves protestantes, qui à leur tour, etc. (un raffinement particulièrement jouissif était que le fief le plus enclavé fût le fief familial du souverain (d'où il arrivait qu'il tentât de gouverner)).

Dans le même pays se parlaient au moins deux ou trois langues, mais les frontières linguistiques, bien que tout à fait aussi retorses, sinon davantage, que les frontières religieuses, ne coïncidaient en rien avec elles. A tout cela se greffaient des problèmes dynastiques inextricables.

Cette situation aboutissant régulièrement à de furieuses guerres civiles, tout en renversements d'alliance (selon qu'un facteur de regroupement en remplaçait un autre), mes cartes devaient encore faire état de fronts multiples, éternellement changeants. L'homme providentiel survenait au moment où sur la feuille de papier ne pouvait plus être introduit le moindre pointillé.

Buena Vista Park, (1980), p 61