Car il y a un autre problème : quand la fleur s'épanouit, en général le tournesol ploie. La tige est trop fragile pour la fleur, vous comprenez? Alors, comme s'il ne pouvait supporter la beauté qu'il a lui-même engendrée, il s'incline vers le sol, épuisé par sa splendide création. Je connais peu de choses, en effet, plus splendide, c'est l'adjectif approprié, qu'un tournesol en fleur.

J'en ai relevé certains avec des tuteurs, mais l'un d'eux avait tellement ployé que je ne m'y suis pas intéressé, ça semblait ne pas valoir la peine. Je me suis contenté de l'appuyer à une sanseveria, et à la grâce de Dieu ! Or le lendemain, voilà qu'il était à nouveau debout, très de guingois mais dispensé de s'appuyer à la sanseveria. C'est ainsi qu'il s'est développé, précaire, moche, bien fragile. Et alors qu'il semblait remis, crac ! une terrible averse l'a couché par terre. Le lendemain matin, il était tout crotté, mais vivace. Alors m'est venue une idée : je l'ai coupé avec soin et je l'ai mis aux pieds du Bouddha chinois sans mains que j'ai hérité de Vicente Pereira. Il allait si mal que la tige pendait en suivant l'angle des fractures, et que la fleur restait ainsi, tête basse et tournant le dos à Bouddha. Pas moyen de le redresser.
Le lendemain matin, je le jure, il avait fait un tour complet sur son axe et sa corolle était complètement ouverte, lumineuse, exactement tournée vers le sourire de Bouddha. Ils semblaient se sourire l'un à l'autre. L'un avec sa tige tordue, l'autre avec ses mains brisées. […]

S'il vous plaît, n'envoyez pas de fleurs. Car, je le disais, depuis que je me suis mis à m'occuper du jardin, j'ai appris bien des choses, et l'une d'elles est qu'on ne doit pas décréter la mort d'un tournesol avant l'heure, comprenez-vous? Certaines gens ne comprennent jamais. Mais ce n'est pas pour eux que j'écris.

Caio, Fernando Abreu, Petites épiphanies, (Zero Hora, 18 mars 1995)