J'ai dit : «Tu ne me crois pas, Thomas ; ils ont tellement meurtri ton âme qu'elle est sortie de toi ; comment pourrais-tu donc penser à la joie ? Mais la joie existe, Thomas, c'est seulement maintenant que j'essaie d'en médire en disant qu'elle n'existe pas et qu'elle n'a jamais existé. Mais souviens-toi, Thomas, peut-être que toi aussi tu t'es roulé dans la mousse, peut-être que toi aussi tu as eu un pelage de velours et que tu n'as pas toujours été obligé de chercher des déchets sur des champs de ruines. »
Je me suis retourné brusquement, Thomas a sursauté, mais il ne s'est pas enfui.
« Tu vois, Thomas, je ne te harcèle pas, tu commences un peu à me croire. Mais seulement à moitié, comment est-ce que je dois m'y prendre pour t'expliquer ce que c'est que la joie. Une petite assiette de lait pour toi, Thomas, où la crème surnage, un petit pain tartiné de beurre, du foie cru, se coucher au soleil et se dorer en paix. C'est tout cela, la joie, tu dois me croire.»

Jiri Weil, Vivre avec une étoile, p 70


NB : Thomas est un chat, le narrateur un Juif tchèque en 1942