Ecrire à la machine : rien ne se trace : cela n'existe pas, puis tout d'un coup se trouve tracé : aucune production : pas d'approximation; il n'y a pas naissance de la lettre, mais expulsion d'un petit bout de code. Les fautes de frappe sont donc bien particulières : ce sont des fautes d'essence : me trompant de touche, j'atteins le système au cœur; la faute de frappe n'est jamais un flou, un indéchiffrable, mais une faute lisible, un sens. Cependant mon corps tout entier passe dans ces fautes de code : ce matin, m'étant lever par erreur trop tôt, je n'arrête pas de me tromper, de falsifier ma copie, et j'écris un autre texte (cette drogue, la fatigue) ; et en temps ordinaire, je fais toujours les mêmes fautes : désorganisant, par exemple, la structure par une métathèse obstinée, ou substituant «z» (la lettre mauvaise) au «s» du pluriel (dans l'écriture à la main, je ne fais jamais qu'une faute, fréquente : j'écris «n» pour «m», je m'ampute d'un jambage, je veux des lettres à deux jambes, non à trois). Ces fautes mécaniques, en ce qu'elles ne sont pas des dérapages, mais des substitutions, renvoient donc à un tout autre trouble que les particularismes manuscrits : à travers la machine, l'inconscient écrit bien plus sûrement que l'écriture naturelle, et l'on peut imaginer une graphanalyse, autrement pertinente que la fade graphologie; il est vrai qu'une bonne dactylo ne se trompe pas : elle n'a pas d'inconscient!

Roland Barthes par Roland Barthes, p 92