Véhesse

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lundi 22 septembre 2003

Il va peut-être se fâcher, Mais passons-nous de lui

XXXVIII


J'aime un petit enfant, et je suis un vieux fou.

— Grand-père? — Quoi? — Je veux m'en aller. — Aller où?
— Où je voudrai. — Partons. — Je veux rester, grand-père.
— Restons. — Grand-père? — Quoi? — Pleuvra-t-il? — Non, j'espère.
— Je veux qu'il pleuve, moi. — Pourquoi? — Pour faire un peu
Pousser mon haricot dans mon jardin. — C'est Dieu
Qui fait la pluie. — Eh bien, je veux que Dieu la fasse.
— Mais s'il ne voulait pas? — Moi, je veux. Si je casse
Mon joujou, le bon Dieu ne peut pas m'en empêcher.
Ainsi... — C'est juste. Il va peut-être se fâcher,
Mais passons-nous de lui. — Pour qu'il pleuve? — Sans doute.
Viens, prenons l'arrosoir du jardinier Jacquot,
Et nous ferons pleuvoir. — Où? — Sur ton haricot.

Toute la lyre, Victor Hugo

Bataille de polochons

(Et à ceux qui se demanderaient pourquoi cette brutale irruption de Jalna, disons que c'est un petit plaisir que je me fais, dans la lecture désordonnée et parcellaire des sources avouées de Passage.)

La chambre de Nicolas était un champ de bataille. D'un bout à l'autre du passage, les combattants surgissaient. Les jeunes gens oubliaient leurs amours, leurs craintes, leurs jalousies, les deux vieillards leurs années, dans l'ivresse physique de ce combat à demi nus.
«Enfants, enfants! cria Meg en écartant son rideau de chenille.
— Tiens-toi tranquille, ma vieille!» Et un oreiller, à la volée, la repoussa dans sa chambre.
Pheasant apparut à sa porte, ses cheveux courts tout ébouriffés. «Est-ce que je peux jouer aussi? cria-t-elle en gambadant.
— Rentrez dans votre trou, petit hérisson», dit Renny et il lui donna une chiquenaude amicale en passant.
Il courait après Nicolas dont la goutte tout à coup s'était réveillée et qui pouvait à peine se traîner. Piers et Finch le poursuivaient. Ils l'acculèrent et Nicolas, tout épuisé qu'il fût, renversa les rôles et aida à le bourrer de coups.
Eden, debout en haut de l'escalier, repoussait en riant le petit Wake qui brandissait comme un homme un long traversin d'autrefois.
Ernest en un dernier accès de gaieté sortit furtivement de sa chambre et jeta au groupe un solide coussin de divan.

Mazo de la Roche, Jalna

mardi 16 septembre 2003

La bonté

En ce moment de dénuement absolu, le destin envoya à notre secours une de ces personnes qui, de toute évidence, sont nées pour soulager la peine des autres : la préposée de la baraque, Maria Sergueevna Dogadkina, une femme d'une cinquantaine d'années, simple, vive, au teint mat. Elle n'était pas de celles qui distribuent de bonnes paroles.
Elle ne cessait, au contraire, de nous rabrouer.
— Vous appelez ça fermer une porte? maugréait-elle, disparaissant dans l'épais nuage de vapeur glaciale qui s'engouffrait au seuil de la baraque.
Grâce à quoi, la porte tordue et recouverte de glace était fermée comme il fallait, retenant la chaleur.
«C'est comme ça qu'on met à sécher ses affaires? Ne vois-tu pas que ça fait une boule? Ta mère t'a bien mal éduquée, reprochait-elle.
D'un geste expert, elle dépliait la loque, la pendait près du poêle, sur le fil où il semblait qu'il n'y eût plus de place pour rien.
«Pourquoi manges-tu de si grosses bouchées de pain, comme une mouette? Tu ne pourras jamais satisfaire ta faim! Non, mais regardez un peu cette façon de se jeter sur la nourriture! Donne-moi ce pain, je vais te le griller!
Et Maria Sergueevna enfilait rapidement le morceau sur une tige de fer qu'elle avait transformée en broche, le grillait un moment sur le poêle et le rendait à sa propriétaire, enveloppé d'un arôme de pain chaud.
«Ainsi il sera plus nourrissant...
Elle se glissait partout dans la baraque comme une anguille, faisant profiter chacune d'entre nous de son expérience, de son aide, de ses mots maternels, exigeants, bienveillants.

Evguénia S.Guinzbourg, Le vertige, Points Seuil, p 375

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