C'est partout cette absence au monde, ce regard venant de loin et se dirigeant ailleurs, qui scellent l'écriture camusienne. Là où Robbe-Grillet lance ses fantasmes dans le réel et projette une écriture fantastique à l'assaut de la platitude du monde, Renaud traverse bruits et fureur en quête de silence. L'un est un auteur au fond baroque, l'autre serait un classique contemporain; le projet de Camus est moderniste, Robbe-Grillet a évolué vers le postmoderne. La portée autobiographique de leurs œuvres respectives témoigne de cette divergence : dans Les Romanesques (et dans certaines pages de La Reprise) la vie de l'auteur se façonne rétrospectivement selon les lignes de la création artistique: Alain est un prédestiné; dans le Journal (et dans maintes autres pages) la vie de Renaud Camus paraît se jouer au fil de la plume : l'écrivain est un ange perdu à la recherche de la lumière. C'est aussi pourquoi les textes de Camus, s'ils sont souvent moins achevés, toujours dans un état provisoire, connaissent tout au long de mornes plaines mélancoliques des échappées sublimes vers les hauteurs. J'en prends comme exemple dans le Journal de 1997, Derniers jours, le compte-rendu lyrique des manifestations artistiques de l'été à Plieux et à Lectoure. […] «Celan et Boltanski, sous l'instance de Jérémie, peuvent parfaitement être rapprochés —par dessus beaucoup de campagne et de nuit, tout de même— parce qu'on ne fait alors que rapprocher deux silences, deux refus d'expression, deux défaillances de la parole» (p.273). L'envol de la prose de Renaud Camus dans les pages qui relatent cette expérience (qui constituent indubitablement le sommet de ce volume du journal) marquent assez qu'il appartient à cette même famille d'artistes.

Sjef Houppermans, Renaud Camus érographe, p.121