Véhesse

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vendredi 25 juin 2004

Soyons plus techniques.

Le Nouveau Roman de Ricardou a été réédité en poche, collection Points Seuil. Il commence par une préface datée de 1989.

Extrait de la page 11:

Toutefois, il faut en convenir, l'argumentaire qui précède a fait l'impasse sur un cas: la possible éclosion, ces dernières années, sur les versants de la théorie, d'une méthode plus exacte. Or il paraît bien, avec la récente discipline intitulée textique, que s'offre désormais une batterie d'instruments moins sommaires. (2) Du coup, sous cet angle neuf, le Nouveau Roman pourrait être mieux éclairé dans sa perspective (il prendrait place au cœur d'une intelligibilité plus ample, celle de la métareprésentation). Mais il pourrait également se voir saisi avec une rigueur accrue en ses procédés (nombre de ces agencements deviendraient l'objet d'analyses plus cohérentes: ainsi, ce qui, au chapitre quatre, sera nommé transits analogiques relèverait, à en croire les texticiens (3), de la catégorie des parachorodicranotextures isologiques).



(2): Prévenu qu'il s'agit de pages plus techniques, le lecteur intéressé pourra ouvrir «Éléments de textique» I, II, III, IV et sq., in Conséquences, n°10, 11, 12, 13 et sq. (93, rue de Valmy, 75010 Paris), 1987, 1988, 1989 et sq.
(3) «Éléments de textique (III)», Art. cit., P.5-7.»

Et je frémis à l'idée des lectures nécessaires pour pouvoir rire à ces mots en toute connaissance de cause.


mardi 22 juin 2004

Le cycle de nos inventions

Paris, mardi 9 mai 1972

Cette unité du Temps immobile, dont j'avais tendance à m'émerveiller, est pauvreté, non richesse. Je le pressentais depuis longtemps, et en ai eu, hier soir, la confirmation en lisant La Dernière Heure de Jean Guitton. Cela a toujours été un sujet de réflexion pour lui (comme pour moi), écrit-il, que cette identité du moi avec lui-même.

Le nombre de chromosomes est limité, je veux dire que ce que nous pouvons dire de neuf, de personnel, est plus réduit que nous le croyons. Le cercle ou le cycle de nos inventions est étroit. Les conversations que j'ai écoutées pendant quatre ans roulaient autour des mêmes thèmes, chacun y faisait sa petite pirouette, racontait ses mêmes anecdotes toujours pareilles (Œuvres complètes, III, p.503).

Anecdote, «chose inédite», (étymologie grecque): indéfiniment à redire. Le Journal que j'écris depuis trente ans roule autour des mêmes thèmes. C'est pourquoi le montage du Temps immobile est si facile.
Quant à ma relative inintelligence, elles s'accompagne d'un manque de méthode, qui lui est sans doute lié. Depuis le temps, j'aurais dû apprendre à penser, au sens donné par Sartre à cette expression, dans ce passage de Situations III, où, à propos d'un «triste exemple d'analphabétisation politique», il écrit:

Mais parler de Nietzsche et de Carlyle à propos de Cohn-Bendit, c'est prouver non seulement qu'on n'est pas cultivé mais qu'on n'a jamais appris à penser. (p.179)

D'où mon admiration (et mes inhibitions) lorsque j'écoute parler Michel Foucault ou Gilles Deleuze, à plus forte raison, Gilles Deleuze et Michel Foucault.


Paris, vendredi 26 mai 1972

Ecrivant ma dernière préface (non signée) pour Maurice Dumoncel (Taillandier), je calcule qu'elle est, à quelques unités près, la soixante-dixième. Ainsi vais-je, après tant d'années, retrouver une certaine liberté (mais qui va me coûter cher et nous devrions être plus inquiets que nous le sommes quant à notre budget...) Écrivant donc cet ultime avant-propos, sur Une Vie, je trouve, dans la Vie de Maupassant dédicacée à mon père par Paul Morand en 1942, cet extrait d'une lettre de Jacques-Émile Blanche au sujet de sa première rencontre avec Guy de Maupassant, chez la comtesse de Potocka:

Quand je fis la connaissance de Maupassant, m'écrivait-il cet hiver de sa propriété d'Offranville, il avait le type sous-off, portait le col rabattu à l' amant d'Amanda. En été, très canotier d'Argenteuil. Il ressemblait comme un frère au baron Barbier, l'homme debout tête penchée sur la table du Déjeuner de Renoir... Il parlait peu, sans ce qu'on appelle esprit, physionomie grave, inquiète, semblait-il, un convive "terne" selon Mme Aubernon, chez qui je ne l'ai jamais rencontré (une exception à cette époque). Ses amours, ses débats avec l'aimée (Marie Kann) et les autres, le rendaient presque muet, comme en état d'hypnose. Chez Madeleine Lemaire, j'ai souvenir d'une soirée de têtes ou costumes de papier. J'étais en Lohengrin, cygne sous le bras, casque, et Maupassant, comme un chien errant, parmis les déguisés...

...Ainsi Jacques-Émile Blanche, dont je me souviens, se souvenait de Guy de Maupassant qui lui-même...

Claude Mauriac, Le Temps immobile, p.272

mercredi 16 juin 2004

citations

199. « Depuis que j'ai arrêté les poppers, dit mon ami Flatters, j'oublie tout... » Mais est-ce bien Flatters, qui dit cela ? Ou bien moi ? Je ne sais plus...
Renaud Camus, Vaisseaux brûlés

— Mais non, mais non, moi qui vous parle, je prends de la coke sept fois par jour, tous les jours, depuis neuf ans, et je n'ai toujours pas d'accoutumance...*
Renaud Camus, Travers, p.73

                               ***********

Autre

Ainsi par Red**** et Fred on atteint Freud [...]
Renaud Camus, Été, p.28

Ce qui m'évoque irrésistiblement cette sobre contreprétrie "Salut Fred!".

                               ***********

Autre

LES RUSSES ONT DU FER A NE PAS SAVOIR QU'EN FOUTRE, LES FRANÇAIS C'EST LE CONTRAIRE.
Renaud Camus, Travers, p.53

(C'est étonnant comment n'importe quoi acquiert une légitimité dès qu'il s'agit d'une citation. (N'empêche, ça m'a fait rire. Dans le contexte, la phrase aurait facilement pu passer inaperçue.))


(la phrase sur la coke est à retrouver dans Journal de Travers.)

samedi 5 juin 2004

L'instinct de guerre

«Maintenant tu es mort», on disait. Maintenant tu es mort. On jouait toujours à la guerre. On jouait à plusieurs, à deux, ou tout seul, chacun dans son rêve. C'était toujours la guerre, toujours la mort.
«Ne jouez pas à ça, disaient les parents, sinon vous allez devenir comme ça.» Vous parlez d'une menace! On rêvait justement de devenir comme ça. Et pas besoin de jouets guerriers. N'importe quel bâton faisait office d'arme, et les pommes de pin, de bombes. Aussi loin que je remonte dans mon enfance, je ne me rappelle pas avoir fait pipi une seule fois, par terre ou dans les cabinets du jardin, sans objectif à bombarder. À cinq ans, j'étais un bombardier chevronné.
«Si tout le monde joue à ça, disait ma mère, il y aura la guerre.» En effet, il y a eu la guerre.

Sven Lindqvist, Maintenant tu es mort. Le siècle des bombes, p.13


Ce n'est pas nécessairement pour atteindre certains buts que les gens se lancent dans une guerre, écrit van Creveld. Souvent, c'est même le contraire: les gens se trouvent des buts pour avoir l'occasion de faire la guerre. L'utilité de la guerre est douteuse, mais «sa capacité à divertir, inspirer et fasciner n'a jamais été mise en doute [438].»
La guerre divertit surtout les hommes. Elle est pour eux une tentation, une jouissance et la confirmation de leur virilité. «On soupçonne que, s'ils devaient choisir, les hommes renonceraient aux femmes, plutôt qu'à la guerre», écrit van Creveld [439].
Si l'envie de tuer est, pour beaucoup d'hommes, encore plus puissante que l'instinct sexuel, les guerres futures sont sans doute inévitables. Pourtant, même pour ces hommes-là, cela ne devrait-il pas poser un problème, que leur jouissance exige autant de cadavres d'enfants? Que cette guerre qui conforte leur virilité estropie et tue des enfants par milliers?
Non, van Creveld ne voit pas le problème. À l'évidence approbateur, il écrit dans l'épilogue de son livre: «Pour l'homme, rester à la maison avec sa femme et sa famille n'est pas le chemin essentiel vers la joie, la liberté, le bonheur et même le délire et l'extase. À tel point que, bien souvent, il n'est que trop heureux d'abandonner ceux qui lui sont le plus chers pour faire la guerre [440]!»

Ibid, p.351

[438] Martin van Creveld, On future war - épilogue
[439] op.cité - chap 7
[440] op.cité - épilogue

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