Influences

Si je lis Flaubert ou des commentaires sur Flaubert, je lis Travers à travers Flaubert, je vois des correspondances, des allusions, partout. Si je lis Barthes, je lis Travers à travers Barthes, si je lis Nabokov, je lis Travers à travers Nabokov (les jumeaux, les miroirs, «Satire is a lesson, parody is a game», «a modicum of average "reality" (one of the few words wich mean nothing without quotes)», «We did not expect that, amid the whirling masks, one mask would turn out to be real face, or at least the place where that face ought to be», etc).

644.« On se demande ce qu'ils ont lu...
Renaud Camus, ''Vaisseaux brûlés

On se demande ce qu'on lit et ce qu'on invente.

Alfred Appel, le commentateur de The annotated Lolita me fait rire, il exagère un peu tout de même : note 48/2 (édition 1991) «toothbrush mustache: Quilty has one too; see p.218. Poe also had one, but Nabokov said that no allusion was intented here.»
Et j'imagine Nabokov souriant ou soupirant devant ce commentateur zélé trouvant des correspondances et des coïncidences sans relâche. (J'aime la note 4/9: «although Nabokov did not know it until this note came into being, Quilty is a town in Country Clare, Ireland, appropriate to a verbally playful novel in which there are several apt references to James Joyce. See 4/11.») Parfois Appel se moque de lui-même: note 51/2 «The name of "Harold D.Doublename" represents a summary phrase (p.182), but the annotator's double initials are only a happy coincidence.»

Finalement, je postulerais que de l'auteur, du narrateur ou du lecteur (tout lecteur attentif est un commentateur potentiel), l'un des trois au moins doit être fou. «Several of Nabokov's narrators are mad. Among other things, their madness functions as a parody of critical dogma about fiction, and a telling parody of the reader's own delusory "contact with reality".» (note 34/3) C'est la condition qui permet de fondre fiction et réalité, la condition qui permet d'admettre qu'entre fiction et réalité, il n'y a qu'un regard. La fiction n'est pas réalité, comme le croit un lecteur naïf, mais il est fort possible que la réalité soit fiction : «If it is disturbing to discover that the characters in The Gift are also the readers of Chapter Four, this is because it suggests, as Jorge Luis Borges says of the play within Hamlet, "that if the characters of a fictional work can be readers or spectators, we, its readers or spectators, can be fictious".» (introduction à The annotated Lolita). Dès lors «ils parlent du roman qu'ils viennent de lire tout à fait comme si les personnages appartenaient à la» (L'Inauguration p.229) redevient légitime. Il y a bien enchantement et "fairy tale".

«Cet enfant vit dans les livres» pourrait être lu dans son sens premier. (Mais ce que je pense, c'est : doit être lu dans son sens premier.)

Lieu de plaisir

Lorsque j'ai lu la préface à Cartes postales, la librairie Brentano est brusquement devenue un lieu de souvenirs qui m'incite à l'indulgence (je ne pensais pas qu'elle était si ancienne). Je vous copie ces quelques lignes, afin de peut-être changer votre regard, même si cela ne changera rien au côté touristique du lieu:

Il y avait Maroussia, dont j'ai oublié le nom de famille. Je l'ai emmenée un jour à la librairie Brentano pour lui montrer les portraits de Walt Whitman. En sortant, le vendeur, qui était mon ami, me fit un sourire en hauteur et me lança un clin d'yeux qui me laissa tout déconcerté, et dont je n'ai pas encore compris le sens exact. J'aimais beaucoup la librairie Brentano; même, de mes dix-huit ans à mes vingt-et-un an, elle a été mon principal lieu de plaisir. J'aimais à me sentir dépaysé, à la façon de des Esseintes dans les bars et les brasseries anglaises de la rue d'Amsterdam. Du reste, nous éprouvions tous le besoin de nous dépayser; nous affections de ne considérer Paris que comme une de nos capitales, et secrètement nous nous apppliquions la phrase de Nietzsche: «Nous autres Européens». Ce n'était pas pour rien que notre revue allait s'appeler: «L'Œuvre d'Art International»! Oh, les belles Américaines que je frôlais parfois —Excuse me— entre les corps de bibliothèque de chez Brentano! Je rêvais, non seulement de me faire aimer d'elles, mais aussi de leur faire connaître la littérature française contemporaine, de leur traduire, en quel anglais et avec quel accent effroyable, tu vois ça d'ici, les «Moralités légendaires», ou même «Maldoror». Mais elles étaient peu préparées pour cela, je crois; peut-être même qu'elles ne connaissaient pas Whitman! C'était probable en effet, car en fait de poètes américains, c'était surtout Ella Wheeler Wilcox qu'elles achetaient. J'étais un des rares clients français de Brentano, je veux dire des clients assidus, qui venaient trois ou quatre fois par semaine. Après avoir eu à mon égard une attitude très réservée, on finit par m'admettre, et par me laisser fouiller partout, même au sous-sol. A vrai dire, presque tout l'argent dont je disposais passait là!

Valery Larbaud, conversation avec Léon-Paul Fargue, en préalable à Cartes postales (Gallimard poésie), p.48

Quand les magistrats exercent leur discernement

Si, à l'arrivée de trois génisses dans un pré, le taureau appartenant à un éleveur qui se trouvait dans la pâture voisine les suivit le long de la clôture, il est hasardeux d'en conclure que l'une d'elles était en chaleur. Il n'y eut pas sans doute simple accompagnement galant mais expression d'une attirance sexuelle n'impliquant pas nécessairement un état de chaleur et il est difficile de retenir une manoeuvre spéculative de la part du propriétaire de la génisse en raison des risques sérieux pour ses propres animaux, sans commune mesure avec une prestation de service gratuite par un reproducteur de qualité.

La Cour (malgré le mot d'Aristote : «l'homme est un animal raisonnable») est peu éclairée, singulièrement par les parties, sur la psycho-sexualité des bovins, notamment sur les éventuels émois et frémissements avant passage à l'acte, sur les manifestations extérieures d'un état de chaleur générateur d'un élan irrésistible. Une faute à la charge du propriétaire des génisses au sens de l'art. 1382 C. civ., implique que l'acte procréateur et fatal du géniteur qui s'est gravement blessé au membre postérieur droit en s'emmêlant dans la clôture, ait eu pour cause directe l'état de chaleur provocateur de la génisse plutôt que la fougue du taureau aux pulsions exacerbées par la simple vue de trois représentantes de la gent femelle, même sans état incitateur particulier. Le fait que le vétérinaire appelé sur les lieux ait vu dans la pâture la génisse «cavaler» le taureau, alors en fâcheuse posture dans les fils de fer barbelés et donnant une peu glorieuse image du sexe dit fort, ne permet pas de conclure à un état de chaleur préalable à l'assaut initial et aux blessures, alors qu'on ignore le moment exact de cet assaut et même s'il eut lieu le jour ou dans la pénombre complice et romantique de la nuit.

La preuve d'une faute n'est donc pas suffisamment établie à l'encontre du propriétaire de la génisse.
Il y a lieu de réformer la décision entreprise et de débouter le propriétaire du taureau de sa demande de dommages-intérêts. La génise ayant bénéficié d'une saillie fécondante gratuite, il y a là une compensation de fait aux dépenses prévues à l'art. 700 nouv. C. pr. civ.

C. app., Dijon (2e Ch. 2e sect.), 31 mai 1985 31/05/85 Dijon (2e Ch. 2e sect.), 31 mai 1985 31/05/85 RGP 3093

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