Comme elle ne pouvait emmener son chien Dick, affreux bâtard de caniche et de barbet, Dundas en accepta gravement la garde. Il aimait les chiens avec une ardeur sentimentale qu'il refusait aux hommes. Leurs idées l'intéressaient, leur philosophie était la sienne, et il leur parlait pendant des heures entières dans un langage semblables à celui des nourrices.
Le général et le colonel Parker ne s'étonnèrent pas quand il présenta Dick au mess : ils l'avaient blâmé de s'attacher à une maîtresse, mais l'approuvaient d'adopter un chien.
Dick, voyou des rues abbevilloises, fut donc admis à la table polie du général : populaire et rude, il aboya quand le soldat Brommit parut avec un plat de viande.
Behave your self, sir, lui dit Dundas choqué : tenez-vous bien, monsieur, un chien bien élevé ne fait jamais, jamais cela... Jamais un chien n'aboie dans une maison, jamais, jamais...
Le fils de Germaine, froissé, disparut pendant trois jours. Les ordonnances le virent dans les campagnes avec des chiennes inconnues. Il revint enfin, l'oreille déchirée, l'œil en sang, débraillé, joyeux, cynique, et demanda la porte en aboyant joyeusement.
— Vous êtes un très mauvais chien, sir, lui dit Dundas, tout en le pansant avec adresse, un très méchant, très méchant petit chien.
Puis, se tournant, vers le général :
— Je crains bien, sir, dit-il, que ce fellow Dick ne soit pas tout à fait un gentleman.
— C'est un chien français, dit le général Bramble avec indulgence et tristesse.

André Maurois, Les Discours du docteur O'Grady, chap.III