Véhesse

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vendredi 3 juin 2005

Le parti de l'intelligence

Les Antimodernes cite Henri Massis (p.232) :

[...] la victoire de Pascal est une victoire dangereuse [...], c'est la victoire de l'irrationnel; c'est, en outre, la victoire du pessimisme, d'une conception pathétique et romantique du monde, [...] du divin, de l'inquiétude, de l'intuition, de la violence, que sais-je encore! [...] J'ajouterai [...] c'est la victoire du modernisme. Il ne suffit pas, en effet, de se déclarer violemment antimoderniste pour ne pas l'être, si l'on installe le modernisme dans la place. C'est bien de chasser Descartes : mais y mettre Bergson sous le nom de Pascal, c'est un autre danger.

Antoine Compagnon continue : «Passage fort éclairant, qui expose la genèse du manifeste du «Parti de l'intelligence» publié dans Le Figaro au lendemain de la guerre, en 1919, et signé, entre autres, par Maurras, Massis et Halévy.»

Et là, debout dans le métro, je souris. Le Parti de l'intelligence? Manifeste signé par Maurras? Est-ce que ce n'est pas à peu près le nom de la pétition des Inrockuptibles de février 2004? Ce serait trop beau...
Rentrée chez moi, je fais une recherche dans Google, et je trouve ça, qui me fait rire (avec un goût de vengeance qui se mange froide) :

Vous êtes contre l’OTAN et le tout-au-marché ; mais le libéral-kaki Daniel Cohn-Bendit vous séduit. Contre la fric-culture ; mais vous achetez les disques découverts dans des magazines culturels gavés de publicité. Vous pensez aux sans-papiers, aux immigrés, aux femmes battues, aux recalculés de l’Assedic, aux sans-logis, aux Tibétains… Comment survivent-ils ? Pour les aider, vous seriez prêt à tout. Même à expédier un courrier électronique. Bingo ! Vous appartenez au cœur de cible des Inrockuptibles, l’hebdomadaire des gens qui souffrent intelligemment au nom des autres.

Suit un portrait pas gentil de Sylvain Bourmeau (avec quelques faits précis.)

Et en note de bas de page: «En choisissant le titre de leur pétition, Les Inrockuptibles, dont l’histoire n’est pas le fort, ignoraient l’existence d’un glorieux antécédent… Le 19 juillet 1919, Le Figaro publiait un manifeste «Pour un parti de l’intelligence» signé par Charles Maurras et ses amis de l’Action française. «Le parti de l’intelligence, expliquaient-ils, c’est celui que nous prétendons servir pour l’opposer à ce bolchevisme qui, dès l’abord, s’attaque à l’esprit et à la culture, afin de mieux détruire la société, la nation, la famille, l’individu.» Les pétitionnaires fulminaient contre la «Déclaration d’indépendance de l’esprit» signée par Romain Rolland, Jules Romains, Albert Einstein, Bertrand Russell, Stefan Zweig. Ces Sardons déploraient: «La plupart des intellectuels ont mis leur science, leur art, leur raison au service des gouvernements». Et ils affirmaient ne travailler que pour «le peuple qui souffre, qui lutte, qui tombe et se relève» (L’Humanité, 26.6.1919). »

Enhardie, je fais une recherche dans le site de www.homme-moderne.org sur les mots "Renaud Camus", et je trouve une chaude recommandation pour Vaisseaux brûlés.
Mon Dieu mon Dieu, RC est récupéré par les libertaires!

La méthode de Thibaudet

A sa mort en 1936, Albert Thibaudet s'était imposé comme l'un des observateurs le plus avisé de la vie littéraire et politique de la Troisième République. En ce temps-là on croyait encore que la condition humaine ne pouvait être comprise sans la littérature, qu'on vivait mieux avec la littérature, et la critique littéraire faisait figure de discipline souveraine, rendait légitime de parler de tout sans être spécialiste de rien.

Antoine Compagnon, Les Antimodernes, p.253

Je n'avais jamais entendu parler de Thibaudet avant de lire ce livre. Je crois que Thibaudet me plaît beaucoup:

Certes, concédait Thibaudet, pour « repérer les empreintes » et « restituer le mouvement » de la création, «il y faudrait des sens et une finesse de Peau-Rouge», ce nez qui manquait à Taine et que Bergson appelait intuition: «[…] supposer l'œuvre non encore faite, l'œuvre à faire, entrer dans le courant créateur qui est antérieure à elle, qui la dépose et qui la dépasse.» Pour cette critique « qui épouserait la genèse même de l'œuvre », l'intelligence ne suffisait pas, et la «sympathie de sentiment» devenait vitale. C'est pourquoi Thibaudet estimait, dans une maxime qui le définit tout entier, que « la muse véritable de la critique c'est l'amitié », à l'œuvre dans les meilleures pages de Sainte-Beuve et indispensable pour réaliser la «création continuée de l’artiste par la critique». Bergson reconnaissait son idéal: «l’auteur qu’on étudie ne sera plus comparé à d’autres, ou ne le sera qu’accessoirement ; on le comparera plutôt à lui-même, en adoptant pour un instant son mouvement, en définissant ainsi sa direction, ou mieux sa tendance.»
Thibaudet n’a jamais été plus fidèle à cette méthode que dans son Flaubert (et dans son Montaigne posthume), suivant le fil de la biographie, mais sans la moindre psychologie, combinant intelligence et instinct à la recherche de l’unicité d’un être dans les méandres de l’œuvre. Ramon Fernandez pensait qu’entre ses premiers ouvrages un peu denses, le livre sur Mallarmé, et surtout Trente ans de vie française qui a, suivant une image de leur auteur, la consistance d’ «une soupe d’Auvergnat où la cuillère tient toute seule», et les alertes essais plus tardifs, les Valéry, Amiel, Mistral et Stendhal, Thibaudet avait trouvé son équilibre dans le Flaubert, où il « "épouse" la vie, la durée de son auteur, le rythme et les nuances intérieures du génie de celui-ci.» Sa démarche, ni objective ni subjective, repose sur l’identification avec l’écrivain, parcouru comme un paysage ou un territoire: «Ce qu’il faut envisager, disait Thibaudet, ce n’est pas une ligne avec des hauts et des bas, c’est un ensemble, un pays moral et littéraire dans sa durée et sa complexité.» Voir une vie et une œuvre comme un pays, c’est casser la linéarité de l’histoire par la multiplicité de l’instant.»

Ibid., p.269

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