La critique littéraire existe-t-elle ? Est-elle possible ? Aucun système de critique littéraire n'a jamais été retenu par la postérité. Mieux, tout système de critique littéraire apparaît nécessairement comme la tête de turc obligée de la génération qui le suit, et sans espoir de repêchage ultérieur. Les Faguet d'aujourd'hui se moquent des Faguet d'hier, confortablement installés dans la charrette même qui est en train de les conduire, comme leurs prédécesseurs, à la guillotine. Les grandes œuvres, à l'instar de ces reines qui font régulièrement exécuter à l'aube leurs amants d'un soir, étendent avec ponctualité raides morts sur le terrain leur ration périodique de cadavres critiques.

Jean-François Revel, Sur Proust

La critique (littéraire) n'a sans doute nulle autre raison d'être que de gloser à l'infini sur le texte aimé; ce serait finalement une sorte de lettre d'amour. Si cette hypothèse est juste, il est sans doute normal que chaque lettre (chaque système critique) ne survive pas à celui qui l'a écrite, chacun préférant écrire sa propre lettre d'amour que reprendre celle du voisin.

D'autre part, ou plutôt de ce fait, la critique est, peu ou prou un acte d'appropriation, et chaque critique aimerait réussir à prouver que lui seul a compris l'œuvre, et que c'est ainsi qu'il faut la comprendre et l'aimer. Il y a dant tout cela beaucoup de jalousie, de besoin d'être reconnu et préféré. J'imaginerais plus volontiers des amants qui s'assassinent les uns les autres qu'une reine qui envoie à l'échafaud l'amant tombé en disgrâce.