Véhesse

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vendredi 30 décembre 2005

Élargir le champ de ses goûts musicaux (Onslow, Berwald, Pesson, Bontempo)

J’aimerais d’abord revenir sur quelque chose que j’ai dit la semaine dernière et qui m’a un peu tarabusté entretemps : à propos de Toulet dont j’ai dit qu’il était antisémite —je ne reviens pas là-dessus, c’est incontestable—, mais j’ai ajouté que c’était le cas de la plupart des écrivains français de son temps, c’est assez peu contestable également — je voudrais tout de même préciser qu’il y a quelques notables et brillantes exceptions.

Ce point réglé, nous allons passer à des domaines bien éloignés. J’aimerais parler de celui ou de celle qui essaie délibérément d’élargir le champ de ses goûts musicaux et de ses connaissances. Et celui-là ou celle-ci, il faut bien le reconnaître, n’est pas sans rencontrer quelques déconvenues en chemin, parce que très souvent on voudrait aimer tel ou tel, et peut-être qu’en musique il y a moins de grands compositeurs méconnus qu’il n’y a en peinture de grands peintres. J’ai toute une liste de grands peintres dont je trouve qu’ils sont extrêmement sous-estimés, mettons, je ne sais pas, Ravier, peintre de l’école lyonnaise, ou bien Cecco Bravo, peintre florentin du XVIIe siècle pour qui j’ai la plus grande admiration, ou bien, plus connu mais tout de même pas à sa juste place, Valentin de Boulogne, enfin peu importe, toujours est-il que, en musique, ils me semblent moins nombreux, en tout cas, dans l’époque classique et romantique, peut-être qu’aux temps baroques il y a tant de musiciens et si nombreux qu’on peut faire des rencontres passionnantes. On peut en faire également à l’époque romantique mais elles sont moins fréquentes.

Je pourrais dire que, personnellement, par exemple, j’avais toutes les raisons du monde d’aimer ou, plus exactement, de vouloir aimer George Onslow. Il se trouve qu’il est, « comme moi », si j’ose dire, auvergnat, il est même enterré à côté de mon arrière-grand-père, ce qui fait que lorsque j’étais enfant et qu’on allait sur la tombe de cet aïeul, je voyais constamment la tombe d’Onslow, qui m’intriguait ; surtout il a beaucoup vécu dans un château qui était jadis absolument extraordinaire qui s’appelle le château d’Aulteribe près de Courpière, qui était entouré de grands bois très profonds et très sombres ; il a été un peu débroussaillé aujourd’hui et d’ailleurs il est maintenant ouvert au public et je crois qu’on y voit des manuscrits et des souvenirs divers d’Onslow. J’avais vraiment toutes les raisons du monde d’aimer Onslow, en plus il y avais toutes sortes d’histoires bizarres, pourquoi s’était-il, avec ce nom anglais, cette origine anglaise, fixé en Auvergne, et c’était à la suite d’une histoire de mœurs, disent mystérieusement les biographies. Les histoires de mœurs, en général, c’est plutôt du genre sympathique, de son père d’ailleurs, pas de lui-même. Enfin vraiment j’étais très désireux d’aimer Onslow et je dois reconnaître, j’ai beau me battre les flancs, je n’arrive pas tout à fait à m’exciter très profondément sur les œuvres de George Onslow.

Cela dit, on fait tout de même quelquefois des découvertes, qui quelquefois n’intéressent pas les œuvres entières : par exemple je me souviens que les premières mesures de la sonate pour violon et piano d’Alexis de Castillon sont une des œuvres — un des passages les plus beaux que je connaisse en musique ; mais toute l’œuvre n’est pas tout à fait à la hauteur de ce début.

J’aimerais vous faire entendre néanmoins une œuvre relativement peu connue, et même on peut dire très peu connue, d’un compositeur exotique puisqu’il est suédois, Franz Berwald, qui a vécu de 1796 à 1868. Cette œuvre est le quintet n°1 en ut mineur et je trouve que c’est une œuvre très belle de bout en bout. C’est une œuvre extrêmement intelligente, ce qui n’est peut-être pas le plus grand compliment qu’on puisse faire en musique, c’est une œuvre qui est constamment allusive, qui a une aspiration très large et généreuse, mais qui ne se répète pas, qui passe constamment d’un thème à l’autre, qui n’insiste jamais, qui a un côté extrêmement pudique, élégant, et je trouve, oui, intelligent. Et c’est une œuvre aussi, encore une fois, de très riche et belle inspiration, qui d’ailleurs inspirait à Listz une très très grande admiration.

Enfin je vous en laisse juger, comme d’habitude. Voici donc le premier quintette en ut mineur de Franz Berwald par le quatuor Benthien.
Encore un mot cependant, il y a évidemment un inconvénient quant aux œuvres peu connues, c’est que les enregistrements ne sont pas toujours les meilleurs. Les plus grands musiciens ne jouent pas forcément les œuvres les moins connues. Là le quatuor Benthien n’est pas en cause, ils sont tout à fait excellents, mais l’enregistrement est un peu ancien et il n’est pas, je crois, en stéréophonie, ce qui fait que l’œuvre n’est pas exactement telle qu’on aimerait l’entendre, mais je pense que vous pourrez quand même en avoir une impression suffisante pour en juger.

[musique]

Nous venons d’entendre le premier quintette en ut mineur de Franz Berwald par le quatuor Benthien avec au piano Robert Riefling.

Je suis obligé de convenir qu’il ne s’agit guère d’une cavatine ; mais le rôle obligé de la cavatine dans cette série d’émissions va être tenu par une œuvre du jeune compositeur Gérard Pesson, Le Gel, par jeu dont l’auteur lui-même déclare qu’il s’agit d’une danse macabre — danse macabre moderne, pour flûte, clarinette, cor, marimba basse, violon et violoncelle. Le titre est emprunté à un vers d’Emily Dickinson, «The frost beheads it at its play».
Le Gel, par jeu est ici interprété par Dominique My et l’ensemble Fa qui sont les dédicataires de l’œuvre.

[musique]

Et ce Geister Sextuor, ce sextuor des Esprits, cette danse macabre pour flûte, clarinette, cor, marimba basse, violon et violoncelle, musique spectrale à sa manière puisqu’y défilent des fantômes, c’était Le Gel, par jeu de Gérard Pesson, interprété par l’ensemble Fa sous la direction de Dominique My.

Depuis plusieurs semaines j’ai une dette en votre endroit à propos du requiem de Bontempo que je n’ai pu vous faire entendre en entier ; or ce Requiem de Bontempo, Requiem à la mémoire de Camoëns, pour parler très vulgairement, a fait un malheur auprès des auditeurs de France-Musique, et j’en suis évidemment très heureux pour nos amis portugais d’une part, et également pour la mémoire de Joao Domingos Bontempo dont j’espère qu’elle s’en réjouit.

De toutes les lettre que nous a valu la diffusion de ce Requiem à la mémoire de Camoëns, la plus émouvante est certainement celle d’une dame qui s’inquiétait de savoir, une auditrice de Nantes, Madame Evelyne Guillou, qui s’inquiétait de savoir comment elle pouvait se procurer trois exemplaires de ce disque, ce qui nous a beaucoup intrigués. Renseignement pris, et renseignement donné, j’espère, nous avons appris qu’elle avait entendu cette œuvre par coïncidence alors qu’avec trois autres personnes en voiture elles revenaient de l’enterrement de quelqu’un qui leur était cher.
C’est un exemple sans doute extrêmement mélancolique, mais néanmoins favorable, malgré tout, musicalement en tout cas, de ce que j’appelle l’archi-auditeur: voilà une œuvre qui cette fois a certainement trouvé son auditeur ou son auditrice presque idéal, même si encore une fois, c’est dans de très mélancoliques circonstances.

Voici donc le dernier mouvement que nous n’avions pu diffuser il y a quelques semaines, le dernier mouvement Agnus Dei du Requiem en do mineur opus 23 à la mémoire de Camoëns de Joao Domingos Bontempo. Il est interprété par l’orchestre et le chœur de la radio de Berlin sous la direction de Heinz Rögner.

[musique]

vendredi 23 décembre 2005

Que voulez-vous à Noël?

«Voyons, que crois-tu que le Miroir du Riséd nous montre?»
Harry secoua la tête.
«Je vais t'expliquer. L'homme le plus heureux du monde pourrait utiliser le Miroir du Riséd comme un miroir normal, c'est-à-dire qu'il s'y verrait exactement comme il est. Est-ce que tu comprends?
Harry réfléchit. Puis il dit lentement: «Le miroir nous montre ce que nous désirons... quoi que ce soit que nous désirons...
— Oui et non, répondit Dumbledore doucement. Il ne nous montre rien d'autre que notre désir le plus profondément, le plus désespérément, enfoui en notre cœur. [...]

Harry se leva.
«— Monsieur... Professeur Dumbledore? Puis-je vous poser une question?
— Apparemment tu viens juste de le faire, sourit Dumbledore. Mais vas-y, tu peux en poser une autre.
— Que voyez-vous quand vous regardez dans le Miroir?
— Moi? Je me vois tenant une paire de grosses chaussettes de laine.
Harry le regarda avec des yeux ronds.
— Personne n'a jamais assez de chaussettes, expliqua Dumbledore. Encore un Noël qui vient de passer, et je n'ai reçu aucune chaussette. Les gens s'obstinent à m'offrir des livres.»

Ce n'est que de retour au lit qu'Harry s'avisa que le professeur Dumbledore n'avait peut-être pas été complètement sincère. Mais après tout, pensa-t-il en chassant Scabbers de son oreiller, il avait posé une question plutôt indiscrète.

J.K. Rowling, Harry Potter à l'école des sorciers




ajout le 25 juin 2009
Finalement je suis assez fière de mon intuition. Dès la première lecture ce passage m'avait paru important; le septième tome m'a donné raison.

mercredi 7 décembre 2005

Prosélytisme littéraire

Angle d'attaque:
— Vous avez une cigarette? (oui, j'en ai presque que pour en donner.)
Il l'allume. C'est la grève du RER D, beaucoup de monde. Extrêmité de quai pour pouvoir lire tranquille.
— C'est bien ce que vous lisez?
Blanc. Je ne sais pas quoi dire. (Je lis Projet pour une révolution à New-York.)
— Euh...
Il se penche pour regarder le titre.
— Ça a l'air bien. C'est intéressant? Ça raconte quoi?
— Ben euh...
— Vous avez peur que je ne comprenne pas?
Eh zut, je vais le vexer si je ne lui explique pas Projet pour une révolution à New-York! Bon.
— Eh bien, il y a plusieurs histoires, mélangées.
— Ah, c'est des nouvelles?
— Non, vraiment mélangées, on ne sait jamais laquelle on lit. C'est compliqué.
— Ah. Moi je lis des histoires, vous savez, des livres où on choisit la page où on veut aller pour continuer l'histoire...
— Le livre dont vous êtes le héros?
— Oui, c'est ça.
(Tiens, au fait) — Eh bien, ça ressemble à ça, mais comme si on avait enlevé tous les chapitres, toutes les indications, et tout mis ensemble d'un seul bloc sans rien expliquer.
— C'est bizarre. Ça vous plaît?
— Non.
Il me regarde, interloqué:
— Mais pourquoi vous le lisez alors?
(Bonne question.) — Parce que d'autres ont écrit après ça et à partir de ça. Ç'était assez connu, entre 1950 et 1970. Maintenant on en écrit moins. (Je ne veux pas prononcer le mot Nouveau Roman. Je me sens gênée, il est gentil, si par hasard ça l'intéressait vraiment, il faudrait remonter si loin).

Il tend la main : Je peux le voir?
Il prend le livre, le feuillette, je repasse mentalement les premières scènes, euh..., il me le rend:
— On dirait une histoire où on arrive au milieu
(Je suis contente) — Oui, c'est exactement ça, pas de début, pas de fin (je me lance) Ecoutez, si ça vous intéresse vraiment... Vous avez entendu parler de Marguerite Duras? (J'essaie de prendre la plus connue et un titre qu'il puisse retenir et trouver facilement.)
— Non.
— Elle est morte il y a quelques années. Essayez Le Vice-consul.
— Consul... consulat?
— Oui, vice-consul.
— Comme vice-président?
— Oui.
— Mais à quoi ça sert? Ça apprend quelque chose?
— Pas vraiment, ou... ça fait réfléchir à comment on lit d'habitude, ce qu'on attend d'habitude d'une histoire... Ça permet de se rendre compte.
— C'est comme une expérience alors. Moi j'aime que ça soit pratique, comme Sun sho, vous connaissez?
— Ça me dit quelque chose (oui, mais je n'y crois pas trop.)
— Oui, L'Art de la guerre C'est très intéressant pour le commerce.
(??? Euh...)

Il a fini sa cigarette. Il jette le mégot sur les rails. Il s'en va.

A votre avis, quel pourcentage de chance y a-t-il qu'il lise Le Vice-Consul?

PS: Projet pour une révolution à New-York est au cœur de Travers.

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