Comment écrire une carte postale?

Lors des longs étés chez mes grands-parents, je lisais donc tout ce qui me tombait sous la main. En particulier, il y avait chez ma tante — vieille fille qui vivait chez ses parents — un livre des éditions Selection du Reader's Digest, Parlez mieux, écrivez mieux.
J'ai beaucoup lu ce livre. Il m'horrifiait (comment apprendre à lire vite (c'était de l'arnaque, on ne lisait pas plus vite, on lisait en diagonale: cela me choquait beaucoup), il me ravissait (Comment s'adresser à une abbesse (Révérendissime Mère ou Madame la Prieure) ou à un Contre-amiral (les hommes écriront Amiral, les femmes écriront Amiral ou Monsieur), il était très instructif (Lettre d'un jeune homme pour demander à une jeune fille s'il peut la revoir).
J'ai cherché, et acheté, ce livre il y a environ un an. (Peu à peu je peuple ma bibliothèque de tous les fantômes qui ont enchanté mon enfance.)

Finalement, c'était davantage un guide des bons usages qu'un livre de syntaxe. Il était écrit dans un style délicieusement désuet, bien que datant seulement de 1974.

Il donnait donc quelques règles de politesse et de bon sens dans un chapitre intitulé "Petits secrets d'une lettre réussie":

- L'installation : «Attendez d'avoir le temps d'écrire, attendez d'être installé correctement chez vous : à une table ou à un bureau, avec un éclairage suffisant [...]»

- Le papier à lettre : «Le choix d'un papier à lettres s'apparente, toutes proportions gardées, à celui d'un vêtement. Outre qu'il témoigne de votre goût, votre papier à lettres doit s'harmoniser avec votre écriture; si elle est large et tassée, vous choisirez un format presque carré; si au contraire elle est haute et pointue, mieux vaudra adopter un format franchement rectagulaire. [...]
La sobriété est de rigueur, surtout pour les hommes : sobriété du format, sobriété de la couleur. Proscrivez les papiers lignés, parfumés, dentelés ou de forme bizarre.[...]
Lorsque vous avez trouvé le papier qui vous convient, restez-y fidèle; ce sera déjà la marque de votre personnalité, et votre correspondant ne sera pas insensible à cette constance.[...]»
(Du papier à lettres comme du parfum...) It's so cute.

- Avec quoi écrire ? : «Si vous n'avez qu'un simple crayon à portée de la main, remettez votre lettre à plus tard.
Le stylo à bille peut, au pis aller, convenir si l'on est sûr de ne pas choquer son correspondant. [...] Le stylo à pointe de feutre, ou de nylon, est utilisable [...]. Reste le stylo à plume, recommandable sans réserve et qui peut-être employé avantageusement dans tout les cas.»

- L'encre : «Il n'y a guère que quatre possibilités, à moins de vouloir étonner par son audace (et par son goût) : noir (le plus classique), bleu-noir (un peu triste), bleu (le plus moderne, le plus gai), violet (un peu désuet).»

Suivait un ensemble de règles et de recommandations sur la pagination, l'écriture («une belle écriture est un don du ciel qui se fait, semble-t-il, de plus en plus rare; la faute en est peut-être au stylo à bille, plus sûrement à notre hâte chaque jour accrue [...]»), la date, l'adresse et le nom, l'en-tête, la marge...



Il y avait un chapitre sur la correspondance rapide : "Les secrets d'une carte postale bien tournée", qui commençait par une ode à la carte postale :

La carte postale est d'un emploi aisé, on la trouve presque partout, elle n'exige pas d'enveloppe (nous y reviendrons). Le peu d'espace qu'elle concède à notre inspiration justifie l'absence d'en-tête ou de formule compliquée et proscrit le roman fleuve. Elle porte en elle-même son message implicite : «Nous sommes en vacances (ou en voyage), mais vous voyez, nous ne vous oublions pas.»
Si bien qu'elle est entrée dans les mœurs, comme les vœux de bonne année, à cette différence près qu'elle obéit à notre bon plaisir, non aux convenances ou aux servitudes sociales et professionnelles, et que sa forme est libre.
Ainsi n'enverrons nous de cartes postales qu'à ceux qui nous sont chers, à un titre ou à un autre. C'est là un joli symbole d'amitié et une coutume à cultiver dans un monde où les gestes gratuits sont si rares.

Suivaient des conseils :
- le choix de la carte postale

Vous commencez par la choisir. Attention ! Votre goût est en cause.
Evitez donc les cartes postales dites humoristiques ou grivoises, généralement bêtes à pleurer, à moins que l'un de vos amis ne collectionne ces chefs d'œuvre de vulgarité : en ce cas, vous pourrez écrire au verso «à titre de curiosité»... et mettre sous enveloppe. [...]

- le texte : «Cinq écueils majeurs guettent le texte» :

-La banalité grossière des «Meilleurs souvenirs» [...] Non! Faites un effort, un détail vécu, croqué sur le vif, même si vous parlez du temps, vous sauvera de cette désolante médiocrité:
La chaleur nous condamne à la sieste : tant mieux ! [...]
- La prétention. Trop de gens considèrent la carte postale comme un signe extérieur de richesse; ils en écrivent beaucoup s'ils vont au Mexique, peu s'ils passent leurs vacances en Dordogne.[...]
- Le pédantisme. Vos cartes postales doivent plaire et non vous faire valoir.
- La tristesse. Si le mauvais temps vous rend maussade et grognon, remettez votre courrier de vacances à plus tard. Ayez pitié de vos amis; n'écrivez pas :
Nous comptons les jours, c'est notre seule distraction. Nous serions mieux à la maison par ce temps; Pierrot a même attrapé un rhume...
Il est préférable de rester gai, optimiste, même s'il pleut des cordes et si le menu de l'hôtel laisse à désirer :
Nous concentrons nos efforts sur la cueillette des champignons et la chasse aux escargots...
L'Irlande a un charme prenant sous la pluie. Chaussés de bottes, sanglés dans nos imperméables, nous allons partout!
- La négligence ou la paresse, que traduit le style télégraphique.

[...] Enfin, n'écrivez pas n'importe quoi : n'oubliez pas que votre prose voyage «à visage découvert» sous d'innombrables yeux dont certains peuvent n'être pas discrets. Alors pas d'épanchements sentimentaux, pas de secrets intimes, sinon en mettant votre carte sous enveloppe.



Et voilà: simple, non?
Vous pouvez m'envoyer des cartes postales, je réponds toujours, c'est une manie contractée jeune, à cause d'un livre : Parlez mieux, écrivez mieux.

complément

voir au 14 août

Le Nouveau Roman

notes de lecture, commentaires et illustrations (tirées du corpus camusien) suite à la lecture du livre de Jean Ricardou, Le Nouveau Roman (1973, Points-seuil, 1990)
Ayant commencé entretemps la lecture de Pour une théorie du Nouveau Roman (1971), il me semble que Le Nouveau Roman est en quelque sorte un résumé, un condensé des précédentes thèses ricardoliennes, une sorte de boîte à outils.

La lecture de Ricardou est suscitée par cette remarque :

— Oui, je dois beaucoup à Jean Ricardou, c'est certain. Son influence sur mon travail a été considérable.
— Plus importante que celle de Barthes?
— Ah, pas du tout du même ordre! (Sourire) J'ai été influencé par Barthes de façon générale, globale, et pas seulement littéraire. Éthique presque. Tandis que l'influence sur moi de Ricardou est beaucoup plus précisément sensible, beaucoup plus étroite et localisable, parce qu'elle est d'ordre technique, essentiellement. Son œuvre est une prodigieuse anthologie, un inépuisable réservoir de procédés pour les écrivains.
Renaud Camus, Été, p.110-111


Référentiel/littéral

Il s'ensuit que la fiction a un statut paradoxal. [...] Soit une jeune fille qui vient d'entrer. Selon la dimension référentielle, ses aspects visibles sont simultanés; selon la dimension littérale, ses aspects visibles sont nécessairement successifs. [..]
Non seulement les dimensions littérale et référentielle sont des incommensurables, mais encore, à supposer pour des raisons schématiques, qu'elles puissent avoir une commune mesure, elles sont des inverses proportionnels: [..]
En effet, l'attention du lecteur ne peut percevoir l'une qu'au détriment de l'autre, en l'effaçant au moins provisoirement. S'il souhaite comprendre référentiellement la scène, cette jeune fille entièrement présente dès son entrée, il lui faut évincer autant que possible la découverte successive qu'offre la littéralité de l'écrit. S'il souhaite comprendre littéralement l'écrit, cette découverte par degrés de la jeune fille, c'est la jeune fille entièrement présente dès son entrée qui s'estompe.[..]
Demander au récit qu'il fonctionne correctement, c'est exiger de lui qu'il nous donne l'illusion, aussi parfaite que possible, de l'entrée de Salomé pour un être de chair et de sang. Bref, il suscite une illusion par l'effacement de ce qui est matériel dans l'écrit : la littéralité. Si ce refus, cimentant son passage à la limite, parvenait à faire croire à l'absence de la dimension littérale, alors nous accéderions à certaines hallucinations point trop rare: l'illusion référentielle. [..]
La courbe du récit se divise donc, très schématiquement, en deux domaines. Celui de l'euphorie du récit, où domine la composante référentielle; celui de la contestation du récit, où domine la composante littérale. Ainsi tout récit est-il astreint au jeu subtil, retors, byzantin quelquefois, de l'euphorique et du contestataire. C'est dire qu'il ne saurait s'enclore entièrement dans un seul territoire. Quel que soit celui auquel il incline, le récit opère toujours des incursions dans le domaine inverse : le récit euphorique ne peut échapper à l'insistance du littéral; le récit contesté, pour reprendre quelque élan, convoque ce qu'il porte à la ruine.
Jean Ricardou, le Nouveau Roman, p.40-43 (les italiques sont dans le texte; c'est moi qui souligne)

En d'autres termes : référentiel = ce que l'on voit (tout d'un coup, l'œil saisit l'ensemble (dans la vraie vie : une impression générale, les détails viennent après)), littéral = ce qu'on lit (donc progressif, au fur à mesure de la lecture des mots (les détails construisent l'ensemble, à l'inverse d'une perception immédiate par l'œil) => plus la description est précise, plus il y a de mots, plus on lit, moin on "voit" d'un coup — et inversement.

Le récit excessif (chapitre 2.2 p.44 à 59)

En somme, le récit ressemble à une machine, ou un corps. Bien fonctionner, pour lui, c'est savoir passer inaperçu. Ainsi deux dangers symétriques le guettent : le défaut et l'excès. Par le défaut, c'est sa détérioration qui le montre; par l'excès, son exhibition qui le trahit. Or l'excès est nécessairement ce qui tente le récit. Car si le naturel fait que l'on croit, l'artificiel fait que l'on s'intéresse. S'il veut que son récit ne soit pas trop voyant, le roman doit ainsi refuser ses penchants pour la sophistication, contredire sa tendance à être trop beau pour être vrai : coïncidences trop voulues, construction très agressive. Or, comme par hasard, ce qui a caractérisé plusieurs des premiers Nouveaux Romans, c'est une construction très agressive.
p.44

différentes modalités de construction:
- coïncidences
- contraintes temporelles
- symétrie narrative
- double (personnages, lieux, etc)

Soulignons-le : composer un roman de cette manière, ce n'est pas avoir l'idée d'une histoire, puis la disposer; c'est avoir l'idée d'un dispositif, puis en déduire une histoire. Et donc, redisons-le, il ne s'agit pas d'exprimer ou de représenter quelque chose qui existerait déjà; il s'agit de produire quelque chose qui n'existe pas encore.
p.50

remarque pour L'Inauguration de la salle des Vents: récit très construit relatant des faits réels s'agençant naturellement par coïncidences et symétrie. Trangression et illustration dans un même mouvement des lois énoncées ici : il n'y a pas eu besoin d'élaborer les doubles (doubles amants, doubles morts, doubles hommages) ni les coïncidences temporelles (visite d'un amant perdu de vue depuis longtemps au moment de la mort des deux autres, catalepsie du chien, installation des tableaux), elles préexistaient au récit, elles ne sont pas une volonté de l'auteur. En revanche, utilisation par l'auteur de moults procédés énoncés ici. Cependant mise en question de ces procédés par une asymétrie délibérée onze styles-douze thèmes.

Le récit abymé (chapitre 2.3 p.60 à 86)

une autre méthode pour obtenir des oeuvres très construites : la mise en abyme

Cette procédure, on admet communément aujourd'hui que Gide compte parmi ceux qui l'ont le plus nettement définie. Relisons, donc, le fameux passage du Journal de 1893 : «J'aime assez qu'en une œuvre d'art, on retrouve ainsi transposé, à l'échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre. Rien ne l'éclaire et n'établit plus sûrement les proportions de l'ensemble. Ainsi, dans tels tableaux de Menling ou de Quentin Metsys, un petit miroir convexe et sombre reflète, à son tour, l'intérieur de la scène où se joue la scène peinte. Ainsi, dans le tableau des Ménines de Velasquez (mais un peu différemment). Enfin en littérature, dans Hamlet, la scène de la comédie; et ailleurs dans bien d'autres pièces. Dans Wilhem Meister, les scènes de marionnettes ou de fêts au château. Dans La Chute de la maison Usher, la lecture que l'on fait à Roderick, etc.» [...]
Curieusement moins connue, il existe cependant chez un autre écrivain célèbre une description de ce procédé. [...] On la trouve dans le William Shakespeare de Hugo : «Toutes les pièces de Shakespeare, deux exceptées, Macbeth et Roméo et Juliette, trente-quatre pièces sur trente-six, offrent à l'observation une particularité qui semblent avoir échappé jusqu'à ce jour aux commentateurs et aux critiques les plus considérables (...). C'est une double action qui traverse le drame et qui le reflète en petit. A côté de la tempête dans l'Atlantique, la tempête dans un verre d'eau. Ainsi Hamlet fait au-dessous de lui un Hamlet; il tue Polonius, père de Laertes, et voilà Laertes vis-à-vis de lui exactement dans la même situation que vis-à-vis de Claudius; il y a deux pères à venger. Il pourrait y avoir deux spectres. Ainsi, dans Le Roi Lear, côte à côte et de front, Lear désespéré par ses filles Goneril et Regane, et consolé par sa fille Cordelia, est répété par Gloucester, trahi par son fils Edmond et aimé par son fils Edgar. L'idée bifurquée, l'idée se faisant écho à elle-même, un drame moindre copiant et coudoyant le principal, l'action traînant sa lune, une action plus petite que sa pareille; l'unité coupée en deux, c'est là assurément un fait étrange.»[...]
Dans la mesure où le récit-satellite, pour parler comme Hugo, résume le grand récit qui le contient, il joue le rôle d'un révélateur. D'une part de façon générale (répétition); d'autre part selon des traits distincts (condensation, anticipation). Répétition : toute mise en abyme multiplie ce qu'elle imite ou, si l'on préfère, le souligne en le redisant. Condensation : mais elle le redit autrement; le plus souvent, elle met en jeu des événements plus simples, plus brefs; en cette condensation, les dispositifs répercutés ont tendance à prendre une netteté schématique. Anticipation : en outre, il arrive quelquefois aux micro-événements que la mise en abyme recèle de précéder les macro-événements correspondants; en ce cas, la révélation risque d'être si active que tout le récit peut en être court-circuité.
p.60-62

Le dispositif du livre [Les Corps conducteurs] forme ce qu'on pourrait nommer un assemblage problématique. Des fragments divers appartenant à des séquences différentes s'y opposent consécutivement selon un ordre dispersé qui suscite, cez le lecteur, un désir irrépressible. Celui, peut-être, de toute lecture : obtenir l'assemblage d'une figure cohérente. La multitude des éclats se lit alors comme une mosaïque éparse dont il importe d'obtenir le remembrement. Tout nouvel éclat s'investit donc dans le jeu selon un procès contradictoire : ajout d'un élément nouveau, il peut éventuellement former un lien nouveau; interrompant, par sa venue, l'élément précédent, il en provoque la rupture.
p.76

Que dire? Ce dernier paragraphe constitue une description à couper le souffle du fonctionnement des Eglogues, en particulier de Été. Tout se passe comme si RC avait voulu illustrer ce paragraphe, donnant naissance après coup au texte dont la critique existait déjà. Je n'en reviens pas que personne ne l'ait noté à l'époque, où les analyses ricardoliennes étaient bien plus à la mode. A moins que quelqu'un ne l'ait noté? Mais je ne le pense pas, car il y a dans Été un dévoilement des sources, des textes à lire, que j'interprète comme un découragement de l'auteur qui a dû reconnaître que personne (ou pas grand monde) n'avait rien reconnu des jeux qu'il avait mis en place, et qui se résolvait/résignait à donner quelques pistes à ses lecteurs.
Comme par hasard, La Bataille de Pharsale et Les Corps conducteurs sont puissamment actifs dans Été.
Il s'agit également d'une définition de L'Inauguration de la salle des Vents : «La multitude des éclats se lit alors comme une mosaïque éparse dont il importe d'obtenir le remembrement.»

Il se passe alors «assurément un fait étrange» : Hugo l'avait entrevu : «l'unité coupée en deux». Si elle se multiplie, la mise en abyme conteste cette unité postulée, en la soumettant à la relance infinie de scissions toujours nouvelles. Car la mise en abyme ne redouble pas l'unité du texte, comme pourrait le faire un reflet externe. En tant que miroir interne, elle ne peut jamais que la dédoubler. Tout la porte à mettre en cause l'unité du récit en la foisonnante multitude d'une foule de semblables, au-delà de la ressemblance desquels ce sont mille diversités qui se trouvent subrepticement introduites.[...] la mise en abyme tend à briser l'unité métonymique du récit selon une stratification de récits métaphoriques.[...]
A l'inverse, le texte se donne-t-il comme morcellement selon une suite fragmentée de récits incertainement articulés? La mise en abyme opère à contre-courant. Dans la mesure où elle procède par similitude et réduction, elle multiplie les ressemblances et les rassemblements.[...] La mise en abyme tend à restreindre l'éparpillement des récits fragmentaires selon un groupement de récits métaphoriques. Tel est son rôle anthithétique : l'unité, elle la divise; la dispersion, elle l'unit.
p 83-85

Le récit dégénéré (chapitre 2.4, p.86 à 100)

Analyse des différents "transits" (variantes et similitudes)
Au passage, on notera que transit est l'anagramme de Tristan, nom opératoire de Été (tandis qu'il s'agissait de Parsifal dans Travers).

1/ Transits analogiques :
• Variantes et similantes
- variantes : «c'est l'Autre qui travaille le Même» (macro-similitude) : beaucoup de ressemblances (entre deux textes, deux phrases, deux situations), quelques différences qui font diverger les ressemblances
- similantes : «c'est le Même qui travaille l'Autre» (micro-similitudes) : différences mais quelques ressemblances qui font converger les différences.
=> paradoxe de ces variations : ce qui se ressemble diverge par la différence, ce qui diffère converge par la ressemblance.
• Transit masqué, transit accusé : passage d'une séquence à l'autre. Là encore, paradoxe. Expliciter le passage d'une séquence à l'autre («huit jours après», par exemple), c'est en montrant le hiatus, le rendre facilement acceptable (procédure de continuité), tandis que superposer deux séquences sans quelques mots explicatifs, c'est mettre le hiatus en évidence par la difficulté de lecture logique que le manque de mots de transition provoque.
• transits micro-analogiques : jeu sur voisin et proche, similitude et contiguïté. Possibilité de jouer différemment avec deux termes (mots, phrases, événements) qui se ressemblent un peu selon qu'ils seront plus où moins proches l'un de l'autre dans le texte.

2/Opérations transitaires simples
- la répétition
- la polysémie
- l'homonymie
- la paronymie «serait une extension de la rime et de ce que Saussure nommait l'hypogramme ».
- la synomymie stricte
- la synonymie approximative
Nous avons là un véritable catalogue des procédés utilisés par les Eglogues (avec une préférence pour homonymie, paronymie, polysémie), mais bien plus généralement dans l'œuvre, en particulier dans Vaisseaux brûlés.

Le récit avarié (chapitre 2.5 p.101 à 121)

Importance de l'emplacement dans le texte pour les similantes (un peu de ressemblances dans beaucoup de différence), car c'est ce qui permet de les repérer.

[...] avec les variantes se posent un problème de toute autre envergure [...] : c'est maintenant la nature même de ce qui est conté qui se trouve mise en cause. [...]
Contiguës ou distinctes, supposons deux variantes [deux versions d’une même histoire]. Sitôt, une question jaillit : laquelle est primordiale ? Ou si l'on préfère : laquelle admet l'autre comme sa variante ? Et, plus précisément : laquelle est réelle, laquelle est apocryphe ? L'exigence d'une telle hiérarchie n'est rien de moins que la riposte du récit agressé. Nous le savons : le récit tire sa crédibilité d'une certaine illusion référentielle. Or celle-ci est battue en brèche chaque fois que le récit met en jeu divers niveau de réalité. [...]
Avec les variantes, [...] Il ne s'agit plus de souligner avec soin la hiérarchie du réel et de l'illusoire, il s'agit, d'abord, de l'obtenir à tout prix. Fautes de quoi se déclenchera ce qu'il faut nommer une guerre des variantes [...]
p.101-102

• Concurrence interne
Nous l'avons souligné : il y a variante si deux textes, en dépit de leur diversité, sont lus comme renvoyant au même. [...] il y a en fait deux manières d'abolir la périlleuse contradiction du face à face des variantes. D'une part, comme nous l'avons déjà noté, la mise en hiérarchie. D'autre part, avec le dos à dos, la mise en fantaisie, tentante pour tout écrivain moderne qui reculerait devant la subversion qu'accomplit la pratique.
p.103

- variante flottante : liste de variantes, aucune n'est donnée comme plus réelle que d'autre, la rêverie du narrateur peut permettre de justifier les contradictions. La logique est sauve, en quelque sorte.

- variante inscrite : elles sont toutes, chacune, présentées comme "vraies". Le récit devient un labyrinthe, la logique échoue à trouver un sens. «Récit impossible : récit, puisqu'une série d'événements se propose, impossible, puisque les événements s'excluent.» p.108 (cf par exemple La Maison de rendez-vous. Il s'agit de procédés utilisés également dans un film comme Mulholland drive, par exemple, qui néanmoins propose à la fin une solution pour "sauver" le récit, c'est-à-dire qu'il donne un point d'appui qui permet au spectateur de décider de "ce qui est vrai").

- variantes généralisées :

[...] c'est la fiction toute entière qui est mise en variantes. Désormais le récit tend à se produire comme une suite de combinaisons affectant les éléments de la fiction et leurs agencements. On le devine, telle machine à variantes connaît diverses règles de métamorphoses [...]. Supposons n éléments fictifs, on appellera : permutation, l'échange de leur rôle dans le dispositif de la scène, substitution, leur remplacement dans le même dispositif; transformation, leur mise en jeu dans un nouvel agencement; perturbation, la venue d'un élément hors système.
p.112

• Concurrence externe (p.113 et suiv.)
[...] Un seul récit peut couvrir plusieurs livres [...] Plusieurs récits peuvent travailler un seul livre [...] Plusieurs récits peuvent travailler plusieurs livres [...] Sans entrer dans le détail de guerre générale des textes, signalons seulement que, en cette perspective, la notion d'œuvre pourrait bien subir, à divers titres, quelques dommages.
p.113-114

par exemple chez RC :
variante d'un récit dans un livre : voir l'anecdote des sœurs Robertson
variante d'un récit sur plusieurs livres : idem
plusieurs récits dans un seul livre : les Eglogues, L'Inauguration, P.A., Vaisseaux brûlés
A mon avis, la guerre générale des textes est évitée par le statut particulier d'un texte qui est un journal. Grâce au journal, une hiérarchie des variantes devient possible, le lecteur peut identifier le réel.
Oui mais : pas de journal à l’époque des premières Eglogues.
Oui mais : doit justement sortir le Journal de Travers cette année avec la cinquième Eglogue : adoucissement de la violence des procédés utilisés entre 1975 et 1982.

question sur Feu Pâle : plusieurs récits dans un seul livre ou variantes d'un récit dans un seul livre?

• La guerre des récits (p.114)

- Récits iliadéens : unité de lieu
- Récits sursitaires : unité de temps, «la variation du Temps est nulle»
- Récits odysséens : unité du Mobile «Ce qui assemble en ce cas divers événements en l'unité d'un récit, c'est un même personnage ou un même objet.» p.115 «Par suite, nous dirons qu'un texte met en jeu plusieurs récits, si entre ces récits ne se rencontre, fondamentalement, aucune identité des trois facteurs que nous venons de définir.»
deux possibilités : des récits parallèle qui s'ignorent, des récits intersectés qui entrent en guerre.

Le récit transmuté (chapitre 2.6 p.121 à 134)

- mutantes (par exemple, une variante qui devient similante)
- captures : (la mise en image (le récit décrivait en fait un tableau, un film, une couverture de livre, etc), la mise en récit (un récit dans le récit))
- libérations (p.129) «Pour cela, il suffit que les événements proposés comme représentation dans une première séquence s'en libèrent et se prolongent, désormais, dans une séquence nouvelle.»
- mutations stylistiques

Le récit enlisé (chapitre 2.7 p.135 à 146)

«[...] le récit peut être victime du récit.»

• mécanisme de la description
linéaire, donc digressive. tentation de l'exhaustivité, de la parenthèse, de descriptions antidiégétiques

par l'invasion de ses parenthèses, la description est donc une machine à enliser le récit. De là vient que les écrivains de l'euphorie diégétique, tel Homère, multiplient les actions à l'intérieur des descriptions, et que les écrivains de la contestation diégétique, tels les Nouveaux Romanciers, multiplient les descriptions à l'intérieur des actions.
p.139

• extension descriptive
temps des actions racontées / temps nécessaire à lire = vitesse du récit
Avec la description, un certain passe (le temps nécessaire à la lecture) où il ne se passe rien.
La description, antiréaliste par excellence : transforme du simultané en successif, gêne le cours du récit, le ralentit ou l’arrête.

• extension approximative
Si l’on tente de se passer de description, il faut dénommer. « Il s’ensuit, plus généralement, que tout refus de la stricte dénomination porte atteinte au récit. » p.141 exemple de Nathalie Sarraute et Claude Simon.

• extension alternative

Nous l’avons vu : ce qui provoque un enlisement du récit, c’est l’étalement du simultané en successif. Outre la description et l’approximation, un autre dispositif connaît donc le même fonctionnement : l’alternance. Non moins que les diverses parties d’un objet, plusieurs événements peuvent prétendre au simultané. [...] Chaque événement n’assure plus dès lors son propre déroulement qu’en brisant le déroulement de quelque autre. Le récit ne plus avancer qu’en s’interrompant lui-même. L’alternance est ainsi une machine à fabriquer du suspens [...] Si, l’aggravant, elle met en jeu toute une pile de niveaux simultanés, le suspens irrémédiablement se détériore.
p.144



Là encore, L’Inauguration de la salle des Vents : il n’y a pas de suspens (question du type : « Et alors ? Qu’est-ce qui c’est passé ? ») car les styles sont si variés (11) et le nombre de récits si élevé (12) que le lecteur se concentre sur le sens et la reconstitution du puzzle : pas de place pour le suspens.

Telle est donc l’efficace de la parenthèse : entre les deux fragments qu’elle sépare, il a bien pu ne s’écouler aucune durée et, pourtant, les événements inscrits dans la parenthèse y ont introduit du temps. Par cette scripturale injonction de temps, toutes scènes, si brèves soient-elles, tendent respectivement, par leur action réciproque, vers une durée inadmissible. Une fois encore, par un effet de littéralité, excédant toute réduction référentielle, c’est d’un fondamental enlisement du récit qu’il s’agit.
p.146

Ce dernier paragraphe est passionnant. En effet, l’enlisement dans la durée inadmissible est exactement ce que veut atteindre Adolfo Bioy Casarès dans L’Invention de Morel : une machine qui permette de vivre à jamais, une machine qui immobilise le temps. Or L’Inauguration se veut une machine de Morel...

La lecture pour se connaître

C'était absurde, cette foi d'Owler en l'efficacité publique de la littérature. La littérature est intransitive. Interpréter un texte, c'est interpréter ce texte. Et rien d'autre. Ceux d'entre nous qui pratiquaient l'art de lire n'étaient nullement meilleurs, plus sages, plus heureux ou plus réconciliés que quiconque. Au contraire. Nous étions au mieux plus ironiques, plus cyniques, plus irrévérencieux. Plus désarmés aussi, plus proches de la folie. Je pensai à la bande à Fagan, au «dernier verre» que j'avais manqué en route. Nous étions tous de bons lecteurs, nous nous adonnions tous à la littérature, chacun à notre manière. Mais quoi de nos vies? Nous étions tous, chacun à sa façon, inadaptés, égarés, sur de nombreux points méprisants de nous-mêmes. Nous pouvions être aussi mesquins ou arrivistes que les autres. Qu'avait-elle fait pour nous, la littérature? Elle nous avait détachés, nous avait dégoûtés de la société, nous avait exclus d'une certaine manière. Elle nous avait rejetés dans une position défensive et nous avait donné le sentiment impuissant de la futilité de l'aspiration et de l'ambition. Elle nous avait entretenus dans l'idée que nos concitoyens étaient décidément bien cons, sûrs d'eux, puérils à s'énerver pour un rien – des aveugles combattants dans un trou noir. Qu'avait-elle fait pour nous, la littérature? Elle nous avait au moins donné des mots pour répondre au monde, pour le neutraliser, pour nous protéger. Au mieux elle nous avait averti d'une chose, rien de bien important en vérité, la relativité et l'instabilité des catégories par lesquelles nous prétendons nous définir. Elle nous a évité, je suppose, de prendre dramatiquement à la lettre le cœur de tragédie plus ou moins futiles. Nous étions au moins des métaphores les uns pour les autres. «Ah, tu me connais! avait dit un jour Fagan quand je m'étonnais de sa réconciliation avec Logan après une brouille, je pardonne la folie.» Était-ce à quoi Owler voulait en venir? Que la littérature peut nous aider à pardonner la folie et à nous défier des ruses de notre aveuglement à nous prendre pour les masques que nous portons? Je n'en étais pas sûr.

Robert Harrison, Rome, la pluie (sous-titré A quoi bon la littérature?), p.157

Ce que n'a pas prévu ce texte, c'est l'inverse : l'impossibilité de pardonner à ceux qui ne sont pas fous...


la relativité et l'instabilité des catégories par lesquelles nous prétendons nous définir : quelques lignes avant ce passage se trouve cette phrase : «Il nous faut apprendre l'art de la lecture pour devenir meilleurs lecteurs de nous-mêmes.»

Cela me fait penser que j'ai trouvé une piste qui pourrait me permettre de "mieux me lire". Il y a deux jours, lisant Ricardou pour la première fois, je suis tombée sur ce passage :

Il s'ensuit, plus généralement, que tout refus de la stricte dénomination porte atteinte au récit. Or, nous le savons, le refus de dénommer est une des caractéristiques principales des textes de Nathalie Sarraute. Aspirant à transmettre ce qu'elle appelle l'innommé, elle en fait un innommable. Elle prend grand soin de ne pas lui donner de nom : ce serait le figer, perdre sa spécificité au profit de la banalisation d'un langage convenu.
[...] Si cette procédure est systématique chez Nathalie Sarraute, elle est loin d'être absente chez plusieurs autres Nouveaux Romanciers. Claude Simon l'a utilisée à sa façon, par exemple dans La route des Flandres, en multipliant les rafales de participe présents et d'adjectifs qualificatifs : «le canon sporadique frappant dans les vergers déserts avec un bruit sourd monumental et creux comme une porte en train de battre agitée par le vent dans une maison vide, le paysage tout entier inhabité vide sous le ciel immobile, le monde arrêté, figé s'effritant se dépiautant s'écroulant peu à peu par morceaux comme une bâtisse abandonnée, inutilisable, livré à l'incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps» (p.314)
On le voit, sarrautiennes ou simonniennes, telles séries qualificatives rejoignent le phénomène des variantes.

Jean Ricardou, Le Nouveau Roman, Points-seuil, p.141 et suiv

Sarrautiennes ou simonniennes : mes nouveaux romanciers préférés, ou plus exactement les seuls que je lis avec plaisir, uniquement par goût, et non "pour les avoir lus". Il faut donc croire que je suis du côté de l'innommable. Amusant, cela corrobore mon goût pour le style sans ponctuation de L'Inauguration de la salle des Vents.
(Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire d'un tel constat ?)

D'un autre côté, comment expliquer mon goût pour Proust, celui qui me paraît capable de tout nommer, celui à qui les mots ne paraissent jamais manquer ?

Les explications de textes, quel intérêt ?

Certains me demandent quel est l’intérêt de lire ainsi que je le fais, de décrypter ainsi les mots, de chercher les références, de faire de l’analyse de texte et de se poser des questions encore et toujours.

Honnêtement, je ne sais pas. D’une certaine façon, ça n’a pas d’intérêt en soi, ça n’a aucune importance.
Peut-être.

La question que je me pose, moi, qui n’est pas la même mais qui rejoint celle-ci, est : Quel est l’intérêt d’exposer sur le net mes petites découvertes ? Qui cela peut-il bien intéresser, cela ne paraît-il pas un peu ostentatoire, n’est-ce pas mortellement ennuyeux ?

A cela, deux ou trois lecteurs de RC ont eu la gentillesse de répondre (je les remercie d’avoir pris ma question au sérieux et de ne pas l’avoir prise pour un geste de coquetterie). Leur réponse, sans qu’ils se soient concertés (d’ailleurs ils ne se connaissent pas), est la même, à peu près : parce que je ne lis pas comme eux, parce que je cherche des choses qu’ils ne cherchent pas, et que cela les intéresse de prendre connaissance de mes petites découvertes sans avoir à chercher, surtout qu’ils ne chercheront pas (dans la mesure où ils sont moins fous et moins obsessionnels que moi, ajouté-je in petto).


Ce que ne peuvent savoir ceux qui me demandent « quel intérêt ? », c’est qu’ils me reposent le sujet d’une dissertation de première. A cette question, j’avais répondu à peu près : « aucun », et pour remplir les quatre pages requises, j’avais parlé de démembrement, écartèlement, dépeçage et autre torture, au grand désarroi de ma professeur de français (Madame Squinabol, merveilleuse professeur de français, à qui je dois d’avoir appris à lire) qui s’ingiénait à nous apprendre l’analyse de texte linéaire.

En y repensant, je crois que c'est son obstination qui a fini par me convaincre, non pas que cela présentait un intérêt, mais que c'était intéressant. Je me souviens de mon progressif émerveillement (non, ce ne fut pas une révélation, ce fut une lente persuasion) à m'apercevoir que tout passage d'un "grand" auteur présentait une unité interne telle qu'il se suffisait à lui-même. Je me souviens du corrigé d'un commentaire de texte qui portait sur le repas qu'offre Gervaise exactement au milieu de L'Assommoir, ou de l'étude de l'incipit de l'Education sentimentale, je me souviens des "trucs" (car ce sont des "trucs", des ficelles), de la façon de passer le texte à travers plusieurs filtres, d'abord les sensations (quelles couleurs, quels bruits, quelles odeurs, quels goûts?), puis le narrateur, les temps employés, la présence ou l'absence de dialogues, je me souviens de l'interdiction absolue de "sortir" du texte, c'est-à-dire de faire référence à l'avant ou l'après, sauf en troisième partie, sauf en conclusion... C'était magique, on arrivait toujours à dire quelque chose, à pondre quelques pages!

La clé de tout cela, "l'intérêt", je l'ai compris par hasard, deux ans plus tard, en écoutant une conversation à la cantine entre deux khâgneuses. J'étais assise à leur table. L'une expliquait à l'autre qu'on venait de leur rendre un devoir sur Stendhal, et que tout le monde avait de mauvaises notes :
— Mais enfin, avait tempêté la professeur, personne n'a vu que ce texte était drôle?
— Et c'était vrai, ajouta la khâgneuse, j'avais eu envie de rire. Mais je n'avais pas osé l'écrire.»
Ça m'a fait un choc. Stendhal drôle? On avait le droit de trouver Stendhal drôle? On n'était pas obligé de l'entourer de déférence? Et on avait le droit, et même le devoir, de l'écrire?

Et c'est ainsi que j'ai compris "l'intérêt" de l'analyse, ou plutôt son but. L'analyse n'est que seconde. En premier vient la sensation. L'analyse permet dans un second temps, doit permettre dans un second temps, de cerner d'où naît la sensation, et le sens.

Finalement, je dirais en souriant, car il ne faut pas prendre ces mots trop au sérieux, que l'analyse de texte est peut-être davantage une analyse du lecteur que du livre (sans compter que le lecteur parle davantage de lui que du livre), elle est peut-être davantage l'analyse de ce qui nous fait hommes capables de comprendre les mêmes sentiments et les mêmes sensations derrière les mêmes mots, et donc l'analyse du sens, de la naissance, de l'émergence, du sens.
L'analyse de texte, j'en ai le soupçon persistant, n'est que l'astuce qu'ont trouvé des amoureux de littérature pour parler de littérature. C'est une lettre à l'aimée, c'est une lettre qui parle de l'aimée, c'est la possibilité d'écrire et encore écrire en sortant du simple bavardage, en s'appuyant sur le texte pour en faire le témoin et la dernière preuve de tout ce qu'on avance.

Quid de la liguistique et de la structure? Je me souviens de la première fois, en cours de philosophie, où j'ai entendu parler de signifiant et de signifié, et de la première fois où j'ai entendu parler d'analyse structurelle des contes (le gentil, le méchant, la quête, la récompense, etc), je me souviens d'avoir réellement compris ce qu'était un narrateur et des personnages grâce à des cours de cinéma donnés par Jean Collet,...
Il s'agit sans doute moins de comprendre une esthétique, "le beau", davantage de comprendre les structures de nos pensées et de nos sentiments. Cela me convient parfaitement.

Comment dire? Vous pouvez dépecer votre poste de radio, le décomposer en transistors, résistances et condensateurs, être capable de le construire ou de le réparer, savoir qu'il décode des ondes : jamais vous ne répondrez exactement à la question "Pourquoi, comment, retransmet-il des paroles émises à des kilomètres de là?". Il reste toujours de l'inexplicable. Toutes les explications de texte du monde n'ont finalement comme ambition que de faire reculer, mais également de rendre plus évident, plus inatteignable, ce reste.


A quoi bon chercher les références des Eglogues?
Imaginons que vous vous promeniez dans Paris sans rien connaître de l'histoire de Paris. Paris vous plaira sans doute, s'il fait beau, si les filles ou les garçons sont jolis, si vous pouvez rêver à la terrasse d'un café.
Si vous savez qui est Jeanne d'Arc quand vous êtes place des Pyramides, si vous savez ce que représente l'Arc-de-Triomphe, si vous avez une idée de ce que sont le Val-de-Grâce ou les vestiges de l'enceinte de Philippe-Auguste, si vous pensez aux tableaux que contient un musée en passant devant sa façade, Paris n'en sera pas plus beau objectivement, et pourtant, vous l'aimerez davantage. Il vous appartiendra un peu, vous serez devenu complice. Vous ne penserez pas à tout ce que vous savez, mais vous le saurez.
Si vous ajoutez à toutes ces connaissances des souvenirs personnels, si un café, une rue, rappelle un souvenir, si vous connaissez parfaitement les moindres ruelles d'un quartier, le plaisir de se promener dans ce quartier, inexplicablement, sera accru. Il y a un plaisir de la reconnaissance, de la connivence, de la possession ("mon" quartier).
C'est cela que je tente avec les Eglogues: j'en dresse la cartographie. J'explore, je découvre, je comble quelques blancs de la carte, en sachant parfaitement qu'il en restera. Mon plaisir est celui des explorateurs. Mon plaisir est d'accroître ma complicité avec l'œuvre, de la connaître en ses méandres.
Je mets mes petites découvertes sur le Net pour le cas, dans l'espoir, que cela puisse être utile à quelques autres, dans l'espoir que nous soyons plus nombreux à être plus heureux (une bonne dose d'idéalisme dans tout cela, c'est exact.)


Il y a une autre raison, plus secrète, à mon amour des Eglogues : je crois aux coïncidences. J'expérimente régulièrement les coïncidences; je ne peux que croire aux coïncidences. Comment pourrait-il en être autrement alors que rédigeant plus ou moins mentalement ce billet, j'entends à midi ce passage qui évoque la puissance d'une citation, le besoin compulsif d'en retrouver la source :

Mais justement, en citant ainsi un vers isolé on décuple sa puissance attractive. Ceux qui étaient entrés ou rentrés dans ma mémoire, au cours de ce dîner, aimantaient à leur tour, appelaient à eux avec une telle force les pièces au milieu desquelles ils avaient l'habitude d'être enclavés, que mes mains électrisées ne purent pas résister plus de quarante-huit heures à la force qui les conduisaient vers le volume où étaient reliés les Orientales et les Chants du Crépuscule. Je maudis le valet de pied de Françoise d'avoir fait don à son pays natal de mon exemplaire des Feuilles d'Automne, et je l'envoyai sans perdre un instant en acheter un autre. Je relus ces volumes d'un bout à l'autre, et ne retrouvai la paix que quand j'aperçus tout d'un coup, m'attendant dans la lumière où elle les avait baignés, les vers que m'avait cités Mme de Guermantes.

Du côté de Guermantes p.549 - Pléiade tome 2 (1954)

Edgar Allan Poe

« Avec lui commence l'histoire de la littérature policière. Edgar Allan Poe a non seulement créé le récit policier mais aussi le lecteur de récit, c'est-à-dire méfiant, soupçonneux à l'égard de ce que l'auteur écrit. »

Jorge Luis Borges

Camus et le football

En 1930, Albert Camus était le saint Pierre qui gardait les buts de l'équipe de football de l'Université d'Alger. Il s'était habitué à occuper ce poste depuis l'enfance, parce que c'était celui où l'on usait le moins ses chaussures. Fils d'une famille pauvre, Camus ne pouvait se payer le luxe de courir sur le terrain : chaque soir, sa grand-mère inspectait ses semelles et lui flanquait une rossée si elles étaient abîmées.
Pendant ses années de gardien de but, Camus apprit beaucoup de choses :
— J'ai appris que le ballon n'arrive jamais par où on croit qu'il va arriver. Cela m'a beaucoup aidé dans la vie, surtout dans les grandes villes, où les gens ne sont en général pas ce qu'on appelle droits.
Il apprit aussi à gagner sans se prendre pour Dieu et à perdre sans se trouver nul, savoirs difficiles ; il apprit à connaître quelques mystères de l'âme humaine, dans les labyrinthes de laquelle il sut pénétrer plus tard, en un périlleux voyage, tout au long de son œuvre.

Eduardo Galeano, Le football, ombre et lumière - Climats, 19971


La morale de cet extrait a un petit côté Kipling.
L'ensemble du livre parcourt l'histoire et la géographie du football en procédant par bonds et gros plans, avec beaucoup de tendresse. C'est un livre purement anecdotique et exemplaire, dans tout ce que peut avoir de noble de tels qualificatifs (voir pour rire le commentaire sur Amazon d'un lecteur qui n'a pas du tout aimé).
Cette générosité du regard, cette plume qui n'en finit pas de raconter avec indulgence le monde dans sa dureté et de saisir les miracles quotidiens, m'ont rappelé le ton des Petites épiphanies de Caio Fernando Abreu. Peut-être sont-ce des traits typiquement latino-américains.



Note
1 : merci à Planes, suite à un tuyau de Tlön.

Se convertir, tomber amoureux ou se mettre à délirer

J'ai dédié ce premier volume à Henri Reed, mon ami de plus de trente années, avec lequel j'ai, pour la première fois, lu Proust pendant mes années d'études. je me suis également souvenu, après un «trou» de trente-deux ans, de R.B., et de la question lourde de conséquences qu'il me posa : «Qui était Swann?»

Georges D. Painter, Marcel Proust, les années de jeunesse, fin de la préface


Au mois de novembre 1917, un inspecteur du ministère de l'Education en poste à Leeds se trouve dans un train pour Sunderland, où il se rend afin de régler un problème avec les responsables syndicaux de l'endroit. Ayant pris chez lui le courrier non décacheté, il en entreprend la lecture. Il y a là notamment, dans une grande enveloppe carrée, le dernier numéro de The Modern Language Review, périodique trimestriel consacré à l'étude de la littérature et de la philologie médiévales et modernes. L'article par lequel commence le numéro va changer la vie du voyageur, John Dover Wilson, et le destin des études shakespeariennes.
En Europe la guerre fait rage, et, si John Dover Wilson a échappé au combat en raison de ses responsabilités dans l'éducation, il est comme de nombreux Anglais préoccupé par la situation militaire sur le continent. Dans les trains où il passe sa vie au gré de ses missions d'inspection, ses lectures se limitent surtout aux journaux qui suivent l'évolution des différents fronts. Eprouvant de la difficulté à se concentrer sur ce qui n'est pas en rapport direct avec la guerre, il se trouve ainsi, notera-t-il plus tard [1], dans un état psychologique dangereux, celui d'un homme qui risque à tout moment de se convertir, de tomber amoureux ou de se mettre à délirer. Ce sont précisément les trois destinées qui l'attendent.
L'article qui va bouleverser l'existence de John Dover Wilson porte la signature d'un spécialiste de Shakespeare, Walter Wilson Greg. Les remarques de ce dernier concernent un passage apparemment secondaire d'Hamlet, la scène de la pantomime du troisième acte. On se souvient qu'Hamlet fait jouer par des comédiens itinérants une pièce de théâtre évoquant le meurtre de son père, « Le Meurtre de Gonzague », afin d'observer les réactions de Claudius, l'assassin présumé, lequel quitte la salle précipitamment. La représentation de cette pièce est précédée d'une pantomime racontant la même histoire, et c'est elle qui attire l'attention de Greg.
[...] Dover Wilson, « en proie à une forte agitation », se lance dans la réfutation méthodique de l'article de Greg et se met fiévreusement à écrire dans tous les lieux où il en trouve l'occasion, dans les trains et dans les gares, au fond des salles de classe et dans les locaux du ministère de l'Armement. Et sa réplique va l'entraîner très loin, puisqu'il se rend rapidement compte qu'il est impossible de reprendre les éléments du dossier sans commencer par établir rigoureusement le texte d'Hamlet. C'est dans ces circonstances que l'homme qui deviendra le plus éminent des spécialistes anglais de Shakespeare prend sur-le-champ la seule décision qui s'impose, celle de lui consacrer sa vie.

Pierre Bayard, Enquête sur Hamlet, premières pages du prologue (p.17 à 19)


J'aime beaucoup ces deux histoires. J'aimerais avoir des détails sur la vie de Painter et Wilson, j'aimerais savoir comment ils gagnaient leur vie tout en nourrissant leur obsession, j'aimerais savoir comment cette "conversion" a été accueillie par leur entourage, tant il est vrai que c'est notre entourage qui paie le prix de nos obsessions.


Notes

[1] John Dover Wilson, Pour comprendre Hamlet. Enquête à Elseneur

Quand Franquin tire son inspiration de Kafka

Ce billet est dédié à la jeune boulangère de Tlön.

J'ai très peu lu Kafka : la Métamorphose juste après le bac, qui ne m'a pas laissé de souvenir impérissable, et Le Château il y a deux ans environ. Ce livre m'a enchantée. Autant je suis peu sensible à l'humour beckettien, qui me paraît de bout en bout tragique, autant l'absurde kafkaïen, la logique poussée dans ses derniers retranchements, m'est très naturel. D'après ce que j'en entendais ici et là je redoutais de lire Kafka, j'avais peur d'être exaspérée par les situations. K. réagit toujours avec tant de bon sens, essayant d'avoir une prise sur les événements sans jamais se décourager, que l'histoire reste supportable.
D'autre part, je suis émerveillée par le décalage entre les constatations nées d'une lecture attentive du texte (grande précision des détails, multiplicité des récits, points de vue des uns et des autres, réseau dense de description de la "réalité", empressement des personnages à vouloir tout expliquer (rien ne paraît jamais inexplicable)) et les impressions plus "lointaines" que laisse le texte une fois le livre refermé : histoire insaissable, difficile à résumer, sensation qu'il ne s'est rien passé, flou, mémoire qui se dérobe. Kafka construit une histoire creuse à partir de trop de détails.

Kafka (au moins dans Le Château) donne une multiplicité de détails qui ne servent pas le récit. Mais ces détails sont la chair même du récit, ils ne visent rien d'autres qu'eux-mêmes. C'est sans doute par l'art de ne pas aboutir à une fin malgré une construction rigoureuse que se distingue Kafka, ou plutôt, tout son art consiste à élaborer une construction parfaite destinée à n'aboutir nulle part. Le temps n'est pas tendu vers l'avant, il est circulaire, ou mieux, c'est un abîme, il semble s'affaisser sous son propre poids : non seulement on tourne spatialement en rond, mais le temps lui-même a implosé, les jours ne passent plus, plus rien ne (se) passe malgré l'agitation et le bavardage (mais qu'ils sont bavards!) perpétuel des personnages et les indications très précises de jour et de nuit.)


Ce préambule est un peu long, à l'origine je voulais simplement signaler une coïncidence amusante:

Dans l'album n°15 de Gaston Lagaffe, Prunelle ouvre l'armoire de Gaston, dont le contenu s'écroule sur lui. Furieux, il vide le reste de l'armoire :
— Attends ! 'm'en vais fiche le reste en l'air... Tu pourras tout recommencer, salopard !...
Prunelle s'éloigne, songeur : « ... Mais je ne comprends pas comment il fait pour que tout ça tienne dans l'armoire avant qu'il ferme les portes !?! »
Gaston arrive, constate le chantier, retrousse ses manches en se préparant à réparer les dégats :
— Il ne se rend pas compte du travail que c'est de classer tout ça dans une armoire.
Il couche l'armoire en disant : « ...et quand je pense qu'il faudra la redresser après...ppffh...»
Puis il la remplit à la pelle tandis que l'on voit Prunelle à l'arrière-plan fumant dans tous les sens du terme.


Imaginez mon incrédulité en lisant le chapitre V du Château (Folio, traduction Alexandre Vialatte) :

[Le maire :] — [...] Mizzi, dit-il, s'interrompant soudain, à la femme qui ne cessait de cesser de s'agiter incompréhensiblement dans la pièce, regarde donc, s'il te plaît, dans l'armoire, peut-être y trouveras-tu le décret. Ce décret date, dit-il à K. en manière d'explication, des premiers temps de mes fonctions : à ce moment-là je gardais encore tout.
La femme ouvrit immédiatement l'armoire. K. et le maire regardaient. Quand l'armoire s'ouvrit on vit tomber à terre deux grosses liasses de rouleaux liés en cylindre comme des fagots; c'étaient des pièces officielles; la femme, effrayée, fit un bon de côté.
— Il pourrait être en bas... En bas! lança le maire dirigeant l'opération du haut du lit.
Docilement la femme plongea les bras dans les papiers, sortant les documents à pleins tabliers pour arriver à ceux d'en bas. Les documents couvraient déjà la moitié de la chambre.
[...] Le silence régnait, on entendait plus que le froissement des papiers, le maire somnolait même un petit peu. Un petit «toc toc» résonna qui fit tourner K. vers la porte. C'étaient les aides, bien entendu.
— [...] Mais puisque vous êtes ici, leur dit-il en risquant un essai, restez et aidez Madame à retrouver une pièce sur laquelle le mot «Arpenteur» est souligné au crayon bleu.
Le maire ne souleva pas d'objection. Le droit que K. n'avait pas, les aides le possédait donc; les aides se jetèrent sur les papiers, mais ils brassaient les papiers plutôt qu'ils ne les examinaient et toutes les fois que l'un épelait le titre d'une pièce l'autre la lui arrachait des doigts. La femme en revanche restait à genoux devant l'armoire vide, elle n'avait plus l'air de chercher; en tout cas la bougie était loin d'elle.
[long récit du maire sur plusieurs pages. Puis le maire :] — [...] Mizzi ! appela-t-il, puis il cria : mais que faites-vous donc ?
Les deux seconds, qui étaient restés sans surveillance depuis longtemps, n'ayant probablement pas, non plus que Mizzi d'ailleurs, retrouvé la pièce recherchée, avaient voulu tout remiser dans l'armoire, mais le désordre qui régnait dans cet excès de dossiers ne le leur avait pas permis. C'est alors que leur était venu l'idée qu'ils essayaient maintenant de réaliser.
Ils avaient étendu l'armoire sur le plancher, tassé dedans les papiers en vrac, puis ils s'étaient assis avec Mizzi sur la porte du meuble et cherchaient ainsi à la fermer lentement.
— La pièce n'est donc pas trouvée? C'est dommage, dit le maire, mais maintenant vous connaissez déjà l'histoire ; au fond nous n'avons plus besoin de ce papier ; d'ailleurs on le trouvera certainement, il doit être chez l'instituteur qui conserve lui aussi un grand nombre de documents. Mais viens ici, Mizzi, apporte la bougie, et lis cette lettre avec moi.
Mizzi vint, elle parut encore plus terne et insignifiante quand elle se trouva assise au bord du lit, pressée contre cet homme fort et éclatant de vie, qu'elle tenait presque embrassé. Seul son petit visage frappait, dans la lumière de la bougie, avec ses traits nets et sévères que l'âge avait à peine adoucis. Ellle n'eut pas plus tôt jeté les yeux sur la lettre qu'elle joignit les mains légèrement : de Klamm ! dit-elle. Puis ils lurent la lettre ensemble, échangèrent quelques mots à voix basse et finalement, juste au moment où les deux aides criaient : «Hourra !» car il venaient de réussir à fermer la porte de l'armoire et Mizzi leur adressait un regard de reconnaissance muette, le maire dit : [...]

Une levée supplémentaire

En vérifiant l'orthographe de "s'époumoner" dans le TLFi pour le billet sur Jack Bauer (étrange verbe : un "n" ou deux, avec apparemment la recommandation d'en mettre deux si c'est un "e" qui suit, sans que cette règle soit obligatoire), j'ai trouvé une définition de trick, ce qui ajoute à ma perpléxité : trick au sens camusien est-il dérivé de l'anglais ou du français?

Le mot appartient à la sphère du jeu, avec des connotations d'habileté, de succès et de tricherie.
Qu'il puisse se prononcer "tri" est un cadeau inattendu et non sans humour pour les camusiens.


Je recopie ici la définition du trick donné par le TLFi:

TRICK, subst. masc.
JEUX (whist, bridge). Levée supplémentaire, que l'on fait en plus des six levées qui constituent le devoir. Les levées se nomment aussi Tricks: chaque trick que l'on fait au-dessus de six fait gagner un point (M. LEBRUN, Manuel des jeux de Calcul et de Hasard, 1827 ds Fr. mod. t. 16 1948, p. 212).
- Compter trois de trick. "Faire trois levées supplémentaires" (Lar. 20e).

Prononc. et Orth.: [TRIK]. Homon. trique. LITTRÉ: tri, tric; Lar. Lang. fr.: trick "on rencontre parfois la forme altérée tri"; ROB. 1985: trick ou tric. Prop. CATACH.-GOLF. Orth. Lexicogr. 1971, p. 311: trik, tri. Plur. des tricks. Étymol. et Hist. 1773 (Mercure de France, janv., 44 ds HÖFLER Anglic.), attest. isolée; 1814 ([Ch. BOUVARD], Nouvelle Académie des jeux, ou Règles des jeux du wisth, du boston... etc., 68, ibid.); 1872 (LITTRÉ, s.v. tri: Au jeu de whist, faire le tri, avoir le tri, faire une levée de plus que la partie adverse. On dit quelquefois tric). Empr. à l'angl. trick « ruse, artifice frauduleux » d'où « astuce, moyen habile » att. comme terme de jeux de cartes dep. 1599 (NED) pour désigner une main puis une levée, notamment une levée supplémentaire permettant d'assurer le point, appelée odd trick ou overtrick (v. NED, s.v. odd A I 1 et NED Suppl.2, s.v. overtrick). L'angl. est empr. au Moy. Âge à une forme normanno-pic. corresp. au fr. triche*. Bbg. ARNOULD (Ch.). Termes de jeu. Fr. mod. 1948, t. 16, pp. 211-212. BONN. 1920, p. 160.

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