notes de lecture, commentaires et illustrations (tirées du corpus camusien) suite à la lecture du livre de Jean Ricardou, Le Nouveau Roman (1973, Points-seuil, 1990)
Ayant commencé entretemps la lecture de Pour une théorie du Nouveau Roman (1971), il me semble que Le Nouveau Roman est en quelque sorte un résumé, un condensé des précédentes thèses ricardoliennes, une sorte de boîte à outils.

La lecture de Ricardou est suscitée par cette remarque :

— Oui, je dois beaucoup à Jean Ricardou, c'est certain. Son influence sur mon travail a été considérable.
— Plus importante que celle de Barthes?
— Ah, pas du tout du même ordre! (Sourire) J'ai été influencé par Barthes de façon générale, globale, et pas seulement littéraire. Éthique presque. Tandis que l'influence sur moi de Ricardou est beaucoup plus précisément sensible, beaucoup plus étroite et localisable, parce qu'elle est d'ordre technique, essentiellement. Son œuvre est une prodigieuse anthologie, un inépuisable réservoir de procédés pour les écrivains.
Renaud Camus, Été, p.110-111


Référentiel/littéral

Il s'ensuit que la fiction a un statut paradoxal. [...] Soit une jeune fille qui vient d'entrer. Selon la dimension référentielle, ses aspects visibles sont simultanés; selon la dimension littérale, ses aspects visibles sont nécessairement successifs. [..]
Non seulement les dimensions littérale et référentielle sont des incommensurables, mais encore, à supposer pour des raisons schématiques, qu'elles puissent avoir une commune mesure, elles sont des inverses proportionnels: [..]
En effet, l'attention du lecteur ne peut percevoir l'une qu'au détriment de l'autre, en l'effaçant au moins provisoirement. S'il souhaite comprendre référentiellement la scène, cette jeune fille entièrement présente dès son entrée, il lui faut évincer autant que possible la découverte successive qu'offre la littéralité de l'écrit. S'il souhaite comprendre littéralement l'écrit, cette découverte par degrés de la jeune fille, c'est la jeune fille entièrement présente dès son entrée qui s'estompe.[..]
Demander au récit qu'il fonctionne correctement, c'est exiger de lui qu'il nous donne l'illusion, aussi parfaite que possible, de l'entrée de Salomé pour un être de chair et de sang. Bref, il suscite une illusion par l'effacement de ce qui est matériel dans l'écrit : la littéralité. Si ce refus, cimentant son passage à la limite, parvenait à faire croire à l'absence de la dimension littérale, alors nous accéderions à certaines hallucinations point trop rare: l'illusion référentielle. [..]
La courbe du récit se divise donc, très schématiquement, en deux domaines. Celui de l'euphorie du récit, où domine la composante référentielle; celui de la contestation du récit, où domine la composante littérale. Ainsi tout récit est-il astreint au jeu subtil, retors, byzantin quelquefois, de l'euphorique et du contestataire. C'est dire qu'il ne saurait s'enclore entièrement dans un seul territoire. Quel que soit celui auquel il incline, le récit opère toujours des incursions dans le domaine inverse : le récit euphorique ne peut échapper à l'insistance du littéral; le récit contesté, pour reprendre quelque élan, convoque ce qu'il porte à la ruine.
Jean Ricardou, le Nouveau Roman, p.40-43 (les italiques sont dans le texte; c'est moi qui souligne)

En d'autres termes : référentiel = ce que l'on voit (tout d'un coup, l'œil saisit l'ensemble (dans la vraie vie : une impression générale, les détails viennent après)), littéral = ce qu'on lit (donc progressif, au fur à mesure de la lecture des mots (les détails construisent l'ensemble, à l'inverse d'une perception immédiate par l'œil) => plus la description est précise, plus il y a de mots, plus on lit, moin on "voit" d'un coup — et inversement.

Le récit excessif (chapitre 2.2 p.44 à 59)

En somme, le récit ressemble à une machine, ou un corps. Bien fonctionner, pour lui, c'est savoir passer inaperçu. Ainsi deux dangers symétriques le guettent : le défaut et l'excès. Par le défaut, c'est sa détérioration qui le montre; par l'excès, son exhibition qui le trahit. Or l'excès est nécessairement ce qui tente le récit. Car si le naturel fait que l'on croit, l'artificiel fait que l'on s'intéresse. S'il veut que son récit ne soit pas trop voyant, le roman doit ainsi refuser ses penchants pour la sophistication, contredire sa tendance à être trop beau pour être vrai : coïncidences trop voulues, construction très agressive. Or, comme par hasard, ce qui a caractérisé plusieurs des premiers Nouveaux Romans, c'est une construction très agressive.
p.44

différentes modalités de construction:
- coïncidences
- contraintes temporelles
- symétrie narrative
- double (personnages, lieux, etc)

Soulignons-le : composer un roman de cette manière, ce n'est pas avoir l'idée d'une histoire, puis la disposer; c'est avoir l'idée d'un dispositif, puis en déduire une histoire. Et donc, redisons-le, il ne s'agit pas d'exprimer ou de représenter quelque chose qui existerait déjà; il s'agit de produire quelque chose qui n'existe pas encore.
p.50

remarque pour L'Inauguration de la salle des Vents: récit très construit relatant des faits réels s'agençant naturellement par coïncidences et symétrie. Trangression et illustration dans un même mouvement des lois énoncées ici : il n'y a pas eu besoin d'élaborer les doubles (doubles amants, doubles morts, doubles hommages) ni les coïncidences temporelles (visite d'un amant perdu de vue depuis longtemps au moment de la mort des deux autres, catalepsie du chien, installation des tableaux), elles préexistaient au récit, elles ne sont pas une volonté de l'auteur. En revanche, utilisation par l'auteur de moults procédés énoncés ici. Cependant mise en question de ces procédés par une asymétrie délibérée onze styles-douze thèmes.

Le récit abymé (chapitre 2.3 p.60 à 86)

une autre méthode pour obtenir des oeuvres très construites : la mise en abyme

Cette procédure, on admet communément aujourd'hui que Gide compte parmi ceux qui l'ont le plus nettement définie. Relisons, donc, le fameux passage du Journal de 1893 : «J'aime assez qu'en une œuvre d'art, on retrouve ainsi transposé, à l'échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre. Rien ne l'éclaire et n'établit plus sûrement les proportions de l'ensemble. Ainsi, dans tels tableaux de Menling ou de Quentin Metsys, un petit miroir convexe et sombre reflète, à son tour, l'intérieur de la scène où se joue la scène peinte. Ainsi, dans le tableau des Ménines de Velasquez (mais un peu différemment). Enfin en littérature, dans Hamlet, la scène de la comédie; et ailleurs dans bien d'autres pièces. Dans Wilhem Meister, les scènes de marionnettes ou de fêts au château. Dans La Chute de la maison Usher, la lecture que l'on fait à Roderick, etc.» [...]
Curieusement moins connue, il existe cependant chez un autre écrivain célèbre une description de ce procédé. [...] On la trouve dans le William Shakespeare de Hugo : «Toutes les pièces de Shakespeare, deux exceptées, Macbeth et Roméo et Juliette, trente-quatre pièces sur trente-six, offrent à l'observation une particularité qui semblent avoir échappé jusqu'à ce jour aux commentateurs et aux critiques les plus considérables (...). C'est une double action qui traverse le drame et qui le reflète en petit. A côté de la tempête dans l'Atlantique, la tempête dans un verre d'eau. Ainsi Hamlet fait au-dessous de lui un Hamlet; il tue Polonius, père de Laertes, et voilà Laertes vis-à-vis de lui exactement dans la même situation que vis-à-vis de Claudius; il y a deux pères à venger. Il pourrait y avoir deux spectres. Ainsi, dans Le Roi Lear, côte à côte et de front, Lear désespéré par ses filles Goneril et Regane, et consolé par sa fille Cordelia, est répété par Gloucester, trahi par son fils Edmond et aimé par son fils Edgar. L'idée bifurquée, l'idée se faisant écho à elle-même, un drame moindre copiant et coudoyant le principal, l'action traînant sa lune, une action plus petite que sa pareille; l'unité coupée en deux, c'est là assurément un fait étrange.»[...]
Dans la mesure où le récit-satellite, pour parler comme Hugo, résume le grand récit qui le contient, il joue le rôle d'un révélateur. D'une part de façon générale (répétition); d'autre part selon des traits distincts (condensation, anticipation). Répétition : toute mise en abyme multiplie ce qu'elle imite ou, si l'on préfère, le souligne en le redisant. Condensation : mais elle le redit autrement; le plus souvent, elle met en jeu des événements plus simples, plus brefs; en cette condensation, les dispositifs répercutés ont tendance à prendre une netteté schématique. Anticipation : en outre, il arrive quelquefois aux micro-événements que la mise en abyme recèle de précéder les macro-événements correspondants; en ce cas, la révélation risque d'être si active que tout le récit peut en être court-circuité.
p.60-62

Le dispositif du livre [Les Corps conducteurs] forme ce qu'on pourrait nommer un assemblage problématique. Des fragments divers appartenant à des séquences différentes s'y opposent consécutivement selon un ordre dispersé qui suscite, cez le lecteur, un désir irrépressible. Celui, peut-être, de toute lecture : obtenir l'assemblage d'une figure cohérente. La multitude des éclats se lit alors comme une mosaïque éparse dont il importe d'obtenir le remembrement. Tout nouvel éclat s'investit donc dans le jeu selon un procès contradictoire : ajout d'un élément nouveau, il peut éventuellement former un lien nouveau; interrompant, par sa venue, l'élément précédent, il en provoque la rupture.
p.76

Que dire? Ce dernier paragraphe constitue une description à couper le souffle du fonctionnement des Eglogues, en particulier de Été. Tout se passe comme si RC avait voulu illustrer ce paragraphe, donnant naissance après coup au texte dont la critique existait déjà. Je n'en reviens pas que personne ne l'ait noté à l'époque, où les analyses ricardoliennes étaient bien plus à la mode. A moins que quelqu'un ne l'ait noté? Mais je ne le pense pas, car il y a dans Été un dévoilement des sources, des textes à lire, que j'interprète comme un découragement de l'auteur qui a dû reconnaître que personne (ou pas grand monde) n'avait rien reconnu des jeux qu'il avait mis en place, et qui se résolvait/résignait à donner quelques pistes à ses lecteurs.
Comme par hasard, La Bataille de Pharsale et Les Corps conducteurs sont puissamment actifs dans Été.
Il s'agit également d'une définition de L'Inauguration de la salle des Vents : «La multitude des éclats se lit alors comme une mosaïque éparse dont il importe d'obtenir le remembrement.»

Il se passe alors «assurément un fait étrange» : Hugo l'avait entrevu : «l'unité coupée en deux». Si elle se multiplie, la mise en abyme conteste cette unité postulée, en la soumettant à la relance infinie de scissions toujours nouvelles. Car la mise en abyme ne redouble pas l'unité du texte, comme pourrait le faire un reflet externe. En tant que miroir interne, elle ne peut jamais que la dédoubler. Tout la porte à mettre en cause l'unité du récit en la foisonnante multitude d'une foule de semblables, au-delà de la ressemblance desquels ce sont mille diversités qui se trouvent subrepticement introduites.[...] la mise en abyme tend à briser l'unité métonymique du récit selon une stratification de récits métaphoriques.[...]
A l'inverse, le texte se donne-t-il comme morcellement selon une suite fragmentée de récits incertainement articulés? La mise en abyme opère à contre-courant. Dans la mesure où elle procède par similitude et réduction, elle multiplie les ressemblances et les rassemblements.[...] La mise en abyme tend à restreindre l'éparpillement des récits fragmentaires selon un groupement de récits métaphoriques. Tel est son rôle anthithétique : l'unité, elle la divise; la dispersion, elle l'unit.
p 83-85

Le récit dégénéré (chapitre 2.4, p.86 à 100)

Analyse des différents "transits" (variantes et similitudes)
Au passage, on notera que transit est l'anagramme de Tristan, nom opératoire de Été (tandis qu'il s'agissait de Parsifal dans Travers).

1/ Transits analogiques :
• Variantes et similantes
- variantes : «c'est l'Autre qui travaille le Même» (macro-similitude) : beaucoup de ressemblances (entre deux textes, deux phrases, deux situations), quelques différences qui font diverger les ressemblances
- similantes : «c'est le Même qui travaille l'Autre» (micro-similitudes) : différences mais quelques ressemblances qui font converger les différences.
=> paradoxe de ces variations : ce qui se ressemble diverge par la différence, ce qui diffère converge par la ressemblance.
• Transit masqué, transit accusé : passage d'une séquence à l'autre. Là encore, paradoxe. Expliciter le passage d'une séquence à l'autre («huit jours après», par exemple), c'est en montrant le hiatus, le rendre facilement acceptable (procédure de continuité), tandis que superposer deux séquences sans quelques mots explicatifs, c'est mettre le hiatus en évidence par la difficulté de lecture logique que le manque de mots de transition provoque.
• transits micro-analogiques : jeu sur voisin et proche, similitude et contiguïté. Possibilité de jouer différemment avec deux termes (mots, phrases, événements) qui se ressemblent un peu selon qu'ils seront plus où moins proches l'un de l'autre dans le texte.

2/Opérations transitaires simples
- la répétition
- la polysémie
- l'homonymie
- la paronymie «serait une extension de la rime et de ce que Saussure nommait l'hypogramme ».
- la synomymie stricte
- la synonymie approximative
Nous avons là un véritable catalogue des procédés utilisés par les Eglogues (avec une préférence pour homonymie, paronymie, polysémie), mais bien plus généralement dans l'œuvre, en particulier dans Vaisseaux brûlés.

Le récit avarié (chapitre 2.5 p.101 à 121)

Importance de l'emplacement dans le texte pour les similantes (un peu de ressemblances dans beaucoup de différence), car c'est ce qui permet de les repérer.

[...] avec les variantes se posent un problème de toute autre envergure [...] : c'est maintenant la nature même de ce qui est conté qui se trouve mise en cause. [...]
Contiguës ou distinctes, supposons deux variantes [deux versions d’une même histoire]. Sitôt, une question jaillit : laquelle est primordiale ? Ou si l'on préfère : laquelle admet l'autre comme sa variante ? Et, plus précisément : laquelle est réelle, laquelle est apocryphe ? L'exigence d'une telle hiérarchie n'est rien de moins que la riposte du récit agressé. Nous le savons : le récit tire sa crédibilité d'une certaine illusion référentielle. Or celle-ci est battue en brèche chaque fois que le récit met en jeu divers niveau de réalité. [...]
Avec les variantes, [...] Il ne s'agit plus de souligner avec soin la hiérarchie du réel et de l'illusoire, il s'agit, d'abord, de l'obtenir à tout prix. Fautes de quoi se déclenchera ce qu'il faut nommer une guerre des variantes [...]
p.101-102

• Concurrence interne
Nous l'avons souligné : il y a variante si deux textes, en dépit de leur diversité, sont lus comme renvoyant au même. [...] il y a en fait deux manières d'abolir la périlleuse contradiction du face à face des variantes. D'une part, comme nous l'avons déjà noté, la mise en hiérarchie. D'autre part, avec le dos à dos, la mise en fantaisie, tentante pour tout écrivain moderne qui reculerait devant la subversion qu'accomplit la pratique.
p.103

- variante flottante : liste de variantes, aucune n'est donnée comme plus réelle que d'autre, la rêverie du narrateur peut permettre de justifier les contradictions. La logique est sauve, en quelque sorte.

- variante inscrite : elles sont toutes, chacune, présentées comme "vraies". Le récit devient un labyrinthe, la logique échoue à trouver un sens. «Récit impossible : récit, puisqu'une série d'événements se propose, impossible, puisque les événements s'excluent.» p.108 (cf par exemple La Maison de rendez-vous. Il s'agit de procédés utilisés également dans un film comme Mulholland drive, par exemple, qui néanmoins propose à la fin une solution pour "sauver" le récit, c'est-à-dire qu'il donne un point d'appui qui permet au spectateur de décider de "ce qui est vrai").

- variantes généralisées :

[...] c'est la fiction toute entière qui est mise en variantes. Désormais le récit tend à se produire comme une suite de combinaisons affectant les éléments de la fiction et leurs agencements. On le devine, telle machine à variantes connaît diverses règles de métamorphoses [...]. Supposons n éléments fictifs, on appellera : permutation, l'échange de leur rôle dans le dispositif de la scène, substitution, leur remplacement dans le même dispositif; transformation, leur mise en jeu dans un nouvel agencement; perturbation, la venue d'un élément hors système.
p.112

• Concurrence externe (p.113 et suiv.)
[...] Un seul récit peut couvrir plusieurs livres [...] Plusieurs récits peuvent travailler un seul livre [...] Plusieurs récits peuvent travailler plusieurs livres [...] Sans entrer dans le détail de guerre générale des textes, signalons seulement que, en cette perspective, la notion d'œuvre pourrait bien subir, à divers titres, quelques dommages.
p.113-114

par exemple chez RC :
variante d'un récit dans un livre : voir l'anecdote des sœurs Robertson
variante d'un récit sur plusieurs livres : idem
plusieurs récits dans un seul livre : les Eglogues, L'Inauguration, P.A., Vaisseaux brûlés
A mon avis, la guerre générale des textes est évitée par le statut particulier d'un texte qui est un journal. Grâce au journal, une hiérarchie des variantes devient possible, le lecteur peut identifier le réel.
Oui mais : pas de journal à l’époque des premières Eglogues.
Oui mais : doit justement sortir le Journal de Travers cette année avec la cinquième Eglogue : adoucissement de la violence des procédés utilisés entre 1975 et 1982.

question sur Feu Pâle : plusieurs récits dans un seul livre ou variantes d'un récit dans un seul livre?

• La guerre des récits (p.114)

- Récits iliadéens : unité de lieu
- Récits sursitaires : unité de temps, «la variation du Temps est nulle»
- Récits odysséens : unité du Mobile «Ce qui assemble en ce cas divers événements en l'unité d'un récit, c'est un même personnage ou un même objet.» p.115 «Par suite, nous dirons qu'un texte met en jeu plusieurs récits, si entre ces récits ne se rencontre, fondamentalement, aucune identité des trois facteurs que nous venons de définir.»
deux possibilités : des récits parallèle qui s'ignorent, des récits intersectés qui entrent en guerre.

Le récit transmuté (chapitre 2.6 p.121 à 134)

- mutantes (par exemple, une variante qui devient similante)
- captures : (la mise en image (le récit décrivait en fait un tableau, un film, une couverture de livre, etc), la mise en récit (un récit dans le récit))
- libérations (p.129) «Pour cela, il suffit que les événements proposés comme représentation dans une première séquence s'en libèrent et se prolongent, désormais, dans une séquence nouvelle.»
- mutations stylistiques

Le récit enlisé (chapitre 2.7 p.135 à 146)

«[...] le récit peut être victime du récit.»

• mécanisme de la description
linéaire, donc digressive. tentation de l'exhaustivité, de la parenthèse, de descriptions antidiégétiques

par l'invasion de ses parenthèses, la description est donc une machine à enliser le récit. De là vient que les écrivains de l'euphorie diégétique, tel Homère, multiplient les actions à l'intérieur des descriptions, et que les écrivains de la contestation diégétique, tels les Nouveaux Romanciers, multiplient les descriptions à l'intérieur des actions.
p.139

• extension descriptive
temps des actions racontées / temps nécessaire à lire = vitesse du récit
Avec la description, un certain passe (le temps nécessaire à la lecture) où il ne se passe rien.
La description, antiréaliste par excellence : transforme du simultané en successif, gêne le cours du récit, le ralentit ou l’arrête.

• extension approximative
Si l’on tente de se passer de description, il faut dénommer. « Il s’ensuit, plus généralement, que tout refus de la stricte dénomination porte atteinte au récit. » p.141 exemple de Nathalie Sarraute et Claude Simon.

• extension alternative

Nous l’avons vu : ce qui provoque un enlisement du récit, c’est l’étalement du simultané en successif. Outre la description et l’approximation, un autre dispositif connaît donc le même fonctionnement : l’alternance. Non moins que les diverses parties d’un objet, plusieurs événements peuvent prétendre au simultané. [...] Chaque événement n’assure plus dès lors son propre déroulement qu’en brisant le déroulement de quelque autre. Le récit ne plus avancer qu’en s’interrompant lui-même. L’alternance est ainsi une machine à fabriquer du suspens [...] Si, l’aggravant, elle met en jeu toute une pile de niveaux simultanés, le suspens irrémédiablement se détériore.
p.144



Là encore, L’Inauguration de la salle des Vents : il n’y a pas de suspens (question du type : « Et alors ? Qu’est-ce qui c’est passé ? ») car les styles sont si variés (11) et le nombre de récits si élevé (12) que le lecteur se concentre sur le sens et la reconstitution du puzzle : pas de place pour le suspens.

Telle est donc l’efficace de la parenthèse : entre les deux fragments qu’elle sépare, il a bien pu ne s’écouler aucune durée et, pourtant, les événements inscrits dans la parenthèse y ont introduit du temps. Par cette scripturale injonction de temps, toutes scènes, si brèves soient-elles, tendent respectivement, par leur action réciproque, vers une durée inadmissible. Une fois encore, par un effet de littéralité, excédant toute réduction référentielle, c’est d’un fondamental enlisement du récit qu’il s’agit.
p.146

Ce dernier paragraphe est passionnant. En effet, l’enlisement dans la durée inadmissible est exactement ce que veut atteindre Adolfo Bioy Casarès dans L’Invention de Morel : une machine qui permette de vivre à jamais, une machine qui immobilise le temps. Or L’Inauguration se veut une machine de Morel...