Pale Fire, a poem in heroic couplets, of nine hundred ninety-nine lines, divided into four cantos, was composed by John Francis Shade (born July 5, 1898, died July 21, 1959) during the last twenty days of his life, at his residence in New Wye, Appalachia, U.S.A.

première phrase du livre Pale Fire, de Vladimir Nabokov


I feel
I understand Existence, or at least a minute part
Of my existence, only through my art,
In terms of combinational delight;
And if my private universe scans right,
So does the verse of galaxies divine
Which I suspect is an iambic line.
l'm reasonably sure that we survive
And that my darling somewhere is alive,
As I am reasonably sure that I
Shall wake at six tomorrow, on July
The twenty-second, nineteen fifty-nine,
And that the day will probably be fine;
So this alarm clock let me set myself,
Yawn, and put back Shade's 'Poems' on their shelf.

avant dernier couplet du poème Pale Fire de John Shade (in Pale Fire, le livre de Nabokov)
Dès la première phrase nous savons que le poète est mort le 21 juillet 1959. Comment définir l'impression que produisent ces mots "As I am reasonably sure that I/ Shall wake at six tomorrow, on July/ The twenty-second, nineteen fifty-nine" quand on les rencontre à la fin du poème?
Ce n'est ni de l'ironie ni du cynisme, c'est malgré tout, sans doute, destiné à tirer un sourire triste au lecteur, c'est à peine du désespoir ou du fatalisme, cela serre le cœur. Cela réinscrit la certitude de l'inéluctable — la mort — contre la possibilité d'un l'espoir — une vie après la mort. De l'un nous sommes sûrs, de l'autre non, et il n'y a pas d'issue à cette incertitude.
L'extraordinaire tient dans la légèreté avec laquelle ce constat banal est traité. Nabokov passe, sans appuyer, et enchaîne aussitôt avec plus de deux cents pages de commentaires fous, fous dans leur volonté de vouloir faire dire au poème ce que Kinbote veut y lire, ce qui est, finalement, exactement le mouvement de John Shade à quelques lignes de la fin de son poème, décryptant le monde dans le sens qui lui convient: "And if my private universe scans right,/ So does the verse of galaxies divine". La lecture du poème par Kinbote n'est pas plus folle que la lecture de l'univers par John Shade, à cela près que l'art donne à celui-ci les moyens d'avoir conscience de sa folie. L'art ne permet pas d'échapper à la folie, mais de savoir que l'on est fou. (Lolita finit sur la même conclusion.)

J'aime profondément l'humour de Pale Fire. Nabokov se moque de lui-même, de ses lecteurs et de son personnage Kinbote.

Quand Kinbote écrit par exemple "Another fine example example of our poet's special branch of combinational magic. The subtle pun here turns on two additional meanings of 'shade' besides the obvious synonym of nuance" (commentaire des vers 727-728), Nabokov est en réalité en train de nous expliquer son propre poème. Si le lecteur avait vu les différents sens du mot shade avant de lire cette explication, Nabokov se moque de lui-même et de son faux hermétisme (puisque ce qu'il juge compliqué est en fait évident), sans compter l'humour qu'il y a à s'attribuer soi-même une "combitional magic"; en revanche si le lecteur n'avait pas compris, Nabokov lui vient en aide tout en prouvant qu'il n'est pas bien sûr du talent de ses lecteurs.

Parfois Kinbote devient un commentateur épais, paraphrasant sans commenter: les vers 939-940 de John Shade sont "Man's life as commentary to abstruse / Unfinished poem. Note for further use". Kinbote commente "If I correctly understand the sens of this succint observation, our poet suggests here that human life is but a series of footnotes to a vast obscure unfinished masterpiece."
Ces quelques lignes peuvent se lirent au premier degré, comme un aphorisme poétique ou la profession de foi de John Sade, mais elles prennent toute leur saveur si l'on considère que Kinbote est en fait en train de décrire son propre commentaire: il met sa vie (imaginaire) en notes de bas de page d'un poème inachevé, celui de John Shade.
Ainsi, comme le démontre Mary McCarthy dans sa préface, Pale Fire est un jeu de miroirs, il suffit de changer de point de vue pour changer la signification des phrases.

J'ai profité de cette relecture pour ajouter à mon zoo une girafe de cristal et un hippopotame violet:
He luncheoned in a likeside café, went for a stroll, asked the price of a small crystal giraffe in a souvenir shop, bought a newspaper, read it on a bench, and presently drove on . (commentaire du vers 408)

After stopping for a minute before the display of a souvenir shop, he went inside, asked the price of a little hippopotamus made of violet glass, and purchased a map of Nice and its environs. (commentaire du vers 697)
« Caress the details », Nabokov would utter, rolling the r, his voice the rough caress of a cat’s tongue, « the divine details ! »