He might be termed a Puritan. One essential dislike, formidable in its simplicity, pervaded his dull soul : he disliked injustice and deception. He disliked their union — they were always together — with a wooden passion that neither had, nor needed, words to express itself. Such a dislike should have deserved praise had it not been a by-product of the man's hopeless stupidity. He called unjust and deceitful everything that surpassed his understanding. He worshipped general ideas and did so with pedantic aplomb. The generality was godly, the specific diabolical. If one person was poor and the other wealthy it did not matter what precisely had ruined one or made the other rich; the difference itself was unfair, and the poor man who did not denounce it was as wicked as the rich one who ignored it. People who knew too much, scientists, writers, mathematicians, crystalographers and so forth, were no better than kings or priests : they all held an unfair share of power of which others were cheated. A plain decent fellow should constantly be on the watch for some piece of clever knavery on the part of nature and neighbor.

Vladimir Nabokov, Pale Fire, commentaire du vers 171

Il y a un peu plus d'un an, j'ai brutalement compris quelque chose qui paraîtra peut-être évident à de nombreux lecteurs : être de gauche, cela ne signifiait pas forcément être généreux et souhaiter partager le bien-être dans le but d'un plus grand bonheur général, être de gauche c'était aussi (parfois ou souvent? je m'interroge) être dévoré par l'envie ou la jalousie et souhaiter punir "les riches", c'était souhaiter s'approprier les biens dont on avait été injustement spolié par une nature et un hasard et une société injustes.

Cette illumination est survenue au milieu d'un très sérieux colloque sur les finances publiques dont le thème était la reditribution sociale. Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE, s'y est exprimé avec violence contre "les riches", il ressortait si clairement de son exposé qu'il souhaitait punir "les riches" plutôt qu'aider ou encourager "les pauvres" qu'au moment des questions de la salle je n'ai pu m'empêcher de poser la question suivante (oh, je suppose que j'aurais pu m'en empêcher, mais il m'avait outrée, j'ai répondu provocation pour provocation): «S'il était en votre pouvoir de changer les choses, préfèreriez-vous que tout le monde soit riche ou que tout le monde soit pauvre?», provoquant à ma grande confusion (car je ne voulais pas gêner l'organisateur du colloque) un grand silence dans la salle avant de me faire remettre vertement à ma place par M. Belorgey, sur le thème "quand on ne fait pas partie de la confrèrie, on se tait" (je ne sais plus quelles ont été ses paroles exactes, ça commençait à peu près par : «Madame, nous sommes ici entre nous et nous nous connaissons bien, si nous avons été durs avec M.Trainar (ils avaient été infâmes), il sait parfaitement que c'est en toute amitié,... (etc)».
Mon intervention était certes déplacée, cependant malgré ma gêne je ne suis pas mécontente d'avoir pu faire entrevoir à M.Sterdyniak toute l'outrance de la sienne.

Je regrette que cette outrance ait été gommée des actes du colloque. Il faut y avoir assisté pour deviner le désir de vengeance ou de revanche que cachent ces constats et ces explications :

Face à un modèle social-démocrate soucieux de corriger la distribution des revenus issus du fonctionnement de l'économie capitaliste par des transferts aboutissant à une forte réduction des inégalités de revenus et par la couverture collective d'une partie importante des besoins (éducation, santé, retraite), le modèle libéral préconise de maintenir les incitations au travail et à l'épargne en réduisant les impôts, les transferts et les dépenses sociales. Dans la période récente, la mondialisation met en péril le modèle social-démocrate puisque les plus riches peuvent refuser la redistribution nationale en choisissant leur lieu de résidence et d'activité.

Henri Sterdyniak, «La redistribution est-elle encore un objectif des politiques budgétaire et sociale?», p.125 in Finances publiques et redistribution sociale, dir. Rémi Pellet

C'est une description raisonnable de la réalité. La tonalité de ce que j'ai entendu ce jour-là ressemblait plutôt à : «Salauds de riches, maintenant ils peuvent s'échapper!»

Plus loin :

La société doit réduire les inégalités de situation en prélevant sur les titulaires de plus hauts revenus et plus forts patrimoines. D'une part, ceux-ci ne sont pas seulement dus au mérite, mais aussi à la chance ou à l'héritage. D'autre part, ils provoquent des effets négatifs à l'échelle sociale : les consommations ostentatoires et luxueuses provoquent des externalités négatives comme des sentiments d'injustice. Ceux-ci sont réduits si les revenus des plus riches sont limités et s'ils participent fortement aux dépenses communes.

Ibid, p.127

On notera que la chance est inacceptable. Au lieu de se réjouir de la chance du voisin (au moins un d'heureux, tant mieux pour lui), on l'envie aussitôt (pourquoi lui et pas moi?). Il ne s'agit pas d'élargir cette chance, d'en faire profiter le plus grand nombre, non, il s'agit de la faire disparaître.

Considérons un retraité, dont la pension n'est que de 20.000 euros par an. Il possède et occupe un logement évalué à 1,5 million (soit une valeur locative de 75.000 euros). Il paye une taxe d'habitation de 5.000 euros, une taxe foncière de 5.000 euros, un ISF de 2.600 euros (compte tenu d'un abattement de 20% sur la valeur de sa résidence principale). Son impôt sur le revenu est de 3.000 euros; le total de ses impôts directs est de 78% de ses revenus. En fait, il bénéficie aussi du loyer imputé de son appartement. On peut donc estimer son revenu, loyer imputé compris, à 95.000 euros et son taux d'imposition sur son revenu ainsi mesuré à 16,4%. Il n'y a guère de raison de lui faire un rabais si on compare sa situation à celle d'un actif de revenu comparable. Le bouclier fiscal lui restituera 3.600 euros, soit plus que le montant de l'ISF. Deux arguments sont souvent avancés : cette personne serait la victime de la hausse des prix de l'immobilier, qui aurait, par exemple, doublé le prix de son logement. Drôle de victime, qui aurait gagné «en dormant», 750.000 euros. Est-il choquant qu'il restitue, par l'ISF, 0,3% par an de son gain à la collectivité? Même si ce gain n'a pas été réalisé, il a permis à son bénéficiaire de dépenser davantage, puisqu'il n'avait plus besoin d'épargner pour laisser un héritage ou se constituer une retraite. Le deuxième est que, bien que riche, il ne peut trouver la liquidité nécessaire pour payer ses impôts. Mais, il peut toujours hypothéquer son bien; ses héritiers peuvent l'aider, compte tenu du patrimoine important dont ils hériteront... Enfin ce cas est rarissime: il est peu probable qu'une personne investisse tous ses avoirs dans son appartement sans garder de quoi vivre (et payer ses impôts).

Ibid, p.156

On aura reconnu la situation pas si rare de vieux Parisiens, d'habitants de l'île de Ré ou de Noirmoutier ou même d'agriculteurs dont la terre déclarée constructible prend brusquement une valeur démesurée d'une année sur l'autre (obligeant les-dits agriculteurs à vendre : j'appelle cela du rackett).
La dernière phrase du paragraphe que je cite est un non-sens : la personne n'a pas tout investi dans son habitation, celle-ci a pris de la valeur du fait d'un mouvement général de l'économie sur les trente ou quarante dernières années.
On notera que M.Sterdyniak ne considère pas impossible de vivre avec 4.400 euros par an (je me demande combien gagne un directeur à l'OFCE). Que la collectivité récupèrera des droits de mutation sur le bien au moment de sa vente ou par le biais des droits de succession, et que donc la plus-value sera bel et bien taxée à un moment ou à un autre, ne semble pas l'effleurer.
Mais ce qui me choque le plus, en fait, c'est que l'analyse ignore totalement les dimensions humaine et affective de la vie. Jamais il n'est pris en compte qu'un objet ou une maison ou une terre puisse être davantage qu'une valeur marchande, qu'il puisse représenter des souvenirs, une histoire. Dans cette vision du monde il n'y a aucune tendresse, tout vaut tout et n'a pour valeur que sa poignée d'écus; de tels économistes n'hésiteront pas à envoyer le retraité vivant depuis quarante ans par hasard et par bonheur dans un deux pièces place des Vosges dans un HLM de Créteil. Après tout, il n'avait qu'à ne pas avoir de chance, c'est bien fait pour lui.
Ce n'est pas tant un monde moins inégal qu'un monde d'où disparaîtrait la chance due au hasard que souhaite ce genre d'hommes de gauche. Il convient que les inégalités soient laminées, mais surtout les inégalités "heureuses", qui ont finalement l'air de choquer davantage ces puristes que la pauvreté et les inégalités "malheureuses". Une telle vision du monde souhaite un monde moins inégal, elle se soucie peu que ce soit un monde plus beau ou plus heureux. Qu'importe qu'on crée du malheur si l'on crée de l'égalité. Le paradoxe, c'est que l'appartement de la place des Vosges ne pourra être racheté que par un réel riche, un "vrai capitaliste": cette structure de pensée favorise en pratique qui elle combat en théorie.