Opération Barbarie

Quand j'eus découvert le nom de Vladimir Volkoff, je fis quelques recherches. Je découvris un romancier plus ou moins journaliste/enquêteur, spécialiste de la désinformation, fervent orthodoxe, ayant des positions contestables sur la guerre de Yougoslavie et soutenant Poutine.
J'achetai au hasard de mes promenades Le Montage (1982) à la brocante paroissiale de notre-Dame de La Trinité. Je ne l'ai toujours pas lu.
Sur Amazon, je trouvai la référence d'Opération Barbarie, qui m'intriga: apparemment c'était le premier livre écrit par Volkoff, c'était un roman qui traitait de la torture en Algérie, et à l'époque, en 1961, il avait été refusé par tous les éditeurs. Il venait enfin d'être édité. Je l'achetai, avec l'intention de l'offrir à O. (le premier livre du Lieutenant X !)
Je le lus et ne l'offris pas.
Je l'ai feuilleté hier soir pour préparer ce billet. Aujourd'hui encore, je ne peux lier intellectuellement le fait que le jeune homme qui écrivit Opération Barbarie en 1961 soit le même que celui qui écrivit Langelot agent secret en 1965. Le premier est trop sombre et le deuxième trop guilleret. Je ne sais si j'en veux au Lieutenant X d'avoir connu des événements qui lui ont permis d'écrire Opération Barbarie ou si j'en veux à Vladimir Volkoff d'avoir été capable d'écrire Langelot après avoir écrit Opération Barbarie.
C'est stupide, je sais. Mais c'est un peu comme si je découvrais que Nounours, dans une vie antérieure, avait eu une vie d'ours sauvage dans un livre de Fenimore Cooper.

Dans son premier livre, Vladimir Volkoff démontre une étonnante maîtrise de narration La succession des événements est raconté à tour de rôle par trois narrateurs différents. L'histoire n'est pas linéaire, elle se présente comme un flash-back. Il subsiste des maladresses, sans doute quelque chose de trop appliqué dû à cette structure artificielle difficile à maîtriser pour un premier livre : parfois, entre l'ironie, les sous-entendus et les surnoms, on ne sait plus bien où on en est. Mais cela reste une réussite pour un débutant.

Parti deuxième classe le 9 septembre 1957 pour faire son service militaire, Vladimir Volkoff s'est porté volontaire pour l'Algérie. Il a servi dans les troupes de marine et a été démobilisé le 7 janvier 1962 comme lieutenant, avec la croix de la Valeur militaire.
Vladimir Volkoff, Opération Barbarie, quatrième de couverture

Le présent volume est composé de deux parties.
Le roman Opération Barbarie, ouvrage de jeunesse, a été écrit en Algérie, dans la vallée de la Soummam, en 1961.
À l'époque, le manuscrit avait été refusé par des éditeurs de droite parce qu'il traitait de la torture et par des éditeurs de gauche parce qu'il ne visait pas à discréditer l'armée française.
Si l'auteur s'est décidé à publier ce texte quarante ans après son écriture, c'est à la suite de la campagne de désinformation déclenchée en 2000 et visant, entre autres, à déstabiliser l'armée française.
Le texte est publié tel quel. L'action est métaphorique et l'ambiguïté du mot « Barbarie » voulue.
L'essai Quarante ans après, écrit en 2001, expose en deux chapitres les réflexions de l'auteur :
— sur la guerre d'Algérie considérée comme une grande occasion manquée ;
— sur la « torture » ou, plus précisément, la question.
Vladimir Volkoff, Opération Barbarie, avertissement situé avant la page de titre

L'arrivée de rebelles au camp militaire, le choix d'un cachot en attendant de les soumettre à la question. Le narrateur est une femme, maîtresse d'un militaire présent:

Bien. L'après-midi, le Minotaure du blockhaus réclama une pitance plus substantielle. On lui en ramena un camion. Tout le monde alla les voir, et j'y fus aussi.
Ils descendaient maladroitement, appendus du bout des ongles aux hautes ridelles, un orteil sur le pneu, l'autre pied à la verticale, comme les danseuses, ou plutôt comme si, déjà, on les écartelait. Des vieux, accrochés à mi-hauteur, voulaient remonter, s'embarrassaient dans les longs manteaux gris qu'ils portaient presque pour tout vêtement; les barbes grises sous les chèches blanchâtres traînaient dans la poussière de la caisse et la hâte générale suggérait une ignoble bonne volonté à se laisser supplicier. Il n'y avait pas assez de menottes pour tout le monde, et on les avait affectées aux jeunes : un gaillard à chèche orange, les mains jointes comme pour le plongeon, sauta. Toute une chaîne de jeunes garçons, une paire de menottes pour deux, se déroula par à-coups et vint se ranger devant le camion comme au pied d'un mur. Les visages, terreux, immobiles, me surprirent : nulle épouvante, nul désespoir visibles ; aucune résignation, même. Simplement, ils étaient devenus encore plus impénétrables que tous les jours, encore plus étrangers. Et c'étaient les haillons, la crasse, les épaules voûtées, les poitrines creuses, les paupières bouffies, qui pourtant n'avaient pas changé depuis hier, qui paraissaient chargés d'exprimer la détresse de l'heure.
N'allez pas vous imaginer que j'eusse à me défendre contre la moindre sensiblerie. Mais d'aimer les hommes, d'en regarder dans les yeux une petite cargaison, et de les savoir tous, sans exception, promis à une séance plus ou moins prolongée de ce qu'il faut bien appeler par son nom: la torture, cela écœure un peu, malgré qu'on en ait.
[...]
Il fallait parer aux évasions, aux indiscrétions, prévoir un accès facile, des issues bien gardées, le moins de publicité possible. Gabriel suggéra un bâtiment qui servait de magasin; mais il y avait des fenêtres; le capitaine, l'infirmerie: elle était trop petite.
[...]
- Trouvé! jappa le roquet roux.
- Où?
- Ici.
Du soulier, il cogna le plancher, qui sonna creux. Burbura :
- Essayez.
On pratiqua une trappe dans le plancher du bureau et l'on vit que l'on disposait, dans l'espace vide entre le plancher et la terre, d'une prison encastrée dans les fondations du bâtiment et déjà partagée en cellules correspondant aux pièces du rez-de-chaussée. Des cellules sans air et d'un mètre de haut, mais à la guerre comme à la guerre : il ne s'agissait pas de confort. Le capitaine s'éclipsa pour n'avoir pas à donner son avis, Gabriel eut un haussement d'épaule qui acquiesçait, et moi, j'écarquillai les yeux pour me contraindre à regarder. Pourquoi me sentais-je responsable ?
- Allez ! Dedans ! jappa le roquet.
- Là? questionna un vieil homme, sans indignation ni horreur, comme pour demander qu'on voulût bien préciser l'information.
- Oui: là. Tu veux que je te prenne dans ma chambre ? Dépêche-toi.
- Je me dépêche.
- Tais-toi.
- Je me tais.
Un à un, les hommes s'affaissèrent dans le trou. Les vieux s'accrochaient aux lattes du plancher puis se laissaient tomber avec une souplesse surprenante ; les jeunes jetaient un regard autour d'eux, comme s'ils ne devaient jamais revoir la lumière du jour, puis sautaient, tels des parachutistes nerveux. Un troufion blond, torche électrique à la main, se déplaçait à quatre pattes dans le souterrain et réglait en rigolant le ballet des taupes humaines.
Je m'approchai de la trappe, et je vis se mouvoir au fond les plantes de pieds et la croupe d'un homme qui gagnait sa cellule en quadrupédie. Le suivant, un vieillard à barbiche blanche, attendait patiemment son tour au bord du trou. Je me forçai à lever les yeux jusqu'aux siens. Il y eut un sourire sur sa vieille petite figure de papier mâché jaune. Je me sentais trop embarrassée pour garder le silence:
- Tu ne seras pas bien, là-bas, murmurai-je honteusement... Et lui, avec courtoisie, il plaisanta :
- Si ce n'est pas pour longtemps...
Rationnelle installation! A présent, dès que nous entrions dans un bureau ou à la popote, nous savions que sous nos semelles grouillaient des hommes, que nous marchions sur de la souffrance humaine, comme les hommes marchent sur l'enfer. Rarement, nous entendions remuer ; rarement, un mot inconnu montait troubler notre digestion à travers un interstice du plancher: la plupart du temps, nos damnés restaient cois, et personne n'aurait pu deviner qu'ils étaient là, croupissants sous le lit, sous la table, sous le soulier clouté. Tout à coup, des cris retentissaient, mais avec l'accent du faubourg ou de Cavaillon; un nom mal prononcé résonnait comme une insulte; un «présent» serviable d'outre-tombe répondait après une hésitation; une bousculade; retombait la trappe: les soldats étaient venus chercher quelqu'un.
- Sont sages, nos clients, disait Burbura en se badigeonnant une tartine de mayonnaise.
- Bande de feignants ! glapissait le roquet roux dès qu'il avait six ou sept anisettes dans le nez. Nous, on bosse toute la nuit par votre faute, et vous, là-dessous, vous vous vautrez sur le ventre toute la journée, et vous ne voulez même pas nous dépanner un bout?
Coups de pied dans le plancher.
- Quand vous aurez passé le pied à travers... sifflait Gabriel.
Dès le deuxième jour, le silence de nos emmurés devint insoutenable.
Sauvagiot se plaignait:
- Ils ne pourraient pas geindre un peu ? Ça serait tout de même moins terrible pour nous.
Le ric avançait le museau :
- On pourrait leur dire.
Le roquet bondissait sur place :
- Mais vous n'avez qu'à faire comme s'ils n'étaient pas là ! Je ne sens pas du tout qu'ils y sont, moi.
Et alors Gabriel, brusquement penché sur la table:
- Question d'odorat, monsieur. Moi, je sens.
Nous reniflâmes. Et, en effet, la tranche épaisse d'humanité compressée sous nos pieds commençait à dégager une odeur compacte qui évoluait vers le haut, par couches successives et de plus en plus nauséabondes, par vagues où se brassaient tous les relents les plus offensants pour la narine, comme une silencieuse et abominable protestation :
«Nous ne pouvons ni écrire, ni chanter, ni parler, ni gémir : que notre puanteur nous serve de témoignage!»
- Mon cher Gaby, tu as raison, dit Burbura. Ils commencent à empester : il faudra en relâcher quelques-uns.
- Vous les relâcherez après leur avoir fait sentir ça !
- Mais, mon cher Gaby, nous aussi, nous sentons ça.
- Oui, dit Gabriel, pédantesque. Seulement nous respirons, et ils exhalent.

Ibid, extraits de la page 107 à la page 111

Snif, snif

De un à huit ans, j'ai habité Agadir, où mes parents étaient coopérants. Nous avions très peu de livres, je me souviens des Voyages de Gulliver offert par mon parrain pour mes sept ans, de Contes et légendes de la Camargue et des gitans dans la célèbre collection blanche à filets dorés, et Flamme et les purs-sangs, que j'ai mis très longtemps à comprendre car il faisait apparaître des extra-terrestres au milieu d'une très classique histoire de chevaux, ce que mon esprit a mis des années à accepter.

Mes pourvoyeurs de livres étaient deux amis, Fabienne et Yvan. Yvan avait avait deux ans de plus que moi, j'ai écumé sa bibliothèque. Nous passions des heures à jouer aux agents secrets dans les dunes (nous lisions Le journal de Mickey, lui était un fan de Mandrake tandis que je préférais Guy l'éclair) et je lisais sa collection de Langelot.
Il les avait tous sauf un, Langelot et le sous-marin jaune. Rentrée en France, je n'eus de cesse de trouver cet introuvable, ce qui ne présenta pas d'ailleurs grande difficulté.
Des années plus tard, la mère d'Yvan a offet tous les Langelot de son fils à la bibliothèque du petit village savoyard où elle habite aujourd'hui. Je lui en veux beaucoup pour ce sacrilège. Si vous empruntez des Langelot à la bibliothèque d'Habère-Lullin, sachez que ce sont "les miens" et qu'ils ont connu Agadir.

J'ai lu tous les Langelot à l'école primaire, je les ai tous achetés et relus en terminale quand j'avais des coups de blues, il m'arrive encore d'en rouvrir un, même si c'est désormais trop léger pour que je puisse les lire de A à Z. Je cherche Langelot et l'inconnue.

En 2001, je crois, en passant chez Gibert, j'ai découvert par hasard qui était le lieutenant X : Vladimir Volkoff. Les Langelot étaient en effet en cours de réédition aux éditions du Triomphe, et le mythique Lieutenant X. dévoilait son identité. J'étais triste que le secret soit levé et surprise que l'auteur soit vivant. Il est mort en 2005.

Je suis toujours surprise du nombre de personnes autour de moi qui ont lu Langelot. On se fréquente de loin ou de plus près, conversations de bureau, conversations internautiques, amis d'amis rencontrés tous les deux ans à des célébrations d'anniversaire, et puis un jour, on se rend compte qu'on a un point commun: Langelot, "Solitaires mais solidaires", snif snif, Choupette, la 2CV, le pitaine, Hedwige, la Midget bleue, le professeur Propergol, "Tu parles trop, Charles"... A tort ou à raison, dès que quelqu'un me dit qu'il a lu Langelot, j'ai l'impression que nous avons des valeurs communes.
Il faudrait fonder un club.

Pour le plaisir, je mets en ligne le début du premier livre, et un passage sur la place de l'art dans les voyages organisés.

«C'est ma gamelle, je te dis! cria le grand rouquin agitant ses longs bras.
— Erreur! C'est la mienne! répliqua le petit blond se ramassant en boule.
— Gare à toi! Je t'écrase! menaça le grand.
— Essaie, répondit le petit.
— Kss ! Kss ! mords-le ! » firent les autres en formant un cercle.

Une de ces casernes sinistres, malodorantes, que le maréchal de Lattre voulait démolir toutes. Celle-ci — par ironie, eût-on dit — s'appelait justement caserne De-Lattre-de-Tassigny. Elle était située dans la banlieue parisienne et abritait, entre autres services et unités, la «Commission de présélection anticipée». Cet organisme au nom biscornu était chargé d'orienter les jeunes gens de dix-huit ans, dûment recensés, vers les armes dans lesquelles ils feraient, deux ans plus tard, leur service militaire.
Elle faisait même mieux que cela, la Commission. Ses moyens très perfectionnés lui avaient permis de déceler chez certains garçons, qui n'avaient pas eu la chance de pouvoir poursuivre leurs études, des capacités intellectuelles peu ordinaires : elle les avait aussitôt dirigés vers des établissements spécialisés qui en avaient fait des ingénieurs et des officiers de réserve.
Hélas! la juridiction moderne, efficace, de la Commission ne s'étendait pas en dehors de ses locaux. Résultat : deux des garçons qu'elle accueillait pendant trois jours, pour des tests et des examens divers, en étaient réduits à se battre pour une gamelle modèle 14 modifié 39! En effet, le « grand » avait perdu la sienne et prétendait s'approprier celle du « petit », pour n'avoir pas d'ennuis avec l'adjudant, le jour du départ.
« Allez, rends-moi ma gamelle sans faire d'histoires ou je t'assomme, reprit le grand. Moi, je pèse 60 kilos et je...
— Tu m'assommes déjà avec tes discours! rétorqua le petit. Il y en a qui sont doués, tout de même, comme orateurs.
— Vas-y le grand!
— Vas-y le petit! »
Quarante-huit garçons brandissant leur gamelle (modèle 14 modifié 39) excitaient les adversaires.
« Eh bien, ce sera tant pis pour toi », dit le grand en avançant d'un pas.
Et lança le poing.
Il dominait l'autre de la tête, d'une bonne demi-carrure et de la moitié de la longueur du bras.
Un ou deux spectateurs à l'âme sensible fermèrent les yeux pour ne pas voir ratatiner leur camarade... Lorsqu'ils les rouvrirent, ils virent le grand à plat ventre, au sol, le nez dans le gravier, un bras tordu derrière le dos. Le petit, qui lui avait enfourché les reins, lui demandait gentiment:
«Dis, je te casse l'avant-bras ou je ne te le casse pas?»
Les apparences, il faut l'avouer, étaient trompeuses. L'adjudant chargé de la discipline, que les cris des garçons avaient alerté, pouvait difficilement deviner que le coupable se trouvait dessous et que le polisson qui caracolait sur son dos n'avait d'autre tort que de tenir à sa gamelle et de connaître un peu de judo. D'autant plus qu'il s'agissait en l'occurrence d'un adjudant spécialisé dans l'inspection des boutons de guêtres et des semelles de chaussures, qui n'avait jamais vu le feu, jamais exercé un commandement, et s'était contenté d'une carrière glorieuse opiniâtrement poursuivie depuis trente ans dans la même caserne.
« De quoi? tonna-t-il. Ça n'est même pas encore jeune recrue et ça veut faire la loi? Petite brute! Je m'en vais vous apprendre à vous bagarrer dans la cour du quartier! Civil ou pas, ça m'est égal. Si vous n'êtes pas content, vous irez le dire au colonel. Au trou, et pas de discussion! »
A la grande surprise des spectateurs, le vainqueur n'opposa pas la moindre résistance, ne tenta pas la moindre justification. Il se releva lentement.
«J'emporte ma gamelle. Vous permettez?»
Et, tête haute, il suivit l'adjudant jusqu'à la prison où il commença immédiatement une partie de dominos avec des soldats qui s'y trouvaient déjà.

Lieutenant X., Langelot agent secret, chapitre 1

Lorsque Langelot entra dans la salle de délibérations, il vit, assis derrière une table recouverte d'un tapis vert, une douzaine d'officiers portant les uniformes les plus divers de l'Armée française, bleus ou moutarde, avec fourragère ou sans, étincelants de galons, émaillés de décorations, chemise kaki pour les uns, chemise blanche pour les autres, avec des cravates noires, des cravates marron, une cravate verte, et des accessoires variés, depuis le fume-cigarette de l'aviateur jusqu'au stick du colonel qui présidait. Au bout de la table, unique de son espèce, un civil.
Les officiers, eux, virent s'avancer un garçon de petite taille, en chandail vert et pantalon noir, les traits menus mais durs, le front largement barré d'une mèche blonde, le regard bleu, attentif, sur la réserve. Il s'inclina avec aisance, sans prononcer un mot. Les officiers s'entre-regardèrent. Montferrand bourrait sa pipe. Un silence pesa. Enfin :
« Asseyez-vous, jeune homme », dit le colonel avec bienveillance.
Le garçon s'assit face aux officiers.
« Nous vous avons demandé de venir le premier parce que la machine a exprimé à votre sujet un avis assez peu ordinaire, reprit le colonel. Vous savez, n'est-ce pas, que les résultats de tous les tests que vous avez subis sont analysés par une calculatrice électronique?...
— Oui, mon colonel. »
La voix était fermé, bien timbrée. Le ton poli et distant.
« Monsieur Langelot, j'ai votre dossier sous les yeux. Vous êtes orphelin de père et de mère, je vois?
— Mes parents sont morts dans un accident d'avion.
— Vous avez fait vos études dans un collège. Vous avez votre baccalauréat. A quelle carrière vous destinez-vous?
— Je ne sais pas, mon colonel.
— Vous ne savez pas?»
L'ombre d'une expression espiègle passa sur le visage fermé du garçon:
«Il n'y a pas tellement de carrières amusantes, mon colonel. Vous ne trouvez pas?»
Le colonel regarda Montferrand qui bourrait toujours. L'artilleur se pencha en avant:
«Vous avez des frères, des sœurs?»
Langelot hocha la tête, négativement.
Le parachutiste chuchota à l'oreille du colonel président:
«Il est sportif?
— Equitation, judo, natation», lut le colonel dans le dossier.
Le spécialiste des engins demanda: «En classe, vous avez fait du latin ou des mathématiques?
— Les deux, mon capitaine.»
Le fantassin, qui avait fini d'additionner ses fiches, leva le nez:
«Vous n'avez jamais songé à une carrière militaire?
— Oh ! non, mon capitaine.
— Pourquoi cela?
— Ça ne m'amuserait pas du tout d'appuyer sur des boutons pour faire partir des fusées.»
Les officiers s'entre-regardèrent de nouveau. Ils avaient fait, eux, de vraies guerres, où l'ennemi se trouvait à une portée de fusil — quelquefois à une portée de baïonnette. Mais, dans l'avenir, il fallait bien se rendre à l'évidence, la guerre appartenait aux techniciens.
Le spécialiste des engins fit «Hum!» mais n'objecta rien.
«Comme je vous le disais, reprit le colonel, la calculatrice vous tient en haute estime, monsieur Langelot. Elle nous conseille de vous confier des responsabilités qui paraissent au-dessus de votre âge, mais qui, peut-être, vous «amuseraient». Seriez-vous éventuellement disposé à devancer l'appel et à contracter un engagement d'une durée de plusieurs années?
— Cela dépendrait, mon colonel.
— Sans doute. Pensez-vous que, si vous preniez pareille décision, votre tuteur s'y opposerait?
— Sûrement pas... » La même expression espiègle : « Il serait ravi qu'il m'arrive quelque chose. Il administre pour moi les biens de mes parents. »
Tout à coup, Montferrand, qui avait enfin allumé sa pipe, prit la parole:
«Dites-moi, Langelot, vous vous bagarrez souvent comme vous l'avez fait aujourd'hui?»
Langelot tourna son regard attentif vers Montferrand, réfléchit un moment, et répondit :
«Très rarement, mon commandant.»
Les officiers chuchotèrent entre eux. Montferrand demanda:
«Pourquoi m'appelez-vous «mon commandant»? Vous voyez bien que je suis civil.
— Vous êtes en civil, corrigea Langelot. J'avais pensé, d'après votre coupe de cheveux et votre regard, que vous étiez militaire... Et commandant d'après votre âge.»
Le parachutiste se mit à rire. Le colonel se dissimula la bouche avec deux doigts. Tout le monde regardait les cheveux gris, drus, coupés en brosse, de Montferrand, qui répondit, avec sérénité:
«Eh bien, vous vous trompez. Je suis civil. Je m'appelle Roger Noël et je suis enchanté de faire votre connaissance.»
Il tendait la main.
Langelot se leva pour aller la prendre et la serrer. Il avait la poignée énergique et rapide. Ses yeux bleus et les yeux marron de Montferrand se croisèrent.
«Vous aviez raison ou tort, tout à l'heure, quand vous vous êtes battu? demanda l'homme.
— J'avais raison, répondit le garçon sans hésiter.
— Vous avez essayé de l'expliquer à l'adjudant?
— Non.
— Pourquoi?
— Il n'était pas d'humeur à comprendre.»
Le colonel toussota. Montferrand inclina gravement la tête.
«Il faut apprendre à avoir confiance en ses supérieurs, dit-il. Les supérieurs sont rarement d'humeur à comprendre. Il faut les y forcer. Maintenant, Langelot, sans aucun engagement de part ni d'autre — car il faut que nous réfléchissions, vous et moi —, seriez-vous disposé à consacrer plusieurs années de votre vie à vous occuper de documentation? Je vous précise tout de suite que la formation d'un documentaliste coûte très cher à l'Etat et que, par conséquent, une fois que vous aurez signé un contrat, il ne sera plus question de filer vendre du cirage ou des nouilles. Je vous précise aussi, à toutes fins utiles, que la documentation est un travail sérieux, absorbant, souvent fastidieux, qui ne ressemble guère à ce que vous avez pu lire dans les romans d'espionnage. Vous me comprenez bien? Dernier point : je vous précise que c'est un travail dangereux...»
Tout en parlant, Montferrand observait le visage du garçon. Au mot «dangereux», il y eut enfin une réaction: le visage s'éclaira brusquement.
«Je crois que j'aimerais assez ça, monsieur.
— Bien. Si le colonel permet, vous pouvez disposer. Je. vous reverrai cet après-midi pour vous dire ce que j'aurai décidé de mon côté.»

Ibid, chapitre 3

Langelot est en mission en Angleterre. Il prend part à un voyage organisé et se mêle aux touristes ordinaires. Leur guide est une jolie jeune fille nommée Clarisse:

Après avoir désigné la colonne Nelson, les lions, l'arche de l'Amirauté et Whitehall, Clarisse annonça aux passagers qu'ils disposaient d'une heure pour visiter le plus beau musée de peinture de l'univers, à savoir la National Gallery. Tout le monde débarqua.
La dame corpulente dit au monsieur à barbiche:
«J'aimerais tant voyager si on ne me forçait pas toujours à regarder des tableaux!
— Une heure, ça se supporte encore», répondit le monsieur.
La National Gallery fut inspectée au pas gymnastique. A l'entrée de chaque salle, Clarisse annonçait:
«Ici, vous avez trois Sebastiano del Piombo, un Léonard de Vinci, et sept peintres mineurs.»
Ou bien:
«Ici, vous n'avez pratiquement que des Rubens.»
Mais ces Piombo, ces Rubens, ces Vinci, il n'était pas question de leur accorder un coup d'œil. Clarisse Barlowe n'avait aucune indulgence pour les brebis égarées. Si l'une de ses ouailles s'attardait devant un tableau, elle avait tôt fait de la rappeler à l'ordre:
«Pressons, madame. Pressons, monsieur. Nous avons encore trois cent quatre-vingt-sept tableaux à admirer...»
Guide exemplaire, la jeune Anglaise si frêle et si rose, jouant à la fois le berger et le chien du berger, contrôlait son monde à la sortie de chaque salle; quand on eut regagné l'autocar, elle put donc annoncer d'un air fort satisfait qu'on avait cinq minutes d'avance sur l'horaire. Les plus âgés des touristes étaient un peu essoufflés, mais chacun s'estimait heureux d'être quitte de la National Gallery à si bon compte.
Le voisin de Langelot leva la main.
« Miss Barlowe, combien de musées devons-nous encore voir?
— Deux, monsieur. La Tate Gallery et le British Museum.
— Zut!» dit laconiquement le garçon.
Mais un autre passager, gros homme à la carrure de boxeur, exigea un complément d'information :
«Pouvons-nous compter sur vous, Miss Barlowe, pour nous les faire visiter aussi vite que celui que nous venons de voir?
— Certainement », répondit Clarisse.
Le gros homme s'épanouit et sourit même à Langelot:
«Voyez-vous, jeune homme, c'est ainsi qu'il faut voyager. Voir le plus de choses dans le moins de temps possible. Les victoires, les défaites, ça, c'est bon pour les jeunes comme vous qui ont encore leurs cours d'histoire à la mémoire. Moi, ce qui m'intéresse, c'est la quantité. Savez-vous pourquoi je suis venu au W.T.A.? Parce que j'ai un ami qui m'a dit: «Avec «W.T.A., tu en auras pour ton argent.» Et je commence à croire qu'il avait raison.»

Lieutenant X., Langelot et les saboteurs, p.56

La première fois que j'ai compris ce qu'était vieillir

C'était en 2000 ou en 2001.

Paul Rivière m'avait confié son incapacité à lire Proust: trop long, trop verbeux, trop ampoulé. Croisant Comment Proust peut changer votre vie dans une librairie, je le feuilletai. Il me fit sourire, je l'achetai, le lus, l'abandonnai à Paul.
C'est un livre qui peut permettre à ceux qui n'aiment pas Proust ou ont peur de Proust d'avoir l'impression qu'ils pourraient ou pourront aimer Proust. Il est possible que cela permettent à certains d'essayer enfin de le lire.
Néanmoins je le déconseille à ceux qui lisent et aiment Proust : ils trouveront ce livre creux.

Mais il est vif, brillant, bien écrit, et c'est à cela que je voulais en venir : Alain de Botton est plus jeune que moi, c'était la première fois que je trouvais acceptable un livre écrit par quelqu'un de plus jeune que moi. Je pris soudain conscience qu'il était trop tard, que de plus jeunes prenaient la place que je n'occuperais jamais, j'éprouvai l'impression physique d'être poussée vers la fin par la marée ininterrompue des nouveaux venus, qui eux-mêmes continueraient d'être agités des mêmes passions, incapables eux non plus de trouver la moindre solution, et leurs vies à leur tour s'écouleraient inexorablement, le sable du temps nous engloutissant les uns après les autres sans que le flux des hommes ne tarisse.
C'est un destin curieux que le destin des hommes.

Aujourd'hui, je m'aperçois que ce sentiment d'étrangeté est le même que celui que je ressens à lire Borges. Il est celui qui a le mieux exploré et exprimé cette énigme du temps humain, infini et immobile, inscrivant la mort sur fond d'instants et d'éternité.

[...]
Être immortel est insignifiant; à part l'homme, il n'est rien qui ne le soit, puisque tout ignore la mort. [...]
Exercée par un entraînement séculaire, la république des Immortels était parvenue à une certaine perfection de tolérance et presque de dédain. Elle savait qu'en un temps infini, toute chose arrive à tout homme. Par ses vertus passées ou futures, tout homme mérite toute bonté; mais également toute trahison par ses infamies du passé et de l'avenir. Ainsi, dans les jeux de hasard, les nombres pairs et impairs tendent à s'équilibrer; ainsi s'annulent l'astuce et la bêtise, et peut-être le grossier poème du Cid est-il le contrepoids exigé par une seule épithète des Églogues ou par une maxime d'Héraclite. [...]
Parmi les corollaires de la doctrine selon laquelle il n'existe aucune chose qui ne soit compensée par une autre, il en est une de très peu d'importance théorique, mais qui nous conduisit, à la fin ou au début du Xe siècle, à nous disperser sur la surface du globe. Il tient en quelques mots : Il existe un fleuve dont les eaux donnent l'immortalité; il doit donc y avoir quelque part un autre fleuve dont les eaux l'effacent. Le nombre des fleuves n'est pas infini; un voyageur immortel qui parcourt le monde, un jour aura bu à tous. Nous nous proposions de découvrir ce fleuve.
La mort (ou son allusion) rend les hommes précieux et pathétiques. Ils émeuvent par leur condition de fantômes; chaque acte qu'ils accomplissent peut être le dernier; aucun visage qui ne soit à l'instant de se dissiper comme un visage de songe. Tout, chez les mortels, a la valeur de l'irrécupérable et de l'aléatoire. Chez les Immortels, en revanche, chaque acte (et chaque pensée) est l'écho de ceux qui l'anticipèrent dans le passé ou le fidèle présage de ceux qui, dans l'avenir, le répèteront jusqu'au vertige. Rien qui n'apparaisse pas perdu entre d'infatigables miroirs. Rien ne peut arriver une seule fois, rien n'est précieusement précaire. L'élégiaque, le grave, le cérémoniel, ne comptent pas pour les Immortels. Homère et moi, nous nous sommes séparés aux portes de Tanger; je crois que nous ne nous sommes pas dit adieu.
[...] J'ai été Homère; bientôt, je serai Personne, comme Ulysse; bientôt, je serai tout le monde : je serai mort.

Jorge Luis Borges, L'Immortel, dans le recueil intitulé L'Aleph dans la collection L'Imaginaire Gallimard.

Douloureuse Russie

J'ai commené le livre d'Anna Politkovskaïa.
Je vous livre quelques extraits dans les premières pages.

On parle souvent de la corruption russe. Au quotidien, nous pourrions dire qu'il s'agit avant tout d'un sens très particulier de la saisie des opportunités qui se présentent :

La commission électorale de la région avait mis en place une «hotline» destinée à recevoir les appels signalant des infractions commises lors de la campagne et du vote proprement dit. Mais 80% des appels reçus relevaient du chantage le plus simple exercé sur les autorités communales, et non de quelques préoccupations politiques que ce soit. Il faut bien dire que les gens de chez nous ont un don pour tirer parti de toute agitation politique. Les citoyens exigeaient qu'on fasse réparer leurs canalisations percées, qu'on installe enfin le chauffage chez eux, etc. Sinon, laissaient-ils entendre, nous n'iront pas voter... Eh bien, ils eurent gain de cause : les habitants des quartiers Zavodskoi et Leningradski de la ville de Saratov obtinrent eau chaude et eau froide; non loin de là, dans certains villages du district d'Aktarst, on rétablit enfin l'approvisionnement en électrécité.
Douloureuse Russie, p. 11

Il existe une option intéressante, au moins pour les législatives:

Seule ombre au tableau pour le pouvoir : le vote «contre tous» — une option permettant de traduire le rejet de tous les candidats en lice — atteignit 10% des suffrages exprimés. Ce qui signifie qu'un électeur sur dix s'est rendu aux urnes, a bu un verre ou deux de vodka... et a décidé d'envoyer tout le monde au diable.
Ibid, p 13

Je me demande ce qui se passerait si un tel vote avait la majorité, car si je comprends bien, il ne désigne personne. Un vote blanc exprimé, en quelque sorte.

Un extrait d'une rédaction d'une lycéenne de St-Pétersbourg :

« Ma mère dit que tout est arrangé d'avance, que le résultat est déjà joué avant même que les gens aillent voter. Je pense que voter est complètement inutile. Quand j'étais petite, je croyais que plus une personne était célèbre, plus elle était intelligente et sensée. Mais en grandissant, j'ai compris que même quelqu'un de parfaitement stupide était capable de parvenir au gouvernement Alors, aller voter, pour quoi faire? D'autant plus qu'aucun être sain d'esprit ne pourrait déclarer qu'il faudrait buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes[1]"...»
Ibid, p 13

Politkovskaia déplore que ces concitoyens aspirent davantage au confort qu'à la liberté :

On pourrait se poser la question : à quoi Iavlinski a-t-il donc servi, avec les grands principes de probité qu'il n'a cessé de proclamer depuis quinze ans? Et à quoi a donc servi le SPS, qui voulait tant instaurer une économie de marché à visage humain? Pour l'instant, rares sont ceux qui définissent la liberté de la même manière que ces deux partis. Pour les riches de chez nous, être libre, c'est avoir des vacances réussies. Et plus on est riche, plus on part souvent en vacances. Pas en Anatolie, trop accessible au petit peuple, mais à Tahiti. Ou à Acapulco. Ces gens-là ne songent même pas à la vraie liberté. Pour l'immense majorité d'entre eux, seul compte l'accès au confort. Dès lors, pourquoi ne promouvraient-ils pas leurs intérêts en corrompant les partis bien en cour au Kremlin? Il faut bien comprendre que la plupart sont corruptibles d'une façon très primitive : chaque question y a son propre « prix ». Qui est prêt à payer ce prix obtiendra le projet de loi dont il a besoin. Ou bien « son » député pourra attirer l'attention du parquet général sur les activités de tel ou tel de ses concurrents (un moyen très usité par les hommes d'affaires pour se débarrasser de leurs adversaires).
Ibid, p 16

«être libre, c'est avoir des vacances réussies» : no comment.

Je pourrais tout citer. Chaque page m'arrête : réflexions sur le parti communiste p.18, adhésion enthousiaste du peuple russe à un «petit père» p.19, suppression d'émissions télévisées («A quoi peut bien servir une émission qui invite des perdants?», commentaire de Poutine, p.20), passivité du peuple russe devant la disparition du régime parlementaire, pouvoir exécutif et législatif étant fondu en une «verticale unique» p.22:

Deuxièmement — et c'est la raison essentielle pour laquelle on doit parler de « fin » et non de « crise » du parlementarisme russe —, le peuple a accepté l'évolution de ces dernières années sans broncher. Personne n'a bougé quand Poutine a établi sa fameuse « verticale du pouvoir ». Il n'y a eu ni manifestations, ni protestations de masse, ni actions de désobéissance civile. Le peuple a tout « avalé » et il a consenti à vivre non pas sans Iavlinski, mais sans démocratie. Un chiffre est particulièrement parlant à cet égard. D'après une enquête d'opinion de l'institut d'études sociologiques «Vtsiom-A», à la question : «Au cours des débats organisés à la télévision à l'occasion de la campagne électorale, les représentants de quels partis vous ont semblé les plus convaincants?», 12% des Russes ont répondu : «Les représentants de Russie unie.» Or ceux-ci avaient refusé de prendre part à quelque débat télévisé que ce soit, arguant que «leurs actions parlaient pour eux»!
La population a donc entériné la restauration d'une nouvelle Union soviétique - une URSS légèrement retouchée, relookée, modernisée, mais une URSS tout de même, dotée d'une sorte de capitalisme bureaucratique dans lequel les hauts fonctionnaires ont remplacé les oligarques des années 1990.
Dès lors, l'élection présidentielle de mars 2004 était jouée d'avance.
Ibid, p.23

L'écriture d'Anna Politkovskaia est nette, sa pensée claire, parfois on suit presque trop facilement (on comprend que si la politique russe paraît si compliquée vue de loin, c'est que chacun "glisse" au rythme de ses intérêts ou de sa peur et qu'il est normal de s'y perdre si l'on ne la suit pas jour après jour), on s'interroge : Anna Politkovskaia ne se laisse-t-elle pas emporter par ses convictions, qu'a-t-elle pour étayer ses affirmations?
Et le livre continue et quelques pages plus loin on a honte d'avoir douté.

Par exemple, elle raconte l'histoire d'une mère de soldat qui a porté plainte suite à la mort de son fils en Tchétchénie : je soupire avec incrédulité, un soldat mort à la guerre, cela arrive, tout de même.
Voici les faits :

La Russie mène au Caucase une guerre étrange. À première vue, on pourrait croire que tous les soldats des troupes fédérales sont des frères d'armes. Mais, en réalité, il n'en va pas du tout ainsi. Les effectifs du ministère de la Défense sont à couteaux tirés avec ceux du FSB[2] et du ministère de l'Intérieur. Quand des officiers de l'armée disent : « Ce ne sont pas les nôtres qui ont été tués », cela signifie que ce sont des policiers ou des membres des forces de l'Intérieur qui ont trouvé la mort. Cette animosité réciproque a suscité une interminable lutte autour de la désignation du commandant en chef de toutes les unités engagées dans le Caucase du Nord. L'enjeu est de taille : chacun sait bien que si le commandant en chef est issu des rangs de l'armée, les deux autres catégories de troupes ne doivent même pas espérer obtenir suffisamment de munitions et d'émetteurs-récepteurs.
C'est ce qui s'est passé dans ce cas précis. Kazantsev, un officier de l'armée, a donné des ordres à des hommes qui relèvent de l'Intérieur.
Au début, pourtant, tout semblait bien se passer. Le 10 septembre, à une heure du matin, les quatre-vingt-quatorze combattants des forces spéciales réussirent à prendre la colline sans pertes. À six heures, le général major Tcherkachenko reçut un rapport serein du major Iachine, qu'il transmit immédiatement à Kazantsev. Décidant que tout allait pour le mieux, celui-ci alla dormir, pour ne réapparaître qu'à huit heures quarante.
Mais à six heures vingt, les hommes de Iachine furent attaqués. À sept heures trente, les boïeviki commencèrent à les encercler, Iachine appela le centre opérationnel pour obtenir des renforts. Mais Tcherkachenko, qui y était le numéro un en l'absence de Kazantsev, ne pouvait rien pour lui. Il savait déjà, à cette heure-là, qu'un autre détachement des forces de l'Intérieur, dirigé par le général major Grigori Terentiev, avait essayé de rejoindre les hommes de Iachine, mais avait été repoussé après d'âpres combats : quatorze combattants de Terentiev avaient été tués et beaucoup d'autres, dont le général major lui-même, avaient été blessés. Cinq véhicules blindés brûlaient sur les flancs de la colline...
Hormis le détachement de Terentiev, personne n'avait l'intention d'essayer de briser l'encerclement de Iachine. Les seules troupes disponibles relevaient de l'armée, et elles n'avaient aucune envie de risquer leur peau pour des hommes de l'Intérieur. Quant à Kazantsev, le seul qui aurait pu donner un tel ordre, il dormait. À huit heures trente, Iachine hurla dans sa radio qu'il ne restait à ses hommes qu'une seule cartouche de munitions chacun, et qu'il fallait abandonner la position. Tcherkachenko était d'accord. À huit heures quarante, Kazantsev se réveilla et entra en courant dans le centre de commandement. Il ne pouvait pas comprendre pour quelle raison Iachine se retirait. Et il lui donna l'ordre de « tenir jusqu'au bout ». Les gens de l'armée sont impitoyables envers les « étrangers ».
Mais à ce moment-là, le centre opérationnel perdit tout contact avec Iachine. Les batteries des radios étaient mortes. Le major était devenu « sourd ». Et, par conséquent, indépendant. Iachine divisa son détachement en deux groupes. Il prit le commandement du premier et confia le second au sous-colonel Gadouchkine. À onze heures du matin, les deux groupes se mirent à redescendre de la colline par deux flancs différents. C'était leur seule chance de survivre. Depuis le centre opérationnel, Kazantsev vit les deux groupes descendre... et donna l'ordre de bombarder les flancs de la colline qu'ils étaient en train de dévaler. Pourquoi? Tout simplement parce qu'il avait déjà transmis « en haut » que son plan avait été un succès et que les fédéraux tenaient la colline.
Vers quinze heures, deux bombardiers SU-25 apparurent au-dessus du groupe de Iachine qui venait de rompre son encerclement et pouvait enfin espérer sauver sa peau. Ils exécutèrent plusieurs frappes « chirurgicales » droit sur les combattants russes. À la demande expresse de Kazantsev, le coordinateur de l'opération aérienne était le général lieutenant Valéri Gorbenko, chef de la 4e armée des forces aériennes et de la DCA. Au moment des frappes, Kazantsev et Gorbenko se trouvaient au poste d'observation du centre opérationnel. Ils virent de leurs propres yeux le groupe de Iachine se faire massacrer, alors que les survivants actionnaient leurs fusées de détresse pour montrer aux avions qu'il ne fallait pas tirer sur eux...
Ibid, p. 62

J'ai l'impression de regarder un film ou de lire un roman d'espionnage, un livre ou un film où il ne serait absolument pas assuré que le bon gagne à la fin: prise d'otages terminée de façon sanglante, sans qu'on comprenne pourquoi tous les terroristes (endormis) ont été abattus sur place (qu'auraient-ils raconté?), attentats sans doute commandités par le pouvoir (et à chaque fois, des centaines de morts et de blessés), enlèvement de l'un des candidats à l'élection présidentielle, candidat qui réapparaît une semaine plus tard visiblement choqué et se réfugie à Londres, tandis que le bruit court qu'on lui a extorqué des informations en le droguant. Ce candidat aurait possédé des documents compromettants pour Poutine.
Une fois encore on se dit «A-t-elle des preuves? Suppositions que tout cela.» (Ô cette incrédulité cartésienne.)
Un soir Politkovskaia reçoit un coup de téléphone :

Je reçois un coup de téléphone à la rédaction de mon journal, Novaïa Gazeta. Mon interlocuteur prétend appartenir aux services spéciaux : « Transmettez à Londres — je sais que vous avez des contacts là-bas — que si Rybkine apparaît à la télévision et y exhibe des documents compromettants pour Poutine, il y aura un nouvel attentat. Le président serait obligé de déplacer l'attention de l'opinion publique... »
J'ai transmis le message. Mais Rybkine a déjà renoncé à tout. Il craint pour sa vie.
Ibid, p.109

J'en suis à la p.125. Je connais déjà la fin : la mort de l'auteur. Et je comprends déjà que Poutine a dû être bien malheureux (très en colère) de devoir céder à la pression de l'opinion internationale et de devoir dire quelques mots de regret à propos de l'assassinat d'Anna Politkovskaia. Non, il ne regrettait pas, il devait être soulagé et vengé.

Au fond de moi demeure la conscience poignante que si elle n'avait pas été assassinée, je ne serais pas en train de la lire.
Que dire?

Notes

[1] promesse de Vladimir Poutine faite le 24 septembre 1999

[2] ex-KGB

Ecouter Proust

En 1996, je fus embauchée en CDD dans une grande société d'assurance. Très vite je trouvai le chemin de la bibliothèque du CE, où je découvris Lawrence Block, Ralph König (Le retour de la capote qui tue (une bibliothécaire progressiste comme vous voyez)) et des livres enregistrés sur cassettes.

Je n'ai pas la télévision, je traite les tâches ménagères par le mépris, je peux rester avec six mois de linge en retard, repassant une chemise sur le bord du lit en catastrophe le matin de temps en temps : j'essayai donc les cassettes.
C'est ainsi que je me mis à repasser — un peu plus — régulièrement, écoutant la deuxième partie de Don Quichotte (ils n'avaient pas la première, c'est ballot (Zvezdo ®)), Emma Bovary à qui je trouvai des charmes de couleur et de mouvement insoupçonnés (je me souviens d'un extraordinaire mouvement tournoyant de la robe), Prose du Transsibérien (dans l'espoir déçu de l'apprendre par cœur), La Princesse de Clèves, Les Liaisons dangereuses, Le Père Goriot,... J'achetai l'adaptation du Lord of the Ring pour la BBC (onze cassette entièrement tournées vers l'action, disparition de l'épisode de Tom Bombabil), Revolting Rythmes de Roalh Dahl (ça, c'est très très drôle), des nouvelles des frères Coen que je n'ai jamais comprises (ça parle trop vite avec trop d'argot), etc.
(Je prête tout, il suffit de demander).

En 2001, m'ennuyant profondément, je décidai de reprendre des études de philosophie par correspondance. Suite à une mauvaise recherche sur internet (ou alors, à l'époque, ils étaient les seuls à avoir un site à jour), je m'inscrivis à... Toulouse (ce qui donna lieu à des transhumances curieuses au moment des examens, du genre prendre le train de nuit directement en sortant du travail, passer des oraux à Toulouse, revenir par train de nuit et réembaucher 48 heures plus tard comme si de rien n'était sans avoir remis les pieds chez moi entretemps (car bien entendu je n'avais pas prévenu mes employeurs)).
Evidemment, je n'avais pas beaucoup de temps pour étudier, faire les devoirs, lire les œuvres imposées. Je vécus sur mes acquis (en d'autres termes cela ne me servit pas à grand chose puisque je n'étudiai pas avec sérieux) et achetai les cassettes disponibles des œuvres littéraires au programme : Un amour de Swann.

C'est ainsi que je commençai à écouter La recherche du temps perdu. Cela fait cinq ans qu'elle m'accompagne partout, sur les longs trajets en voiture, et surtout dans la cuisine (les heures d'ennui de la vaisselle, Guillaume!) Il y a deux mois, j'ai été bloquée à la fin du Côté de Guermantes (oui, je ne vais pas vite : je réécoute de nombreuses fois les mêmes cassettes ou les mêmes disques) : Sodome et Gomorrhe n'était pas enregistré. La Prisonnière oui, mais pas Sodome et Gomorrhe. Il allait falloir que je trouve le temps de le lire.
Et puis non, finalement non.

Ouf ! Seize années de persévérance, et le voici, ce coffret de 111 CD contenant l'intégrale de «A la recherche du temps perdu»: 137 heures d'écoute! En 1990, les éditions Thélème naquirent de ce projet d'un temps nouveau. Proust venait d'entrer dans le domaine public lorsque Adeline Defay, par passion pour l'œuvre, réunit de grands comédiens qui lisent en studio 7 à 20 pages par séance de trois heures, pour préserver l'intensité du rapport au texte. André Dussollier commence avec « Du côté de chez Swann » sur cassettes audio (comme le temps et les supports passent !) et conclut avec « La prisonnière ». Entretemps l'ont rejoint Lambert Wilson, Robin Renucci, Guillaume Gallienne, Michaël Lonsdale et Denis Podalydès. Ce dernier, auquel on doit déjà la performance de la version sonore (et intégrale) du «Voyage au bout de la nuit» de Céline (Frémeaux et associés), est intarissable sur son bonheur de lecteur d'«Albertine disparue» et du «Temps retrouvé»: «Je suis un liseur, selon la définition de Jacques Roubaud. Je lis comme je mange. Et depuis toujours, je dévore, alors si l'on me paie pour augmenter mon temps de lecture, surtout s'il s'agit de Proust, j'accepte avec plaisir L'acteur, quand il est lecteur, est le metteur en scène de lui-même, il entre dans l'intimité du texte, et cette immersion dans la littérature peut même lui donner l'illlusion d'être écrivain. En retrouvant la trace de l'écriture par la voix, c'est presque comme s'il reprenait la plume... Quand j'écoute, en voiture, Guillaume Gallienne lire "Sodome et Gomorrhe", j'ai envie de reprendre le livre pour voir où il a respiré.» Alors que s'achève cette édition, Thélème rempile: «Il nous reste la correspondance, ce qui permettra, dès celle de Proust avec sa mère, d'introduire une voix de femme.» C'est donc reparti pour quinze ans.

Valérie Marin La Mêlée in Le Point du 19 octobre 2006

Enfin, que les puristes ne s'insurgent pas : je lirai Proust, je le lis déjà pour retrouver la page précise d'une citation.
Je me contente de gagner du temps en pensant à Flaubert (le gueuloir), à Autant en emporte le vent (quand les femmes lisent Dickens à haute voix pour tromper l'attente du retour des hommes partis en expédition punitive) et à Victor Klemperer.

Le Maki Mococo

Le Maki Mococo
Son kimono a mis
Pour un goûter d'amis :
Macaque et Okapi
L'Macaque vient d'Macao
L'Okapi d'Bamako.

Le Maki Mococo
Fait goûter ses amis
Pas de macaronis
Mais d'un cake aux kiwis
D'esquimaux au moka
Et kakis en bocaux
Quart de lait de coco
Cacao ou coca
Dans des bols en mica.

« Qui joue au mikado ? »
Dit l'Maki Mococo
Le Macaque dit oui
L'Okapi ne dit mot.

L'Macaque est un coquin
L'acolyte Okapi
Est du même acabit.
Le Macaque qu'a un coup
Pour gruger les gogos
Rafle tous les kopeks
Du Maki Mococo.

« Ah, mais, quoqu'c'est quoqu'ça ?
Dit l'Maki Mococo
Ton bien est mal acquis. »
Le Macaque dit « quoi ? quoi ? »
« Qui ? Qui ? » dit l'Okapi.

Le Macaque démasqué
Par le Maki Mococo
Prit sa kalachnikoff
Acquise à Malakoff
De Pépé le Moko
Qu'en canne il maquilla
C'est kif kif Chicago.

Mais le Maki Mococo
Au menton les boxa
Le Macaque est K.O.
L'Okapi dans l'coma.

« Ah mes jolis cocos
Comme vous êtes comiques ! »
Dit le Maki Mococo
Saisissant son kodak
Pour immortaliser
Cette scène à jamais
En un bel emaki
A vendre sur les quais
Conti ou Malaquais
Et qu'on ne l'oublie plus.

Le Maki Mococo
Est né à Mexico.
Il s'appelle Dudu.

Jacques Roubaud, Les animaux de personne,
poèmes illustrés par Marie Borel et Jean-Yves Cousseau

Les dainas, une identité en poésie

Hier, j'ai découvert par hasard dans la petite librairie où j'ai mes habitudes une plaquette de poèmes lettons, poèmes dont j'ignorais l'existence et qui paraissent au cœur de l'identité lettone :

La Lettonie a été en effet, pendant des siècles, colonisée par une succession d'envahisseurs : Allemands, Polonais, Suédois, Russes. Elle n'a réussi à conquérir, pour la première fois, son indépendance, qu'en 1918. Mais après seulement vingt années de paix, elle a été annexée, en 1940, avec les deux autres pays baltes (l'Estonie au nord et la Lithuanie au sud), par l'Union Soviétique, puis un an plus tard par l'armée allemande (invasion considérée par beaucoup, sur le moment, comme une délivrance) et, finalement, à la fin de la Deuxième guerre mondiale, intégrée à l'URSS tout comme ses deux voisines baltes. Ce n'est qu'en 1991 que ces trois pays ont enfin retrouvé cette indépendance tant désirée.
Sous la houlette de Krisjanis Barons (1835-1923), qui y consacra presque quarante années de sa vie et qu'on surnomme en Lettonie le "Père des dainas", des gens ont parcouru le pays pour recueillir par écrit ces poèmes ayant plus de mille ans d'existence, créés dans une langue indo-européenne à laquelle seul le lithuanien est apparenté, et qui n'est ni slave, ni germanique.
[...]
On a identifié plus d'un million de textes et trente mille mélodies, abondance reflétée dans cette daina:
J'ai trois mesures de chansons
Dans ma houblonnière.
Il m'a fallu trois années pour chanter
Ce qu'une seule contenait.

[...]
Pendant l'occupation soviétique, les dainas ont permis de garder vivants les idéaux d'indépendance et de liberté et le chant choral, symbole de la nation, a joué un rôle déterminant dans le troisième réveil national. C'est pour cela que l'on a appelé les événements qui ont conduit à la libération, sans violence et presque sans effusion de sang, de la Lettonie en 1991, la "révolution chantante".

[...]
Un ethnologue allemand, Johann Kohl (1808-1878), a été stupéfait de découvrir que les Lettons avaient réussi à préserver des formes culturelles qui avaient été balayées dans le reste de l'Europe par la modernisation: «Il serait vraiment difficile de nos jours de trouver une autre nation en Europe qui mérite plus d'être qualifiée de "terre de la poésie" que le peuple letton et la terre lettonne. (...) Tous les Lettons sont des poètes nés, ils composent tous des vers et des chants et ils peuvent tous chanter ces dainas

[...]
En ce qui concerne la forme, les dainas, comme nous l'avons vu, sont en grande majorité des quatrains. Les vers ne riment pas mais ont un rythme chantant très spécifique avec, en général, un appui sur la première syllabe du mot. Comme l'explique Saulcerite Viese, la daina est «une miniature dont les deux premiers vers exposent le problème, le point de départ. Les deux vers suivants offrent, eux, un parallèle poétique, une solution, une issue, une généralisation et un résumé de l'action.»
Vaira Vike-Freiberga[1], elle, évoque la poésie japonaise: «beaucoup de textes de dainas sont un peu comme les koans du Zen japonais: le premier couplet expose quelque chose comme une devinette, ou une énigme, ou simplement un énoncé épigrammatique à méditer. Seule l'addition du second couplet rend possible la solution.»

Dainas, Poèmes lettons traduits et présentés par Nadine Vitols Dixons, aux éditions L'Archange Minotaure

L'édition est bilingue, ce qui me comble. Plus le temps passe et plus je ressens le besoin d'éditions bilingues, quels que soient la langue ou l'alphabet, de la même façon que j'ai un désir de partitions de musique. Ne pas comprendre le sens des signes tout en sachant qu'ils en ont un me tranquilise et porte ma rêverie.
J'aime beaucoup ces poèmes, ils sont tout à fait mon genre dans la simplicité de leur forme et de leur sujet. J'aime les haïkus pour la même raison, mais à première vue, les dainas auront ma préférence parce qu'ils reflètent davantage de tendresse pour le monde. Il y a souvent dans le haïku une forme de sécheresse, d'ironie, peut-être due à leur forme très contrainte (ou est-ce une conséquence de la traduction?).
J'écris "auront", parce que cela reste à vérifier: mon seul regret concernant cette plaquette de poèmes, c'est qu'elle évoque des milliers de dainas pour ne nous en présenter qu'une poignée, trois ou quatre dizaines.

Voici quelques exemples (Saule, féminin, est le soleil, Laima est le destin) :

Un seul soleil, une seule terre,
Mais pas de langue partagée:
J'ai traversé la rivière,
Déjà la langue avait changé.

Chaque matin Saule se lève
Dans un arbre rougeoyant;
Les jeunes messieurs deviennent vieux
A rechercher cet arbre.

Lève-toi, Saule, le matin,
Couche-toi tard le soir,
Le matin pour nous réchauffer,
Le soir par pitié pour nous.

Laima traversait la cour
En conversant avec Dieu:
Cette jeune fille n'a qu'un petit trousseau
Il lui faut donc une vie plus douce.

Que feras-tu, Dieu, tout seul,
Quand nous serons tous morts,
Quand nous serons tous endormis
Sous l'herbe verdoyante ?


Notes

[1] présidente de la Lettonie. En exil durant 53 ans, elle a publié La logique de la poésie, n°44, (Société Royale du Canada), 1991

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