J'avais trouvé les références de ce livre ici, et je l'avais commandé en juillet 2004. J'avais été très surprise en le voyant: il est minuscule, 93 pages pour un format de 10,5x15 cm.

J'ai recommencé plusieurs fois la préface, j'ai eu du mal à arriver au bout: elle est est très intéressante mais extrêmement compacte:

L'une de ses principales préoccupations [d'Eisenstein] a été de réconcilier le signe et le corps, la matière et l'esprit, l'émotion et l'idée, l'œuvre autonome, en tant que tout, et l'œuvre en tant que partie d'un tout encore plus vaste, plus totalisant. Le thème du MLB qui hante ses derniers écrits est au centre de la problèmatique et de la méthode s'engendrant réciproquement dans une spirale à laquelle déjà Tolstoï faisait allusion quand il exaltait «l'énergie de l'erreur». Cette errance d'une recherche destinée par essence à rester inachevée déplace le centre de gravité de toute création, de toute œuvre, de la réponse vers le questionnement, du résultat vers le processus. Il s'ensuit un flottement croissant de la limite entre le contenu et la forme, couple indissociable au point que leurs propriétés respectives s'estompent jusqu'à aboutir à une véritable inversion de leurs fonctions traditionnelles. La conscience aiguë de cette oscillation permanente entre le voilé et le dévoilé, entre l'apparence et la substance d'une œuvre, fonde, d'ailleurs, l'extraordinaire ouverture et liberté d'Eisenstein, qui, tout en se situant à l'extrême pointe de l'avant-garde, se montre capable de s'enthousiasmer pour les artistes pratiquant le réalisme apparemment le plus rédhibitoire (Sourikov, Serov) parce que, négligeant l'anecdote, l'histoire, le sujet, il perçoit dans leurs tableaux un art somptueux de la «composition», la forme alors se substituant au contenu, s'affirmant comme le véritable contenu.
Préface de Gérard Conio, p.13

quand Degas parle, il cherche toujours involontairement une ligne idéale, courbe, qui sera l'équivalent de la pensée.
Eisenstein citant Degas, opus cité, p.76

J'aime cette idée d'une courbe idéale de la pensée, ligne bien plus élégante que la droite sans surprise.

Le livre dévoile la grande obsession de composition d'Eisenstein, sa lecture des tableaux, tant ceux qui évoquent "le vol plané" (l'apesanteur du ventre maternel) que les tableaux de Degas à la structure circulaire ou spirale. Il reprend, ou plutôt recoupe, plusieurs des obsessions camusiennes, celle, primordiale, du cadre, celles de la spirale ou de la gémellité. De petits schémas de la main même d'Eisenstein sont reproduits et aident à la compréhension. Ce petit livre est fascinant.