Rappels
- il s'agit d'une prise de notes renarrativisées: les tournures employées, et notamment fautives (!), ne devront pas être imputées à Compagnon. D'autre part, les notes sont parfois décousues lorsque je n'ai pas noté les transitions. Par moment, je retranscris à peu près, de mémoire, car je n'ai pas pris de notes, mais je me souviens — très approximativement. Tout ce que j'écris pourra/devra être confronté aux enregistrements disponibles sur le site du Collège de France.
- Cela peut être également confronté aux compte-rendus de sejan. Nous avons pris le parti de ne nous lire qu'après nos propres transcriptions.
- J'utilise ce texte en ligne, l'édition de la Pléiade de 1954 (notée "Clarac") et la table de transcription Clarac/Tadié de Tlön.

Je commence:


***

J'ai appris ce matin, comme on apprend aujourd'hui ces choses-là, c'est à dire par un mail d'un ancien étudiant, la mort de Malcolm Bowie. [La voix d'Antoine Compagnon tremble un peu, il paraît profondément touché. Il se reprendra peu à peu.]
Je vais donc vous parler de lui avant de lui rendre hommage par ce cours.
Je lui avais demandé en novembre dernier d'intervenir ici au cours du séminaire, mais il avait refusé, sa santé s'étant de nouveau dégradée (il était atteint d'un cancer).
Malcolm Bowie a étudié Michaux, Mallarmé, Proust; il a écrit Freud, Proust et Lacan (que je n'ai pas retrouvé dans ma bibliothèque) et ce livre publié en 1998 et qui n'est pas traduit en français, je crois, Proust among the stars. [Il nous montre le livre].
Comment aurait-il parlé de notre sujet [Proust et la mémoire de la littérature], puisque je l'avais invité et qu'il aurait pu être ici? Bowie faisait remarquer combien la littérature est difficile. Il a écrit en 1978 Mallarme and the Art of Being Difficult (Mallarmé et l'art d'être difficile) : pourrait-on en examinant ses réflexions sur Mallarmé extrapoller ce qu'il aurait dit sur Proust?
Bowie insistait sur le fait qu'il y a dans les vers de Mallarmé une part d'indécidable. En cela, il s'éloignait des grandes traditions de la critique, qui commencent avec Thibaudet en 1912 et se continuent aujourd'hui avec Bénichou (Selon Mallarmé en 1995), qui veulent que l'on peut tout comprendre des vers de Mallarmé.
Bowie, comme Terence Cave qui a écrit l'excellent Cornucopian Text, faisait partie de la tradition minoritaire et croyait à la polysémie des textes, à l'indécidabilité de la littérature. Il tenait Mallarmé pour un poète difficile, et non "obscur", car obscur suggère qu'une matière claire a été artificiellement obscurcie. Certains poèmes résistent à l'interprétation, un poème n'est pas une énigme à résoudre, il y a des ambiguïtés qui ne céderont pas au déchiffrement. Il n'y a pas d'interprétation monosémique.
Si l'on prend le poème prose pour Des Esseintes par exemple, qui est considéré par beaucoup comme le plus difficile, on s'aperçoit qu'il ne peut être lu que si l'on admet que sa texture contrapunctique ne peut être maîtrisée dans un seul cadre allégorique.

L'art ne progresse pas de façon linéaire

Je vais donc tenter d'en faire autant, de lire Proust comme l'aurait fait Malcolm Bowie.
Lors d'un colloque à Princeton en avril dernier, Malcolm Bowie avait préparé une intervention intitulée Reading Proust between the lines. Elle démontrait la complexité et la contradiction de cette mémoire, son irréductibilité à un sens unique.

Je vais utiliser un passage analysé dans Proust among the stars. Je pensais analyser ce passage plus tard dans mon cours mais je vais anticiper. Il s'agit de ce passage dans Sodome et Gomorrhe où la jeune Mme de Cambremer défend une vision linéaire, progressiste, de la littérature. C'est un passage dérisoire et comique comme souvent les passages importants dans La Recherche, comme si l'auteur avait voulu les rendre moins dogmatiques. [Pour ma part, je pensais que le comique de ces scènes visait à souligner le ridicule des opinions soutenues. Mais bon.]

Parce qu’elle se croyait « avancée » et (en art seulement) « jamais assez à gauche », disait-elle, elle se représentait non seulement que la musique progresse, mais sur une seule ligne, et que Debussy était en quelque sorte un sur-Wagner, encore un peu plus avancé que Wagner.[1]

On voit ici l'idée d'une linéarité de la littérature. Le présent abolit l'ancien qui sera abolit par les temps futur. Vous savez que la jeune Mme de Cambremer née Legrandin est en conflit avec la vieille Mme de Cambremer, la douairière, qui fut l'une des dernières élèves de Chopin, tandis que sa belle-fille considère que Chopin, ce n'est pas de la musique. Le même jugement concerne les peintres :

Au nom du ciel, après un peintre comme Monet, qui est tout bonnement un génie, n’allez pas nommer un vieux poncif sans talent comme Poussin. Je vous dirai tout nûment que je le trouve le plus barbifiant des raseurs. Qu’est-ce que vous voulez, je ne peux pourtant pas appeler cela de la peinture. Monet, Degas, Manet, oui, voilà des peintres![2]

Proust n'est pas le seul à défendre la théorie d'une progression non linéaire de la littérature ou de l'art en général. Péguy partage le même point de vue. Proust n'aime pas beaucoup Péguy, qu'il accuse de ressasser, mais sur ce point ils se rejoignent. Tous deux sont contre "la métaphysique des modernes".
Dans Situation III, Péguy note: «C'est une des erreurs les plus graves du parti de la métaphysique moderne de se représenter l'art comme un progrès linéaire ininterrompu. Descartes n'a point battu Platon comme le caoutchouc creux a battu le caoutchouc plein, et Kant n'a point battu Descartes comme le caoutchouc pneumatique a battu le caoutchouc creux.» Et Proust continue:

Je me fis un plaisir de lui apprendre, mais en m'adressant pour cela à sa belle-mère, comme quand, au billard, pour atteindre une boule on joue par la bande, que Chopin, bien loin d'être démodé, était le musicien préféré de Debussy. «Tiens, c'est amusant», me dit en souriant finement la belle-fille [...][3]

Debussy donc, qui est un sur-Wagner, apprécie Chopin: on voit là la complexité du réel qui ne se laisse pas platement appréhender.
Un peu plus tôt, le narrateur avait réussi à réhabiliter Poussin dans l'esprit de Mme de Cambremer par le même genre de démonstration:

— Mais, lui dis-je, sentant que la seule manière de réhabiliter Poussin aux yeux de Mme de Cambremer c’était d’apprendre à celle-ci qu’il était redevenu à la mode, M. Degas assure qu’il ne connaît rien de plus beau que les Poussin de Chantilly. — Ouais ? Je ne connais pas ceux de Chantilly, me dit Mme de Cambremer, qui ne voulait pas être d’un autre avis que Degas, mais je peux parler de ceux du Louvre qui sont des horreurs. — Il les admire aussi énormément. — Il faudra que je les revoie. Tout cela est un peu ancien dans ma tête, répondit-elle après un instant de silence et comme si le jugement favorable qu’elle allait certainement bientôt porter sur Poussin devait dépendre, non de la nouvelle que je venais de lui communiquer, mais de l’examen supplémentaire, et cette fois définitif, qu’elle comptait faire subir aux Poussin du Louvre pour avoir la faculté de se déjuger.[4]

On voit apparaître le phénomène de la mode, qui est une image aussi couramment reprise que celle de la Bourse qui suit la fluctuation des valeurs. Valéry et Gide reprendront cette image de la Bourse des valeurs esthétiques sensible à la mode et qui réévalue non pas le dernier mais l'avant-dernier.
Une fois encore, l'intelligence est inutile, comme le rappelle le narrateur à propos de Mme de Cambremer: «On ne peut pas dire qu’elle fût bête ; elle débordait d’une intelligence que je sentais m’être entièrement inutile.»[5] De même, la duchesse de Guermantes, même si elle est d'un goût supérieur, est également victime de la mode. On se souvient de ces notations à la fin du Temps retrouvé:

Ce style Empire, Mme de Guermantes déclarait l'avoir toujours détesté; cela voulait dire qu'elle le détestait maintenant, ce qui était vrai, car elle suivait la mode, bien qu'avec quelque retard. Sans compliquer en parlant de David qu'elle connaissait peu, poute jeune elle avait cru M.Ingres le plus ennuyeux des poncifs, puis brusquement le plus savoureux des maîtres de l'Art nouveau, jusqu'à détester Delacroix. Par quels degrés elle était revenue de ce culte à la réprobation importe peu, puisque ce sont là nuances du goût que le critique d'art reflète dix ans avant la conversation des femmes supérieures.[6]

Il y a un suivisme de la mode dans ses hauts et ses bas, ce qui n'est pas illégitime d'ailleurs, car les choses sont plus complexes que ne le présente une histoire linéaire de l'art.

Car les théories et les écoles, comme les microbes et les globules, s’entre-dévorent et assurent, par leur lutte, la continuité de la vie. Mais ce temps n’était pas encore venu.
Comme à la Bourse, quand un mouvement de hausse se produit, tout un compartiment de valeurs en profitent, un certain nombre d’auteurs dédaignés bénéficiaient de la réaction, soit parce qu’ils ne méritaient pas ce dédain, soit simplement – ce qui permettait de dire une nouveauté en les prônant – parce qu’ils l’avaient encouru.[7]

Le passage se termine par une évocation des réminiscences anticipées à travers la figure du "précurseur":

Alors il voit en cet ancien comme un précurseur ; il aime chez lui, sous une tout autre forme, un effort momentanément, partiellement fraternel.

Nous retrouvons les "ramiers fraternels".

Il y a des morceaux de Turner dans l’œuvre de Poussin, une phrase de Flaubert dans Montesquieu.[8]

De même on se souvient que dans La Prisonnière le narrateur trouve du Dostoïevski dans Mme de Sévigné.[9] Il y a donc une complexité, une contradiction, une ambivalence, du jugement esthétique qui se traduit par des phénomènes de mode, un jeu à la bourse des valeurs. Et cependant, il n'en reste pas moins qu'il y a une vérité des valeurs. Il y a d'un côté un usage frivole de la culture, une façon de l'utiliser pour se faire valoir, comme le font Mme de Cambremer et Mme de Guermantes. Il s'agit d'une utilisation de la culture comme de la fausse monnaie. Bowie dit que les personnages de Proust utilisent la culture comme de la monnaie instable.
Le roman de Proust ne cesse de rêver la littérature européenne, il prolonge la vie des personnes et les mots des essais. Ici on songe à Legrandin citant Joubert: «les mots amis de la mémoire»; or Legrandin est un personnage burlesque et ridicule, faut-il le prendre au sérieux? Oui, la réponse est pourtant oui. Il y a condensation et déplacement des thèmes, ce qui était en haut passe en bas et inversement, les éléments de la mémoire littéraire procèdent comme procède le rêve. La littérature revient dans le roman comme les souvenirs reviennent dans le rêve. Tout peut être profané, être placé au plus haut puis au plus bas.

Un exemple : Homère

Je vais reprendre un exemple chez Malcolm Bowie de cette littérature absorbée par le roman puis régurgitée. Il y a d'un côté la petite monnaie de la littérature, celle qu'on galvaude, qu'on déprécie, et puis il y a la grande littérature, et Malcolm Bowie a étudié les résurgences d'Homère dans La Recherche.

1/ La première fois que l'on voit apparaître Homère, c'est lorsque le narrateur envisage d'aller à Balbec devant M. Legrandin:

Balbec ! la plus antique ossature géologique de notre sol, vraiment Ar-mor, la mer, la fin de la terre, la région maudite qu’Anatole France – un enchanteur que devrait lire notre petit ami – a si bien peinte, sous ses brouillards éternels, comme le véritable pays des Cimmériens, dans l’Odyssée.[10]

On reconnaît un écho de la finis terrae de Renan. La valeur de la littérature est dégradée par cet usage de bavardage qu'en fait Legrandin, mais cette même référence littéraire va prendre une vraie valeur littéraire quand le narrateur se rend chez Elstir:

La chaleur du jour m'obligea à prendre le tramway qui passait par la rue de la Plage, et je m'efforçais, pour penser que j'étais dans l'antique royaume des Cimmériens, dans la patrie peut-être du roi Mark ou sur l'emplacement de la forêt de Brocéliande, de ne pas regarder le luxe de pacotille des constructions qui se développaient devant moi et entre lesquelles la villa d'Elstir était peut-être la plus somptueusement laide, [...][11]

Le roman cherche sa place entre les deux évocations de la culture, la petite et la grande.

2/ Dans Le côté de Guermantes, les références à Homère sont très ambivalentes. Une même utilisation sera à la fois mondaine et véritablement littéraire.

Cependant me saisissant familièrement par la main, il se mit en devoir de me guider et de m’introduire dans les salons. Telle expression courante peu claire dans la bouche d’un paysan si elle montre la survivance d’une tradition locale, la trace d’un événement historique, peut-être ignorés de celui qui y fait allusion ; de même cette politesse de M. de Guermantes, et qu’il allait me témoigner pendant toute la soirée, me charma comme un reste d’habitudes plusieurs fois séculaires, d’habitudes en particulier du XVIIIe siècle. Les gens des temps passés nous semblent infiniment loin de nous. Nous n’osons pas leur supposer d’intentions profondes au delà de ce qu’ils expriment formellement ; nous sommes étonnés quand nous rencontrons un sentiment à peu près pareil à ceux que nous éprouvons chez un héros d’Homère [...]

Il y a dans ces notations une façon constante de replier l'histoire sur le présent;

ou une habile feinte tactique chez Hannibal pendant la bataille de Cannes, où il laissa enfoncer son flanc pour envelopper son adversaire par surprise;[...]

ici on retrouve l'une des nombreuses allusions aux articles des journaux durant la guerre de 14

on dirait que nous nous imaginons ce poète épique et ce général aussi éloignés de nous qu’un animal vu dans un jardin zoologique.[12]

La comparaison finale est empruntée à Barrès dans La grande pitié des églises de France. Dans le chapitre "Homo sapiens" se trouve une méditation sur un fossile d'Homo sapiens: Barrès y voit son frère.
Ces mémoires sont toujours fausses; ainsi la «trace» est «peut-être ignorée», on ne sait si la présence du passé est consciente ou inconsciente, de même, le narrateur n'arrivera jamais à déterminer si la bonhomie du duc est authentique ou une posture mondaine, une hypocrisie. De même, la culture est toujours soupçonnable d'imposture puisqu'elle est représentation.

3/ Continuons avec Bowie et Homère. La duchesse de Guermantes va le comparer avec Zola, sans qu'on sache d'ailleurs exactement comment il faut le prendre:

Que Votre Altesse remarque comme il grandit tout ce qu’il touche. Vous me direz qu’il ne touche justement qu’à ce qui... porte bonheur ! Mais il en fait quelque chose d’immense ; il a le fumier épique ! C’est l’Homère de la vidange ! [Il manque ici la malice de la voix de Compagnon][13]

Cette antonomase est la réminiscence de l'article du critique Jules Lemaître, qui avait jugé que les Rougon Macquart était "l'épopée pessimiste de l'animalité humaine", jugement accepté par Zola.

4/Le «bal de têtes» présente de nombreuses analogies avec le chant XI de l'Odyssée, on y retrouve des fantômes, on y reçoit la visite des morts. Ainsi la rencontre avec Odette, inchangée à travers le temps:

Pour Mme de Forcheville au contraire, c'était si miraculeux, qu'on ne pouvait même pas dire qu'elle avait rajeuni, mais plutôt qu'avec tous ses carmins, toutes ses rousseurs, elle avait refleuri. [...] D'ailleurs, justement parce qu'elle n'avait pas changé, elle ne semblait guère vivre. Elle avait l'air d'une rose stérilisée. [...] Cette voix était restée la même, inutilement chaude, prenante, avec un rien d'accent anglais. Et pourtant, de même que ses yeux avaient l'air de me regarder d'un rivage lointain, sa voix était triste, presque suppliante, comme celle des morts dans l'Odyssée. Odette eût pu jouer encore. Je lui fis compliment sur sa jeunesse. Elle me dit: «Vous êtes gentil, my dear, merci», et comme elle donnait difficilement à un sentiment, même le plus vrai, une expression qui ne fût pas affectée par le souci de ce qu'elle croyait élégant, elle répéta à plusieurs reprises: «Merci tant, merci tant».[14]

Là encore, le touchant et le burlesque sont indissociables.
Quelques pages auparavant, on re-présente au narrateur un ami perdu de vue :

[...] j'aurais bien voulu reconnaître mon ami, mais, comme dans l'Odyssée Ulysse s'élançant sur sa mère morte, comme un spirite essayant en vain d'obtenir d'une apparition une réponse qui l'identifie, comme le visiteur d'une exposition d'électrécité qui ne peut croire que la voix que le phonographe restitue inaltérée soit tout de même spontanément émise par une personne, je cessai de reconnaître mon ami.[15]

On voit là l'accumulation de trois images, Ulysse, le spiriste, le visiteur d'exposition, illustrant toutes trois l'ambivalence reconnaissance/méconnaissance, différence/identité.
Bowie parlait de cette façon de rêver la littérature. Il y a une logique du rêve qui ne respecte rien. Ce qu'il y a de plus sacré, Ulysse reconnaissant sa mère aux enfers: «Trois fois, je m'élançais; tout mon cœur la voulait. Trois fois, entre mes mains, ce ne fut plus qu'une ombre ou un songe envolé.»[16], est profané. Et cependant, dans le même temps cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas une profonde admiration et un profond respect de ces textes, tout prouve leur connaissance intime.

Conclusion : l'impureté de la littérature

Il y a une impureté des textes. La littérature est impure. Même Mallarmé n'est pas pur. Proust l'est encore moins. Son texte est gorgé de littératures qui sont des espaces impurs.
Il y a deux chemins vers la vérité: la distillation d'une essence pure ou l'œuvre omnivore, qui déborde, où il y en a toujours trop.

Bowie cite l'image qui se trouve dans La Prisonnière, par laquelle Proust se moque de l'image de la poésie comparée à un oiseau:

Serait-ce elle qui donnerait chez les grands artistes l’illusion d’une originalité foncière, irréductible en apparence, reflet d’une réalité plus qu’humaine, en fait produit d’un labeur industrieux ? Si l’art n’est que cela, il n’est pas plus réel que la vie, et je n’avais pas tant de regrets à avoir. Je continuais à jouer Tristan. Séparé de Wagner par la cloison sonore, je l’entendais exulter, m’inviter à partager sa joie, j’entendais redoubler le rire immortellement jeune et les coups de marteau de Siegfried ; du reste, plus merveilleusement frappées étaient ces phrases, plus librement l’habileté technique de l’ouvrier servait à leur faire quitter la terre, oiseaux pareils non au cygne de Lohengrin mais à cet aéroplane que j’avais vu à Balbec changer son énergie en élévation, planer au-dessus des flots, et se perdre dans le ciel. Peut-être, comme les oiseaux qui montent le plus haut, qui volent le plus vite, ont une aile plus puissante, fallait-il de ces appareils vraiment matériels pour explorer l’infini, de ces cent vingt chevaux marque Mystère, où pourtant, si haut qu’on plane, on est un peu empêché de goûter le silence des espaces par le puissant ronflement du moteur![17]

C'est une belle ironie de la part de celui qui a traité Mallarmé de difficile.

La mémoire est un mécanisme complexe, une condensation qui renverse sans cesse les valeurs.


Ajout le 13/02/07: la version de sejan.

Notes

[1] Sodome et Gomorrhe Clarac t2 p.815/ Tadié t3 p.210

[2] Sodome et Gomorrhe Clarac t2 p.811/ Tadié t3 p.205-206

[3] Sodome et Gomorrhe Clarac t2 p.817/ Tadié t3 p.212

[4] Sodome et Gomorrhe Clarac t2 p.813/ Tadié t3 p.208

[5] Sodome et Gomorrhe Clarac t2 p.811/ Tadié t3 p.205-206

[6] le Temps retrouvé Clarac t3 p1025/ Tadié t4

[7] Sodome et Gomorrhe Clarac t2 p.815/ Tadié t3 p.210

[8] Sodome et Gomorrhe Clarac t2 p.816/ Tadié t3 p.211

[9] La Prisonnière Clarac t3 p.378/ Tadié

[10] Du côté de chez Swann Clarac t1 p.131/Tadié t1 p.129

[11] À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Clarac t1 p.833/ Tadié t2 p.189

[12] Le côté de Guermantes Clarac t2 p.417/ Tadié t2 p.710-711

[13] Le côté de Guermantes Clarac t2 p.499/ Tadié t2 p.788-789

[14] Le temps retrouvé, Clarac t3 p.950/ Tadié

[15] Le temps retrouvé, Clarac t3 p.942/ Tadié

[16] Odyssée, Folio classique p.211, trad. Victor Bérard

[17] La Prisonnière, Clarac t3 p.162/Tadié