Parenthèse : Mise à jour de l'intervention de Nathalie Mauriac Dyer, à qui j'ai écrit et qui m'a très aimablement envoyé l'extrait des brouillons à partir duquel elle a travaillé.

                                        ***

Antoine Compagnon commence:

Je me laisse conduire de cours en cours par une logique dont on verra bien où elle nous mènera.
Ainsi la semaine dernière j'ai terminé sur la notion de complexité. Cela m'a rappelé une phrase de Reynaldo Hahn : «Le livre de Proust n'est pas un chef-d'œuvre si l'on appelle chef-d'œuvre une chose parfaite et de plan irréprochable, mais c'est sans aucun doute le plus beau livre depuis L'éducation sentimentale
Nous avons vu la semaine dernière ce côté composite, un peu monstrueux, du livre. On est loin des recherches de poésie pure de Mallarmé ou Valéry. Gide de son côté est à la recherche du roman pur.
À l'inverse, la réflexion de Reynaldo Hahn s'attache à l'imperfection, à l'œuvre impure.

La Recherche est devenu un classique, mais pas un classique au sens académique du terme, si l'on veut que le classissisme se caractérise par la raison, la concision, l'ordre, la mesure, l'équilibre: La Recherche est un peu le contraire de tout cela. Gide disait: «L'œuvre classique raconte le triomphe de l'ordre de la mesure». De ce point de vue, La Recherche est irrégulière, peut-être même baroque. Mais je ne voudrais pas m'engager dans cette direction, je souhaite revenir sur la complexité et les moments où La Recherche réfléchit sur la complexité.

Pour ce faire, revenons sur un passage que nous avons déjà cité:

Probablement ce qui fait défaut, la première fois, ce n’est pas la compréhension, mais la mémoire. Car la nôtre, relativement à la complexité des impressions auxquelles elle a à faire face pendant que nous écoutons, est infime, aussi brève que la mémoire d’un homme qui en dormant pense mille choses qu’il oublie aussitôt, ou d’un homme tombé à moitié en enfance qui ne se rappelle pas la minute d’après ce qu’on vient de lui dire. Ces impressions multiples, la mémoire n’est pas capable de nous en fournir immédiatement le souvenir.[1]

Nous allons réfléchir aujourd'hui à cette somme complexe. On se rappelle les deux lectures possibles de Mallarmé, celle qui veut qu'il y ait un sens primordial délibérément obscurci par le poème, ce qui serait en quelque sorte la lecture «française» de Mallarmé, et puis une lecture plus empirique, qui soutient que le sens se construit peu à peu en assemblant des éléments épars.
Il y aurait donc deux lectures possibles, une globale, l'autre locale, une qui procèderait top-down, de haut en bas, et qui serait rationnelle, l'autre bottom-up, de bas en haut, et qui serait empirique.
Top-down et bottom-up sont des termes qui viennent, je crois, de l'informatique et de la conception de programmes. Il y a ceux qui sont conçus dans une logique "descendante", avec un plan d'ensemble décliné ensuite en ses éléments, et ceux qui sont construits dans une logique ascendante, de bas en haut, par des cellules indépendantes ensuites rassemblées.
On pense également à Lévi-Strauss qui disait qu'il y a les ingénieurs, qui composent les plans d'ensemble, et les bricoleurs, qui s'attachent aux détails (mais tous les ingénieurs sont des bricoleurs, je crois, je ne pense pas que la phrase de Lévi-Stauss nous soit d'un grand secours).
C'est également tout le débat sur le sens de la lecture: soit on considère que la lecture est une hypothèse sur le sens, hypothèse que l'on vérifie par la suite, soit on considère que l'on déchiffre pour donner un sens, ce que font, chacune à leur manière, les méthodes syllabique et globale.

Il s'agit de deux stratégies de traitement de l'information. Les analyses du roman top-down partent du système qui trace un grand arc de Combray au Temps retrouvé. On sait que Proust a beaucoup dit qu'il avait d'abord écrit Le Temps retrouvé, ce qui favorise une lecture rationaliste du roman.
Les analyses bottom-up s'attachent à l'infime, à un écho, à une rime, une variation, une répétition.
J'ai tendance à préférer la deuxième lecture, il me semble qu'elle est plus féconde.
Proust défend un système construit comme un tout, dans le même temps, il se méfie de tout système dû à l'intelligence, ce qui est paradoxal. En fait, on trouve les deux constructions dans le roman: une structuration du système de la globalité vers l'infime détail — on se rappelle que lorsqu'on reprochait à Proust lors de la parution de son premier livre que «ce n'était pas construit», il répondait: «Attendez la fin!» — et une structuration plus poétique.

Maurras et Sainte-Beuve

Anatole France disait de Sainte-Beuve qu'il est «notre Thomas d'Aquin», c'est-à-dire, puisque Thomas d'Aquin a écrit une somme théologique, que Sainte-Beuve a écrit une somme ordonnée, construite de haut en bas.
Pourtant, il me semble que Les lundis sont plutôt une construction de bas en haut, que c'est de l'accumulation de portraits que se dégage peu à peu une totalité, l'histoire naturelle de la littérature que voulait écrire Sainte-Beuve.
J'ai trouvé cette appréciation de Sainte-Beuve par Anatole France dans un livre de Charles Maurras. Maurras ajoute ce commentaire: «Chaque âge a le Thomas d'Aquin qu'il mérite.»
Ce commentaire est plutôt ironique, je dirais donc qu'après Sainte-Beuve nous avons mérité Proust: il est notre somme. Mais est-il notre somme à la manière théologique, de haut en bas, ou à la manière de Sainte-Beuve, de bas en haut? Il est évidemment un peu paradoxal de se demander si Proust a procédé de la manière de Sainte-Beuve... Cela dit il me semble qu'on peut soutenir cette idée.

Reprenons le texte de Maurras. Il s'agit de Trois idées politiques : Chateaubriand, Michelet, Sainte-Beuve. Chateaubriand, dit Maurras, est un modèle pour les réactionnaires, en quoi ils se trompent, car Chateaubriand est révolutionnaire; Michelet est un modèle pour les révolutionnaires ce qui est également une erreur, car Michelet est un tenant de la tradition. Sainte-Beuve se trouve au croisement des deux, Sainte-Beuve fait preuve d'empirisme organisateur. Il réunit les deux processus, de bas en haut et de haut en bas, à la fois rationnel et empirique. Mauras définit l'empirisme organisateur comme l'«exercice d'une diligente induction qui permet de discerner entre des faits la figure de l'idée générale». Il s'agit de recomposer un tout à partir d'analyses ponctuelles en se fondant sur des «coups de bonheur». C'est la science de la bonne fortune: on s'en remet au hasard qui dévoile peu à peu la vérité.

On sait que la "bonne fortune" a toujours un sens érotique, sexuel. Par exemple la rencontre de M. de Charlus et de Jupien est due au «hasard» d'une indisposition de Mme de Villeparisis:

[...] par le hasard d’une indisposition de Mme de Villeparisis, avait rencontré le giletier et avec lui la bonne fortune réservée aux hommes du genre du baron par un de ces êtres qui peuvent même être, on le verra, infiniment plus jeunes que Jupien et plus beaux, l’homme prédestiné pour que ceux-ci aient leur part de volupté sur cette terre [...][2]

La «bonne fortune», c'est l'occasion galante davantage que le Kairos des philosophes.

La diction de la Berma

Pour étudier cette construction de bas en haut dans La Recherche, je vais prendre un passage du Côté de Guermantes dans lequel le narrateur va écouter la Berma. Elle joue une pièce classique en première partie de spectacle puis revient en seconde partie dans une pièce contemporaine, une nouveauté. Le narrateur procède alors à une analyse de la diction de la Berma. Cela m'intéresse particulièrement car on est ici au plus près du plus infime, de la rime (Compagnon lit à son habitude, c'est-à-dire en commentant au fur à mesure les phrases de l'extrait qu'il lit (ce qui est très naturel à l'oral, sans doute plus étrange à l'écrit)):

Et comme le peintre dissout maison, charrette, personnages, dans quelque grand effet de lumière qui les fait homogènes, la Berma étendait de vastes nappes de terreur, de tendresse, sur les mots fondus également, tous aplanis ou relevés, et qu’une artiste médiocre eût détachés l’un après l’autre. Sans doute chacun avait une inflexion propre, et la diction de la Berma n’empêchait pas qu’on perçut le vers.

...un artiste ne fait toujours que la même chose: Vinteuil compose un seul air, Elstir peint un seul tableau, la Berma joue une seule pièce...

N’est-ce pas déjà un premier élément de complexité ordonnée, de beauté, quand en entendant une rime, c’est-à-dire quelque chose qui est à la fois pareil et autre que la rime précédente, qui est motivé par elle, mais y introduit la variation d’une idée nouvelle, on sent deux systèmes qui se superposent, l’un de pensée, l’autre de métrique?

...analyse très subtile de la façon dont le sens part d'en bas et se construit: d'une rime à l'autre, quelque chose grince, quelque chose joue et produit du sens...

Mais la Berma faisait pourtant entrer les mots, même les vers, même les «tirades», dans des ensembles plus vastes qu’eux-mêmes,[...]

Voyez comme la rime s'intègre à un sens plus vaste...

[...] à la frontière desquels c’était un charme de les voir obligés de s’arrêter, s’interrompre; ainsi un poète prend plaisir à faire hésiter un instant, à la rime, le mot qui va s’élancer et un musicien à confondre les mots divers du livret dans un même rythme qui les contrarie et les entraîne.

...dualité du rythme qui contredit et entraîne...

Ainsi dans les phrases du dramaturge moderne comme dans les vers de Racine, la Berma savait introduire ces vastes images de douleur, de noblesse, de passion, qui étaient ses chefs-d’œuvre à elle, et où on la reconnaissait comme, dans des portraits qu’il a peints d’après des modèles différents, on reconnaît un peintre.[3]

C'est toujours la même Berma. Il s'agit finalement de l'analyse de la construction d'un air de famille: la diction, le heurt du rythme dans un nappé, l'interaction du son et du sens donne cet air de famille aux différentes représentations de la Berma. La «complexité ordonnée» est quelque chose comme une science de la bonne fortune. Elle permet de reconnaître des régularités dans les complexités qui montent d'en bas.

Les grandes œuvres merveilleuses et manquées du XIXe siècle

Cela rappelle également le passage de La Prisonnière où le narrateur joue la sonate de Vinteuil au piano, et où cette mélodie lui évoque soudain Wagner. C'est le début d'une profonde méditation sur l'art du XIXe et XXe siècle.

[...] je songeais combien tout de même ces œuvres participent à ce caractère d’être – bien que merveilleusement – toujours incomplètes, qui est le caractère de toutes les grandes œuvres du XIXe siècle, du XIXe siècle dont les plus grands écrivains ont manqué leurs livres, mais, se regardant travailler comme s’ils étaient à la fois l’ouvrier et le juge, ont tiré de cette autocontemplation une beauté nouvelle extérieure et supérieure à l’œuvre, lui imposant rétroactivement une unité, une grandeur qu’elle n’a pas.

Les grands créateurs du XIXe siècle sont ouvriers et juges à la fois, c'est-à-dire qu'ils travaillent de bas en haut comme l'ouvrier puis de haut en bas comme le juge. C'est une remarque très ambiguë: Wagner, Michelet, Hugo, Balzac ont créé des œuvres grandes mais manquées, merveilleusement «incomplètes»: il leur manque quelque chose parce qu'elles n'ont pas été préconçues, leur totalité n'a été constatée qu'après coup. "La Bible de l'Humanité, la Comédie humaine, la Tétralogie, La Légende des siècles'' sont considérées comme des chefs d'œuvre par une illumination rétrospective qui fait de l'ensemble un tout sublime. Ainsi, Michelet est le plus grand dans ses préfaces:

Sans s’arrêter à celui qui a vu après coup dans ses romans une Comédie Humaine, ni à ceux qui appelèrent des poèmes ou des essais disparates La Légende des siècles et La Bible de l’Humanité, ne peut-on pas dire, pourtant, de ce dernier qu’il incarne si bien le XIXe siècle que, les plus grandes beautés de Michelet, il ne faut pas tant les chercher dans son œuvre même que dans les attitudes qu’il prend en face de son œuvre, non pas dans son Histoire de France ou dans son Histoire de la Révolution, mais dans ses préfaces à ses livres. Préfaces, c’est-à-dire pages écrites après eux, où il les considère, et auxquelles il faut joindre çà et là quelques phrases, commençant d’habitude par un «Le dirai-je» qui n’est pas une précaution de savant, mais une cadence de musicien.

Cette réflexion ne peut pas ne pas me faire penser au Tableau de la France, une autre préface de Michelet. Proust dit dans sa correspondance qu'on trouve là les plus belles phrases de la langue française.
La «cadence de musicien» est une cellule élémentaire, on retrouve l'unité rythmique de base.

L’autre musicien, celui qui me ravissait en ce moment, Wagner, tirant de ses tiroirs un morceau délicieux pour le faire entrer comme thème rétrospectivement nécessaire dans une œuvre à laquelle il ne songeait pas au moment où il l’avait composé, [...]

Ici il s'agit d'un morceau composé par hasard, oublié, puis à l'occasion introduit dans une œuvre plus vaste. L'occasion saisie, c'est la bonne fortune.
On se rappelle qu'il s'agit de l'air du chalumeau du pâtre dans Tristan acte III scène I. Wagner dit dans son autobiographie Ma Vie que cet air lui a été inspiré par le chant des gondoliers vénitiens entendus des années auparavant. C'est encore le cas de la cellule étrangère qui trouve sa place. Pour Proust, une grande œuvre doit être préméditée, mais pas entièrement, il doit rester la possibilité d'y insérer des éléments étrangers:

Unité ultérieure, non factice, sinon elle fût tombée en poussière comme tant de systématisations d’écrivains médiocres qui, à grand renfort de titres et de sous-titres, se donnent l’apparence d’avoir poursuivi un seul et transcendant dessein.

Ce double mouvement est paradoxal: il manque quelque chose aux œuvres citées puisque ce n'est qu'après coup qu'on se rend compte de leur unité; cependant, elles sont plus réelles parce qu'elles sont non préméditées.

Non factice, peut-être même plus réelle d’être ultérieure, d’être née d’un moment d’enthousiasme où elle est découverte entre des morceaux qui n’ont plus qu’à se rejoindre. Unité qui s’ignorait, donc vitale et non logique,

...«vitale» donc organique, physique et non rationnel, «logique»...

qui n’a pas proscrit la variété, refroidi l’exécution. Elle surgit (mais s’appliquant cette fois à l’ensemble) comme tel morceau composé à part, né d’une inspiration, non exigé par le développement artificiel d’une thèse, et qui vient s’intégrer au reste. [4]

L'ambivalence est profonde, ces œuvres sont insuffisantes mais supérieures, manquées mais plus profondes.

Il semble qu'il faille dans La Recherche combiner les deux modèles, comme cet escalier de Chambord aimé de Thibaudet dont je vous ai déjà parlé, escalier à double révolutions qui permet de monter et descendre sans se croiser. La structure de La Recherche est à la fois ascendante et descendante.

Tristan mémoratif

En relisant ces passages j'ai pris conscience du contexte auquel je n'avais jamais pris garde. Cette longue réflexion est provoquée au départ par une reconnaissance: la sonate rappelle Tristan au narrateur. C'est la reconnaissance d'une allusion qui suscite ce développement.

Chaque grand artiste semble, en effet, si différent des autres, et nous donne tant cette sensation de l’individualité que nous cherchons en vain dans l’existence quotidienne.

Il s'agit de l'idée connue que chaque artiste crée un monde, c'est pour chacun le même monde unique.

Au moment où je pensais cela, une mesure de la sonate me frappa,[...]

...élément de choc: le «coup de bonheur»...

[...] mesure que je connaissais bien pourtant, mais parfois l’attention éclaire différemment des choses connues pourtant depuis longtemps et où nous remarquons ce que nous n’avions jamais vu.

Ce passage pourrait servir d'emblème à ce cours sur la mémoire de la littérature. On passe à côté de l'allusion sans la voir, mais une fois qu'on l'a vue, on ne voit plus que cela (je l'ai déjà fait remarquer en utilisant l'exemple de la femme grosse, la femme enceinte que l'on ne voit pas enceinte tant qu'on ne la sait pas enceinte). Tout dépend du moment, de l'occasion, du kairos.

En jouant cette mesure, et bien que Vinteuil fût là en train d’exprimer un rêve qui fût resté tout à fait étranger à Wagner, je ne pus m’empêcher de murmurer: «Tristan»,[...]

La partition contenait une allusion à Tristan. Proust procède ici à une analyse de la phénoménologie de l'allusion.

[...] avec le sourire qu’a l’ami d’une famille retrouvant quelque chose de l’aïeul dans une intonation, un geste du petit-fils qui ne l’a pas connu.

Ici ce n'est plus le cousinage, c'est la descendance directe, c'est le retour de l'air de famille, contenu et reconnu dans une intonation, un geste, c'est-à-dire les mêmes éléments que ceux qui caractérisaient la Berma. C'est infime, ténu.

Et comme on regarde alors une photographie qui permet de préciser la ressemblance, par-dessus la sonate de Vinteuil, j’installai sur le pupitre la partition de Tristan, dont on donnait justement cet après-midi-là des fragments au concert Lamoureux.[5]

C'est fantastique, le narrateur reconnaît Tristan sous Vinteuil, et installe les partitions l'une sur l'autre, il lit les deux en même temps, c'est l'image même du palimpseste.
D'autre part, nous avons la clé de la reconnaissance de l'allusion: pourquoi le narrateur est-il sensible ce jour-là aux quelques notes de la sonate qui ressemblent à Tristan? parce qu'il connaît le programme du concert Lamoureux, c'est cette connaissance qui le rend réceptif, parce que l'idée de Tristan erre dans un coin de sa mémoire.

Chaque artiste est un monde, mais il existe des connexions, des passerelles, entre les mondes. On constate la multiplicité des couches de mémoire.

Avant le grand mouvement d’orchestre qui précède le retour d’Yseult, c’est l’œuvre elle-même qui a attiré à soi l’air de chalumeau à demi oublié d’un pâtre. Et, sans doute, autant la progression de l’orchestre à l’approche de la nef, quand il s’empare de ces notes du chalumeau, les transforme, les associe à son ivresse, brise leur rythme, éclaire leur tonalité, accélère leur mouvement, multiplie leur instrumentation, autant sans doute Wagner lui-même a eu de joie quand il découvrit dans sa mémoire l’air d’un pâtre, l’agrégea à son œuvre, lui donna toute sa signification.[6]

La signification n'est pas préalable. La «bonne fortune» consiste à tomber sur cet air du pâtre, qui on se le rappelle, est précisément celui qui provoque le réveil de la mémoire de Tristan avant le retour d'Yseult, c'est un air mémoratif: «La vieille chanson, pourquoi m'éveille-t-elle?» jusqu'à «Dois-je ainsi te comprendre, vieille chanson grave avec ton accent de lamentation? Par la brise du soir elle pénétra timidement lorsque jadis fut annoncée à l'enfant la mort de son père?»

Ainsi Wagner se souvient, Tristan se souvient, le narrateur se souvient. La référence à Tristan est déjà très littéraire, puisqu'elle provient très certainement du Voyage artistique à Bayreuth d'Albert Lavignac, alors très connu. Proust connaissait Wagner surtout par ses partitions pour piano.

La complexité naît du nombre de couches, d'épaisseurs de références et d'allusions superposées. L'art nous fait pénétrer à travers toutes ces épaisseurs mais il nous faut savoir saisir l'occasion.


Ajout le 13/02/07: la version de sejan.

Notes

[1] A l'ombre des jeunes filles en fleurs Clarac t1 p.529/ Tadié t1 p.519-523

[2] Sodome et Gomorrhe, Clarac t2 p.607/ Tadié t3 p.9

[3] Le côté de Guermantes, Clarac, t2 p.51/ Tadié t2 p.351

[4] La Prisonnière, Clarac t3 p.160/ Tadié t

[5] La Prisonnière, Clarac t3 p.158/ Tadié t

[6] La Prisonnière, Clarac t3 p.161/ Tadié t