Nous essayons donc de voir comment La Recherche se souvient de la littérature, mais aussi comment elle ne s'en souvient pas. Le XVIIIe siècle en particulier brille par son absence, le XVIIIe siècle dans ses trois aspects: les Lumières et les philosophes, l'art — rénventé par les Goncourt— et les femmes et les salons.

(J'ai reçu une lettre qui m'interroge sur les relations entre Proust et Rousseau; comme je l'ai découverte il y a quelques minutes je ne peux y répondre, j'y reviendrai la semaine prochaine.)

La semaine dernière, vous avez certainement ressenti dans ce cours une certaine inflexion. Après coup, j'ai eu l'impression de vous avoir noyés sous les noms: Brunchvicg (qui fut l'éditeur de Pascal), Juliette Adam, Antoinette Faure, Félix Faure, Mme du Deffand, les frères Reinach [1], Halévy, Monsieur de Traves (Anatole France) et Monsieur Beulier (Alphonse Darlu), Madame de Beausergent... j'ai voulu vous exposer à cette extraordinaire mémoire proustienne et vous montrez que lorsqu'on tire un fil, tant de choses remontent (on en reviet à la polysémie de ce mot "remonte"). Il s'agit d'une mémoire monstrueuse.

Après l'absence du XVIIIe siècle, cette sorte de trou de mémoire, je voudrais m'intéresser aujourd'hi à la présence intense du Grand Siècle, ce qu'on pourait appeler le "classissisme" de Proust, au moment même où l'on parle d'un "classissisme moderne" à la NRF ou chez Moréas, par exemple. Trouve-t-on les mêmes références chez Proust, de quel XVIIe siècle s'agit-il chez Proust?
Je vous renvoie bien sûr aux sujets que Gisèle a eu pour le certificat d'étude:

L’un était: «Sophocle écrit des Enfers à Racine pour le consoler de l’insuccès d’Athalie»; l’autre: «Vous supposerez qu’après la première représentation d’Esther, Mme de Sévigné écrit à Mme de la Fayette pour lui dire combien elle a regretté son absence.»[2]

Ce sont bien sûr deux sujets très académiques. Je vous renvoie à ces pages et aux commentaires des jeunes filles. Gisèle a choisi le premier sujet et a commencé sa lettre par «Cher ami», ce qui ne plaît pas à Albertine. Ici c'est tout le classissisme scolaire qui est ridiculisé.

Le choix du XVIIe contre le XVIIIe siècle correspond à une grande division qui partage les Français: d'un côté la religion, la monarchie, (etc), de l'autre la République, la laïcité. On se souvient de Roland Barthes déclarant en 1971 lors d'une interview: «J'ai lu, hélas peut-être, plus de Bossuet que de Diderot», ce qui était, surtout de la part d'un lycéen protestant, une remarque très révélatrice de l'enseignement de l'entre-deux-guerres. Le progrès s'opposait à la réaction, le mouvement à l'ordre.
Le XVIIe siècle est un lieu de mémoire. Cela reprend le thème des deux France, un thème encore opératoire aujourd'hui, comme le prouve un livre sorti avec ce titre sur un tout autre sujet... encore que...

On se rappelle de Brunetière cité par Péguy, (mais l'anecdote est célèbre et se trouve rapportée par d'autres que Péguy). Une dame avait envoyé ses écrits à La Revue des deux Mondes dans l'espoir d'une publication. Brunetière la rencontre et lui dit:
— Madame, je ne puis malheureusement prendre votre roman, c'est du pur XVIe.
— Comment? Aurais-je la chance, moi, d'écrire dans ce style si pur?
— Madame, je voulais dire du pur XVIe arrondissement.

Voyons comment nous pouvons situer Proust par rapport à Maurras. On se souvient que Léon Daudet, ami de Proust, est proche de Maurras.
On touve dans Le Temps retrouvé un éloge d'Aimée de Coigny de Maurras. Charlus s'exclame: «Vous m'avez fait lire autrefois l'admirable Aimée de Coigny de Maurras.»[3]
Il sagit en fait de Mademoiselle Monk, sorte de réécriture des mémoires d'Aimée de Coigny dans lesquels celle-ci raconte son rôle pour ramener la royauté en France. La Restauration, pour Mauras, c'est une bonne fortune, le kairos. Pour Maurras, elle résulte d'une conversation entre une mondaine et Talleyrand. Charlus continue: «Si l'Aimée actuelle existe, ses espérances se réaliseront-elles? Je ne le désire pas.»
Les attitudes de Proust et de Maurras sont donc radicalement différentes. Maurras, c'est la lutte contre la Révolution, le romantisme, la République, la Réforme: cet assemblage est très peu proustien.
Proust s'inspire également peu de Bossuet. Le romantisme est nullement honni par Proust, au contraire des convictions de l'Action française, pour qui le romantisme incarne le mal français, surtout au féminin.
On trouve simplement chez Proust une ironie envers la République et l'égalité qu'il appelle égalitarisme.

On observe ce qu'Arno Mayer a appelé dans un très bon livre La Persistance de l'Ancien Régime. Il y a cette persistance dans La Recherche, suivant cette remonte. D'après Arno Mayer, l'Ancien Régime persiste jusqu'à la guerre de 1914 dans l'économie, la politique, les mœurs. L'un des intérêt de La Recherche est justement d'avoir été écrit à cheval sur la guerre: il voit la fin de l'Ancien Régime. [Je salue ici la modestie de Compagnon qui ne fera aucune référence à son propre livre, Proust entre deux siècles, livre qui paraît malheureusement épuisé.]

Un pemier passage susceptible d'illustrer cette thèse se trouve au début de La Prisonnière.

Quand j’avais dit à Albertine, à notre arrivée de Balbec, que la duchesse de Guermantes habitait en face de nous, dans le même hôtel, elle avait pris, en entendant le grand titre et le grand nom, cet air plus qu’indifférent, hostile, méprisant, qui est le signe du désir impuissant chez les natures fières et passionnées.

L'indifférence, l'hostilité et le mépris sont immédiatement interprétés comme les signes d'une frustration.

Celle d’Albertine avait beau être magnifique, les qualités qu’elle recélait ne pouvaient se développer qu’au milieu de ces entraves que sont nos goûts, ou ce deuil de ceux de nos goûts auxquels nous avons été obligés de renoncer – comme pour Albertine le snobisme – et qu’on appelle des haines.

La haine, c'est un goût frustré.

Celle d’Albertine pour les gens du monde tenait, du reste, très peu de place en elle et me plaisait par un côté esprit de révolution – c’est-à-dire amour malheureux de la noblesse – inscrit sur la face opposée du caractère français où est le genre aristocratique de Mme de Guermantes.

Aristocratie et révolution sont l'avers et l'envers du caractère français, on retrouve ce thème des deux France aux caractères opposés.

Ce genre aristocratique, Albertine, par impossibilité de l’atteindre, ne s’en serait peut-être pas souciée, mais s’étant rappelé qu’Elstir lui avait parlé de la duchesse comme de la femme de Paris qui s’habillait le mieux, le dédain républicain à l’égard d’une duchesse fit place chez mon amie à un vif intérêt pour une élégante.[4]

Ce passage est retors:
1/ La haine résulte d'une passion blessée, d'un snobisme déçu, c'est une haine entièrement négative.
2/ Il s'agit d'une proposition générale: la haine résulte d'une inclination à laquelle on a été obligé de renoncer.
3/ La Révolution est l'autre face d'un amour malheureux pour la noblesse, le dédain républicain et l'amour aristocratique sont les deux faces d'un même mouvement. Ce dédain ne demande qu'à se rendre, il n'aspire qu'à quelque chose comme de la reconnaissance.

Cela nous amène à un second passage qui montre la persistance de l'esprit de cour à la fin du XIXe siècle. Il s'agit de l'analyse de la façon dont la princesse de Parme reçoit les hommages, c'est une analyse de la dialectique de la courtoisie, où l'amabilité répond à la déférence.
Le narrateur analyse la disparition progressive de cette politesse, c'est une analyse à la manière de Tocqueville.

Sans doute, et il semble que dans une société égalitaire la politesse disparaîtrait, non, comme on croit, par le défaut de l’éducation, mais parce que, chez les uns disparaîtrait la déférence due au prestige qui doit être imaginaire pour être efficace, et surtout chez les autres l’amabilité qu’on prodigue et qu’on affine quand on sent qu’elle a pour celui qui la reçoit un prix infini, lequel dans un monde fondé sur l’égalité tomberait subitement à rien, comme tout ce qui n’avait qu’une valeur fiduciaire.

Proust procède à une analyse de l'humilité et de l'amabilité:

Mais cette disparition de la politesse dans une société nouvelle n’est pas certaine et nous sommes quelquefois trop disposés à croire que les conditions actuelles d’un état de choses en sont les seules possibles. De très bons esprits ont cru qu’une république ne pourrait avoir de diplomatie et d’alliances, et que la classe paysanne ne supporterait pas la séparation de l’Église et de l’État. Après tout, la politesse dans une société égalitaire ne serait pas un miracle plus grand que le succès des chemins de fer et l’utilisation militaire de l’aéroplane. Puis, si même la politesse disparaissait, rien ne prouve que ce serait un malheur. Enfin une société ne serait-elle pas secrètement hiérarchisée au fur et à mesure qu’elle serait en fait plus démocratique ? C’est fort possible. Le pouvoir politique des papes a beaucoup grandi depuis qu’ils n’ont plus ni États, ni armée ; les cathédrales exerçaient un prestige bien moins grand sur un dévot du XVIIe siècle que sur un athée du XXe, et si la princesse de Parme avait été souveraine d’un État, sans doute eussé-je eu l’idée d’en parler à peu près autant que d’un président de la république, c’est-à-dire pas du tout.[5]

Ce passage est typique de la prolifération d'hypothèses qu'on retrouve couramment chez Proust. La politesse disparaît avec la disparition de la déférence et de l'affabilité par rapport à une valeur imaginaire.
On retrouve dans ce passage l'hypothèse que la république est incompatible avec la diplomatie, ce qui est on s'en souvient l'opinion de Norpois. Il existe une autre hiérarchie sous l'égalité, une hiérarchie différente et secrète, la rémanence de l'ancien dans le nouveau. Trois exemples nous en sont donnés:
1/ Le pape n'a plus de pouvoir politique depuis 1870, et curieusement c'est cette perte de pouvoir que Proust appelle son pouvoir politique.
2/ Les cathédrales n'ont plus qu'une valeur esthétique mais ont par là plus d'influence sur un athée du XXe siècle qu'un croyant du XVIIe. Cette thèse avait été développée par Proust dans un article de 1903. Proust s'oppose à Ruskin qui soutenait qu'on ne pouvait apprécier les cathédrales sans foi et rejoint Léon Malle pour qui c'était possible.
3/ La dimension littéraire de la princesse de Parme provient directement de son prestige d'appartenir à une aristocratie déchue. La princesse est entourée du sentiment de la décadence, de la perte ou de la nostagie. Tout cela lui compose l'aura liée en République à ce qui est en train de mourir. Cela peut faire penser à Chateaubriand, il y a ici une esthétique de la décadence liée à la démocratie.
Le Temps retrouvé intervient après la disparition de l'ancien Régime:

J’aurais dû penser qu’on appelle ancien régime ce dont on n’a pu connaître que la fin ; c’est ainsi que ce que nous apercevons à l’horizon prend une grandeur mystérieuse et nous semble se refermer sur un monde qu’on ne reverra plus;[6]

C'est le thème de la douceur de vivre de la fin de l'Ancien Régime, selon le mot de Talleyrand («quiconque n’a pas vécu avant 1789 ne connaît pas la douceur de vivre»).
On peut dire que dans ce régime égalitaire le pape, les cathédrales, la princesse font contrepoids; ils sont les moyens par lesquels l'art restaure une élite, une hiérarchie.

Revenons sur la chute de la citation: la princesse de Parme peut figurer dans La Recherche, pas un président de la République.
Ce n'est pas tout à fait exact, d'ailleurs, plusieurs présidents figurent dans La Recherche, et tout d'abord Jules Grévy, qui fut le premier président de la IIIe République. On se rappelle de ce mot de Jules Grévy qui inaugurait le Salon des Champs-Elysées si l'année avait était bonne. On lui répond: «Rien d'extraordinaire, mais une bonne moyenne» et Grévy conclut: «C'est cela, messieurs, c'est cela. Pas de génie, mais une bonne moyenne, voilà ce qu'il faut à notre démocratie!»
Chaque fois que le président de la République passe dans La Recherche, c'est l'occasion d'un moment de gêne. A chaque fois il y a malentendu. Ainsi lorsque Swann promet d'obtenir des billets pour les Danicheff pour le petit groupe Verdurin, il explique:

– Je vous promets de m’en occuper, vous l’aurez à temps pour la reprise des Danicheff, je déjeune justement demain avec le Préfet de police à l’Élysée.
– Comment ça, à l’Élysée ? cria le docteur Cottard d’une voix tonnante.
– Oui, chez M. Grévy, répondit Swann, un peu gêné de l’effet que sa phrase avait produit.
Et le peintre dit au docteur en manière de plaisanterie :
– Ça vous prend souvent ?
Généralement, une fois l’explication donnée, Cottard disait : « Ah ! bon, bon, ça va bien » et ne montrait plus trace d’émotion.
Mais cette fois-ci, les derniers mots de Swann, au lieu de lui procurer l’apaisement habituel, portèrent au comble son étonnement qu’un homme avec qui il dînait, qui n’avait ni fonctions officielles, ni illustration d’aucune sorte, frayât avec le Chef de l’État.
– Comment ça, M. Grévy ? Vous connaissez M. Grévy ? dit-il à Swann de l’air stupide et incrédule d’un municipal à qui un inconnu demande à voir le Président de la République et qui, comprenant par ces mots « à qui il a affaire », comme disent les journaux, assure au pauvre dément qu’il va être reçu à l’instant et le dirige sur l’infirmerie spéciale du dépôt.
– Je le connais un peu, nous avons des amis communs (il n’osa pas dire que c’était le prince de Galles), du reste il invite très facilement et je vous assure que ces déjeuners n’ont rien d’amusant, ils sont d’ailleurs très simples, on n’est jamais plus de huit à table, répondit Swann qui tâchait d’effacer ce que semblaient avoir de trop éclatant, aux yeux de son interlocuteur, des relations avec le Président de la République.[7]

L'Elysée est toujours un faux-pas. Il y a un malaise dans les rapport avec les nouvelles couches. Ce passage souligne en fait l'incongruïté de la présence de Swann chez les Verdurin. On retrouve ce malaise lorsque Charlus rencontre Legrandin lors du mariage de la nièce de Jupien avec le jeune Cambremer, ce mariage qui aurait tant choqué la grand-mère du narrateur et qui lui fait dire que l'aristocratie ose des alliances que ne conçoit pas la bourgeoisie.

et presque personne ne remarqua qu’en lui disant bonjour M. de Charlus lui adressa un sourire difficile à percevoir, plus encore à interpréteri; ce sourire était pareil en apparence, et au fond était exactement l’inverse, de celui que deux hommes qui ont l’habitude de se voir dans la bonne société échangent si par hasard ils se rencontrent dans ce qu’ils trouvent un mauvais lieu (par exemple l’Élysée où le général de Froberville, quand il y rencontrait jadis Swann, avait en l’apercevant le regard d’ironique et mystérieuse complicité de deux habitués de la princesse des Laumes qui se commettaient chez M. Grévy).[8]

La situation est inversée, l'Elysée devient la référence des mauvais lieux. De la même façon, le duc de Guermantes et scandalisé de ce que sa femme a mis une carte à l'Elysée suite à un dîner chez l'ambassadrice d'Angleterre où ils ont été présentés:

[...] Mme de Guermantes, qui ne me fait pas souvent l’honneur de me consulter, a cru devoir aller mettre une carte dans la semaine à l’Élysée. Gilbert a peut-être été un peu loin en voyant là comme une tache sur notre nom. Mais il ne faut pas oublier que, politique mise à part, M. Carnot, qui tenait du reste très convenablement sa place, était le petit-fils d’un membre du tribunal révolutionnaire qui a fait périr en un jour onze des nôtres. »
– Alors, Basin, pourquoi alliez-vous dîner toutes les semaines à Chantilly ? Le duc d’Aumale n’était pas moins petit-fils d’un membre du tribunal révolutionnaire, avec cette différence que Carnot était un brave homme et Philippe-Égalité une affreuse canaille.[9]

La mémoire de l'Ancien Régime est aussi active que dans un roman de Balzac ou chez Barbey d'Aurevilly.

Enfin, nous trouvons une autre illustration de la disparition et de la résurgence de la politesse au début du Côté de Guermantes dans la description de la demeure:

C’était une de ces vieilles demeures comme il en existe peut-être encore et dans lesquelles la cour d’honneur – soit alluvions apportées par le flot montant de la démocratie, soit legs de temps plus anciens où les divers métiers étaient groupés autour du seigneur – avait souvent sur ses côtés des arrière-boutiques, des ateliers, voire quelque échoppe de cordonnier ou de tailleur, comme celles qu’on voit accotées aux flancs des cathédrales que l’esthétique des ingénieurs n’a pas dégagées, un concierge savetier, qui élevait des poules et cultivait des fleurs – et au fond, dans le logis « faisant hôtel », une « comtesse » qui, quand elle sortait dans sa vieille calèche à deux chevaux, montrant sur son chapeau quelques capucines semblant échappées du jardinet de la loge (ayant à côté du cocher un valet de pied qui descendait corner des cartes à chaque hôtel aristocratique du quartier), envoyait indistinctement des sourires et de petits bonjours de la main aux enfants du portier et aux locataires bourgeois de l’immeuble qui passaient à ce moment-là et qu’elle confondait dans sa dédaigneuse affabilité et sa morgue égalitaire.[10]

Le «flot montant» de la démocratie est un cliché; on pense à cette phrase de Royer-Collard en 1822: «Oui, la démocratie coule à pleins bords dans cette belle France plus que jamais favorisée au Ciel.» Royer-Collard fait parti du «grand parti conservateur libéral intelligent», sa république est celle que Proust appelle de ses vœux. (La monarchie de Juillet a vu disparaître la prairie héréditaire, laminant la noblesse.) Le «flot montant de la démocratie» a été analysé par Rémy de Gourmont et par Jean Paulhan dans Les fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres.
On remarque les oxymoron «la dédaigneuse affabilité» et la «morgue égalitaire».
Sous la surface égalitaire, le peuple garde une mémoire de l'Ancien Régime. Bien sûr, cette conclusion de Proust tien aussi au fait qu'il a surtout connu le peuple des domestiques, c'est-à-dire le peuple sans doute le plus proche de l'aristocratie.
On se rappelle que si Proust se moque de la chambre bleu horizon, il remarque que Saint-Loup aurait été élu s'il avait survécu:

J’ai souvent pensé depuis, en me rappelant cette croix de guerre égarée chez Jupien, que si Saint-Loup avait survécu il eût pu facilement se faire élire député dans les élections qui suivirent la guerre, [...] L’élection de Saint-Loup, à cause de sa « sainte » famille, eût fait verser à M. Arthur Meyer des flots de larmes et d’encre. Mais peut-être aimait-il trop sincèrement le peuple pour arriver à conquérir les suffrages du peuple, lequel pourtant lui aurait sans doute, en faveur de ses quartiers de noblesse, pardonné ses idées démocratiques.[11]

Les Guermantes sont donc une «sainte famille». Le peuple considère que les idées démocratiques sont une lubie d'aristocrate.

La mémoire est le réceptacle d'une sensibilité à la persistance de l'Ancien Régime, d'autant plus charmant qu'il est devenu impuissant.


La version de sejan.

Notes

[1] qui raflent tous les prix au Concours Général, nous avait dit Compagnon la semaine dernière. Voir lien dans les commentaires.

[2] À l'ombre des jeunes filles en fleurs Clarac t1 p.911/ Tadié p.261

[3] Le Temps retrouvé, Clarac t3 p.797

[4] La Prisonnière, Clarac t3 p.32

[5] Le côté de Guermantes, Clarac t2 p.455/ Tadié t2 p.746

[6] Le Temps retrouvé Clarac t3 p.929

[7] Du côté de chez Swann Clarac t1 p.216/ Tadié t1 p.213

[8] La Fugitive Clarac t3 p.667

[9] Le côté de guermantes Clarac t2 p.585/ Tadié t2 p.872

[10] Du côté de Guermantes Clarac t2 p.15-16/ Tadié t2 p.313

[11] Le Temps retrouvé, Clarac t3 p.853