Comme je le disais hier, j’éprouve une grande défiance envers «les infos» et leur goût du sensationnalisme. D'autre part, dans des domaines moins émotionnels, les «infos» sont le plus souvent incompréhensibles: beaucoup de sujets sont traités si elliptiquement qu’il faut déjà les connaître pour comprendre de quoi il retourne (pensais-je ce matin en écoutant un débat sur l’euro fort).

En revanche, j’aime bien la presse quotidienne spécialisée, elle fournit souvent des informations précises sur des faits précis. Dans le domaine économique mon grand favori est L’Agefi: analyses courtes et claires, pas de fioriture. Je dispose également de La Tribune et des Echos, et je les parcours de temps en temps. J’aime leurs critiques « culturelles », car il me semble qu'un journaliste des Echos ou de La Tribune est forcément plus libre de ses jugements que s'il travaillait pour Télérama ou Le Monde (mais je reconnais que c’est un préjugé).
(Je me souviens avoir acheté au début des années 90 L’art de la mémoire parce qu’il avait été loué par Denis Kessler dans… L’Argus de l’assurance.)

Donc, pour en venir au fond de mon propos, je rangeais ce matin un numéro des Echos quand j’ai été arrêtée par cet encadré :

Le style, c’est le candidat
Les indécis n'ont plus que cinq jours pour sortir du bois. Pourquoi ne se prononceraient-ils pas selon les goûts littéraires des candidats ? Le style, c'est l'homme, non? L'hebdomadaire Le Point, sous la signature de Christophe Deloire, publie une passionnante enquête sur Les bonnes lectures des candidats. Jean-Marie Le Pen, y apprend-on, lit des ouvrages sur la Légion et les maquis indochinois; Philippe de Villiers du Jean Raspail; Olivier Besancenot le Voyage à motocyclette du Che en Amérique latine et les lettres de Louise Michel à Victor Hugo. Evident, dira-t-on, caricatural même.

Justement, la force de cette enquête est de nous révéler leurs autres lectures. Surprenantes. Nicolas Sarkozy a une passion pour Albert Cohen et Céline, et Ségolène Royal aime «la prose économe de Marguerite Duras» ou la «littérature froide de Gao Xingjian». Elle aime aussi Victor Hugo, Alexandre Dumas et Olympe de Gouges, l'auteur de la «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne», en 1792. Comme Jean-Marie Le Pen, amateur du «polygraphe patriote», Max Gallo qui voit en Olympe «le premier homme politique moderne». François Bayrou, lui, se ressource dans Péguy, comme Philippe de Villiers. Socialiste, dreyfusard, catholique, nationaliste — Péguy peut plaire à tout le monde, pour des raisons différentes. Côté roman, le président du Conseil général de Vendée juge Marcel Aymé «indépassable». En poésie, il choisit Baudelaire et il aime le Bernanos anti-bourgeois. Dominique Voynet plébiscite les mangas et les bandes dessinées de Marjane Satrapi et Joann Sfar. Frédéric Nihous, le candidat de la ruralité, préfère Hugo Pratt. S'il a dans sa bibliothèque La Chasse au canard, du docteur Rocher — «la bible de la chasse au gibier d'eau», selon l'hebdomadaire —, il a aussi le colonel Lawrence — Les Sept Piliers de la sagesse, son livre de référence —, Kessel, Monfreid, les mémoires de Churchill et de Gaulle.

Dans toutes ces bibliothèques, il manque un titre : les Conseils aux politiques pour bien gouverner, de Plutarque (50-125), le livre de chevet de Machiavel, Montaigne, Montesquieu, Rousseau, Napoléon. Le recueil, publié par les éditions Rivages, se veut une réponse à une seule question : qu'est-ce qu'une bonne conduite politique ? Le béotien, qui enseigna la philosophie à Rome, n'est pas avare de conseils. Il ne faut pas, écrit-il, s'engager dans la vie publique pour la gloire, l'argent et les honneurs, mais pour un dessein. Il faut savoir être absent, disparaître, sinon on finit par lasser. Il faut rester soi-même, s'en remettre toujours à la raison pour éviter la tentation tyrannique, user avec parcimonie de la raillerie pour ne pas blesser ses adversaires, se garder de ses amis, etc. Il y en a deux cents pages. Cela peut toujours servir.

E.H. in Les Echos du 17 avril 2007