Suivent les notes prises durant un exposé d’Hervé Le Crosnier, maître de conférence à Caen. Je fais très peu d’efforts de mise en forme; après tout, le document initial est un Power Point commenté. Rien de bien neuf dans tout ça, mais pour ceux qui comme moi n’ont pas de recul théorique, cela fournit une structure dans laquelle engranger les informations.


Le web 2.0 est le résultat d’un basculement par accumulation de petits changements incrémentaux : nous sommes passés d’un web de publication (un émetteur/un récepteur) à un web de conversation (tout le monde émet, tout le monde reçoit). Le terme a été utilisé pour la première fois par Tim O’Reilly. Ce terme recouvre de nouveaux aspects techniques et technologiques, de nouvelles pratiques sociales (les lecteurs se mettent à écrire) et de nouveaux modèles économiques.

Ce terme a été consacré par la presse, toujours avide de nouveauté, par les utilisateurs et par la web science (dont Tim Berners-Lee).


Le développement du web 2.0 se décrit avant tout par des exemples. Les gens ont fait des choses chacun dans leur coin, on ne s’est aperçu qu'après qu’elles allaient toutes dans le même sens. Il ne s’agit pas d’un projet concerté.
• La mise en commun de photos (cf. Flickr), avec l’abolition de frontières nettes entre le public et le privé.
• Les tags, qui ont ajouté à la description des photos des notions abstraites, comme la joie, par exemple. Les tags des uns et des autres se sont enrichis mutuellement et permettent des recherches transversales.
• Amateurs et professionnels sont mis sur un même pied.
• Apparition de méta-données géographiques (outil de décision). Pour l’instant il ne s’agit que de données géographiques, mais il y aura sans doute bientôt des outils de cartographie mentale.
• Réutilisation des données d’autres sites (mashup, sorte de copié/collé généralisé).
• Licence creative common, qui permet aux auteurs de donner des droits d’éditeurs à leurs lecteurs.

Folksonomie
On voit se développer la folksonomie, agrégation de folk et taxinomie : il s’agit de système de classification généralisée comme Delicious, par exemple. Cela crée un système coopératif de veille sur internet. Cela remplace la critique traditionnelle, on obtient désormais une sorte de critique à l’applaudimètre : quels sont les sites les plus souvent recommandés ?

Blogosphère
Ça marche parce qu’il y a interconnection entre les blogueurs : qui va me citer, qui je cite, à quel système social j’appartiens?
C’est un outil d’expression pour les adolescents qui se mettent à écrire en public et qui maîtrisent les techniques de publications en ligne (photos, videos, etc).
C’est un outil de débat.
Aux Etats-Unis, c’est même l’occasion d’un débat sur le débat suite à l’expérience d’Howard Dean, qui a eu d’excellents résultats lors de la dernière campagne tant qu’il est resté sur internet mais s’est écroulé dans les sondages quand il est entré en campagne officielle à la télévision. Joe Trippi, le directeur de campagne d’Edward Dean, le raconte dans un excellent livre The Revolution Will Not Be Televised.
Le débat qui a lieu en ce moment pose la question suivante : est-ce qu'en quatre ans nous n’avons pas transformé nos blogueurs en gourous des médias sans contrepartie, c’est-à-dire sans l’éthique qui s’impose aux journalistes? (et lorsque on songe à l’éthique des journalistes américains, cette question fait peur!)

microfinancement (publicité)
La publicité au nombre de clics. C’est la quantité qui rapporte de l’argent.

le journalisme citoyen
Il s’agit d’utiliser le témoignage des citoyens qui souhaitent écrire. On se rappelle du rôle de OhmyNews en Corée du Sud, qui a permis en 2002 l’élection du premier président démocrate Roh Moo Hyun.
Il ne s’agit pas d’un blog, le journal dispose d’une ligne éditoriale et d’un comité rédactionnel.
Mais peut-on vraiment appeler journal une collection de témoignages ?

Un exemple : en 2002, un jeune garçon décède lors du sommet de Gênes. Dans l’heure qui suit, des dizaines de photos prises sous des angles différents publiées dans différents blogs contredisent la version de la police qui est obligée d'en changer.
La police ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a détruit le jour suivant le bâtiment occupé par un centre de presse indépendant

Dernier exemple, celui de Brest qui a proposé à ses habitants d’écrire sur le net. On s’est alors rendu compte que ce n’était pas naturel pour tout le monde, et qu’il fallait une formation à l’écriture publique.

Wikipedia
C’est la disparition de l’auteur.
Il y a un consensus sur la qualité des articles scientifiques. En revanche, l’expérience est moins concluante dès qu’il s’agit d’articles qui reflètent une vision du monde.

Réseau social
On en trouve un exemple dans des applicatif comme Myspace. En permettant de définir ses relations, MySpace dessine une vision déterministe des rapports sociaux.
Vous savez que la sociologie parle de « trous structuraux », d’endroits où il n’existe pas de relations, et que les visions avant-gardistes visent à combler ces trous structuraux. Mais l’avant-garde n’est pas l’endroit où l’on gagne de l’argent.
Ruppert Murdoch renouvelle le modèle de l’industrie musicale. Il est en train de développer un modèle où chaque personne pourra vendre sa propre musique.

Vidéos
C’est l’événement 2006/2007. Cela devient le principal support de l’information. YouTube et Dailymotion se sont comportés comme de vrais bandits de grand chemin, en laissant totalement libre la mise en ligne de vidéos. De facto, les usagers se sont comportés comme si tout ce qu’ils voyaient pouvait être montré au monde entier (et non à vos amis, comme l’autorise la loi. Mais puisque le monde entier est votre ami…)
On est dans un modèle de capitalisme sauvage, où celui qui occupe tout la place a raison.

Archimage
Bien sûr, il se pose la question de la disparition des pages et des liens non pérennes (les articles de journaux disponibles que quelques jours, par exemple).
Hanzoweb commence à proposer des solutions d’archivage où ce seront les utilisateurs qui choisiront ce qu’ils veulent garder... Il se développe également des systèmes d’archivage inter-entreprises.

Portail personalisé
Comme Netvibes, par exemple. Permet de mettre en page son propre portail, avec ses fils RSS.

Commerce
Consumer to Consumer (Ebay). On parle aussi de shoposphère.
On voit se développer un système de préconisation, y compris dans le tourisme. Plus personne n’achète quoi que ce soit sans vérifier ce qu’il s’en dit sur le web. On va voir s’il y a des photos de l’hôtel où on souhaite se rendre…

Moteurs de recherche
Ce sont les outils de diffusion publicitaire dont le système a absolument besoin pour son financement.
La publicité, c’est la rencontre du désir d’un vendeur avec le besoin d’un client (ou l’inverse). Internet transforme les moteurs en média, le média étant ce qui met en relief ce qui mérite de l’audience.
Les critères de cette mise en relief sont des critères publicitaires.

Techniques
Les navigateurs passent des accords avec des plate-formes (exemple : Firefox et Ebay).
Internet est accessible depuis son téléphone portable devenu appareil photo.
On assiste à un déport des applications bureautiques vers des applications en ligne.
Flux RSS.

Le web est devenu le terrain de jeu des activités commerciales. Le premier à avoir compris les impacts de cette évolution est Amazon qui a donné les clés de son catalogue et a autorisé des tiers à l’utiliser (blogs, iTunes, etc). Il a ainsi gagné en puissance.

Pratiques sociales
Ne plus lire mais écrire : conversation désormais mondiale.
La culture devient une culture du mixage, du copié/collé.
L’économie du web était à l’origine présentée comme une économie de longue traîne (long tail), traditionnelle dans le domaine de l’information : quelques produits attiraient la masse des consommateurs, le reste trouvait preneur dans « la longue traîne », qui permettait d’accéder à des niches, à des sous-groupes de consommateurs. Mais finalement c’est faux : internet est un media de masse, et les financiers attendent qu’un site ait atteint une taille critique pour y injecter de l’argent.
Dans le même temps, les grands groupes accumulent des informations sur nous.

Un exemple est Riya.com, qui permet(tra) la reconnaissance de visages. (Il n’y a plus de frontières entre le privé et le public). On entre dans les technologies de l’identité, tout se rapporte à la personne, le mobile, l’iPod, le wearable computer.

Quels rapports l’individu entretient-il avec la masse ?
Se pose la question de l’identité : qui suis-je quand ce que j’écris reste disponible publiquement des années?
On assiste à une émergence d’une économie de l’identité : si je sais ce que tu es je vais pouvoir te rendre service , mais si j’adapte mon service je vais pouvoir t’influencer. (voir les smartadds sur Yahoo).

À côté, le web sémantique
Ceux qui vont lire sont des robots. Ils utilisent le langage de graphe RDF, avec le triplet bien connu de tous ceux qui gèrent de l’information, un sujet (Hernani: est-ce la pièce, le livret, la représentation, un film, etc), un prédicat (a pour auteur: écrivain, metteur en scène, éditeur, de qui parle-t-on), un objet (Victor Hugo, ou Hugo virgule Victor, etc).
Chaque élément du triplet est représenté par un URI, mais je ne saurais trop vous engager à vous pencher sur ce langage.
Cette représentation en XML représent un monde de relations. Il s’agit de sémantique sociale. Pendant des siècles, les documentalistes et bibliothécaires ont dû s’adapter aux documents, aujourd’hui il leur faut s’adapter aux usagers.

On évolue vers des cyberstructures, qui nécessitent d’autres outils : du web sémantique, des outils de productivité en réseau, etc.

Je vous recommande deux ouvrages collectifs publiés sous le peudonyme de Robert T. Pédauque : Le document à la lumière du numérique et La redocumentarisation du monde.
Il faut bien prendre conscience que désormais, tout document qui n’est pas inséré dans un collection virtuelle avec des tags, des pageranks, des préconisations et des critiques de lecteurs est un document qui n’existe pas.
Il s’agit donc d’organiser la gouvernance : va-t-on laisser les grands groupes organiser l’information en fonction de la publicité ou va-t-on tenter de l’organiser en fonction des intérêts des utilisateurs ?


(Cette envolée lyrique s’explique par le fait que l’exposé était prononcé par un ancien conservateur de bibliothèque devant des documentalistes…)

Cela a continué toute la journée, avec un paradoxe amusant : d’un côté on nous expliquait que le grand méchant internet en voulait à nos sous après nous avoir auscultés sous tous les angles, de l’autre on venait nous vendre des technologies adaptées à l’entreprise (genre wiki en intranet, par exemple).


édit :

allez voir ça (puis écoutez la chanson de l'iPhone (c'est le post précédent. Finalement, internet permet simplement à la planète de retomber en enfance, et c'est plutôt plaisant. Bon, je vais me coucher))