Résumer un livre qui résume la philosophie en six heures et quart est un défi stupide qu'il m'est, par hasard, assez facile de relever : en effet ce livre est la réponse (une réponse possible) au premier sujet de dissertation de philosophie auquel j'ai eu à me frotter: «Quel rapport la conscience entretient-elle avec ses objets?»

La préface, assez longue, de Francesco M. Cataluccio nous explique que ces cours donnés à sa femme et à son ami Dominique de Roux aidaient Gombrowicz à oublier la souffrance de sa maladie.

Les cours de Gombrowicz articulent le passage d'une pensée à l'autre depuis Kant. Ils étudient le cheminement de la philosophie classique à la philosophie existentialiste à travers une poignée de philosophes. L'ironie et le recul de Gombrowicz sont constants, pour lui la philosophie est un jeu intéressant, poétique, fondamental, mais auquel il ne faut pas "croire", elle ne construit que des systèmes qui passent: «Je suis de l'école de Montaigne et je suis pour une attitude plus modérée: il ne faut pas succomber aux théories, il faut savoir que les systèmes ont une durée de vie très courte et ne pas s'en laisser imposer.» (p.120)


Collage rapide de quelques propositions, si rassemblées déjà que je vois mal comment les résumer:

- A propos de Descartes : «La philosophie commence à s'occuper de la conscience comme chose fondamentale.» (p.46)

- Kant: «Il ne s'agit pas de critique de la raison pure; on veut juger sa propre conscience.» «Le raisonnement de Kant dans la Critique de la raison pure, même exprimé de façon obscure, est: tout ce que nous savons du monde, nous l'exprimons par des jugements.» (p.47)

- Schopenhauer:

Ici s'ouvre la porte d'une nouvelle pensée philosophique: la philosophie cesse d'être une démonstration intellectuelle pour entrer en contact direct avec la vie. (p.67)
Je répète: Kant a démontré que nous ne pouvons jamais pénétrer dans le monde du numen, par exemple il est impossible, avec un raisonnement, de prouver l'existence de Dieu. En ce sens, Kant a dit que notre raison est limitée au monde phénoménologique. Le temps et l'espace ne sont pas hors de nous, c'est le sujet pensant qui les introduit dans le monde, nous ne pouvons donc rien percevoir d'infini, d'universel comme Dieu. [...]
Quand la volonté de vivre se manifeste dans le monde phénoménologique, elle se divise en une innombrable quantité de choses qui se dévorent mutuellement pour vivre. Le loup dévore le chat, le chat la souris, etc. (p.69)

- Hegel:

Hegel découvre cette contradiction dans la base même de l'esprit; par exemple quand nous disons tout, nous devons admettre le singulier. [...]
La philosophie de Hegel est une philosophie du devenir, ce qui est un grand pas en avant, car ce processus du devenir n'apparaît pas dans les philosophies antérieures. Ce n'est pas seulement un mouvement, mais un progrès, puisque ce processus dialectique nous met toujours sur un échelon supérieur jusqu'à l'aboutissement final de la raison, et ce processus chez Hegel est naturellement fondé sur le progrès de la raison, c'est-à-dire de la science. Ce qui le mène à donner la plus grande importance à l'histoire. (p.80)

- Kierkegaard:

L'attaque de Kierkegaard contre Hegel se résume ainsi: Hegel est absolument irréprochable dans sa théorie, mais cette théorie ne vaut rien.
Et pourquoi?
Parce qu'elle est abstraite, tandis que l'existence (c'est la première fois que mot apparaît) est concrète.
[...]
L'existentialisme se veut surtout une philosophie du concret. Mais c'est un rêve; avec la réalité concrète, on ne eput pas faire des raisonnements. Les raisonnements usent toujours des concepts, etc. L'existentialisme est donc une pensée tragique car elle ne peut pas se suffire à elle-même, elle doit être une philosophie concrète et abstraite en même temps. (p.87)

- L'existentialisme, Husserl.

Husserl dit: puisque nous ne pouvons rien dire du numen (chose en soi), nous mettons entre parenthèses le numen; c'est-à-dire que l'unique chose de laquelle on peut parler, ce sont les phénomènes. [...]
Tout a changé de façon démoniaque. Cela change l'univers. Il n'y a rien de plus qu'un centre définitif qui est la conscience et ce qui se passe dans la conscience. [...] Tout se réduit à des phénomènes dans ma conscience. Comment, dans cet état de choses, peut-on faire de la philosophie?
Je vous prie de ne pas oublier que c'est une façon extrêment rudimentaire de vous présenter la phénoménologie.
Il y a encore une loi de la conscience formulée par Husserl, qu'on appelle «l'intentionalité» de la conscience, c'est-à-dire que la conscience consiste à être conscient. Mais pour être conscient, il faut toujours être conscient de quelque chose. Et cela signifie que la conscience ne peut jamais être vide, séparée de l'objet. Cela mène directement à la conception de l'homme de Sartre qui dit que l'homme n'est pas un être en soi comme le sont les objets, mais un être «pour soi», qu'il est conscient de lui-même. Cela mène à une conception de l'homme séparée en deux avec un vide. C'est pour cette raison que le livre de Sartre s'appelle néant.[...]
Mais, avec la méthode phénoménologique, on peut organiser les données de notre conscience concernant notre existence. Et c'est l'unique chose qui nous reste. (p.91-94)

Quel est l'avenir de l'existentialisme? Très grand. Je ne crois pas aux jugements superficiels pour qui l'existentialisme est une mode. L'existentialisme est la conséquence d'un fait fondamental de la rupture intérieure de la conscience qui se manifeste non seulement dans les qualités fondamentales de l'homme mais — fait extrêmement curieux — est évidente par exemple dans la physique où vous avez deux moyens de concevoir la réalité
– corpusculaire
– ondulatoire
Exemple : théories de la lumière.
Or, les deux théories sont justes, comme le démontre l'expérience, mais elles sont contradictoires. [...] Or, selon moi, l'homme est divisé entre le subjectif et l'objectif de façon irrémédiable et pour toute l'éternité. C'est une espèce de plaie que nous avons dont il est impossible de guérir et dont nous sommes de plus en plus conscients. (p.107)

- la liberté chez Sartre
- Heidegger : «L'homme est essentiellement malheureux parce qu'il veut être. Il faudrait ajouter des choses très importantes sur le temps.» (p.122)
- Marx : «La contemplation va au diable.» (p.138)

- Nietzsche :

Nietzsche considère que le pessimisme est une faiblesse, condamné par la vie, et l'optimisme, une chose superficielle (canadienne!)
Que reste-t-il?
Un saut dans les profondeurs: c'est l'optimisme tragique qui reste à l'homme, l'adoration de la vie et de ses lois cruelles malgré toute la faiblesse de l'individu. (p.140)