C'est un livre non choisi, à peine un livre offert, plutôt un livre qu'on m'a abandonné parce qu'il ne plaisait pas, un livre recueilli, donc.

Il est mince, presque une plaquette, la couverture est bleue, le titre évoque Bachelard, le sous-titre Roussel: comment je crée des histoires et comment mes histoires me créent.

C'est un livre austère qui commence sous les pêchers en fleurs au bord de la mer, c'est un livre de méditation, une longue conversation avec soi-même. Décide-t-on de sa vie ou est-elle menée par le hasard, le narrateur soutient la première thèse, mais une voix intérieure se moque de lui: sentiments et hasards, voilà ce qui mène la vie, affirme-t-elle.

De cette première conversation sort un premier livre, et c'est alors que le lecteur réalise que tout cela est un récit autobiographique et non une fiction.
Universalité des réactions face à la littérature: les collègues de Shen Congwen prendront ombrage de cette première nouvelle dans lesquels ils se reconnaîtront.
Jugement lapidaire de Shen Congwen: «Voilà qui est étrange! ce sont des gens qui s'accommodent sans se plaindre de leur petite vie mais qui ne supportent pas qu'un artiste la transpose.» (p.21)

Les femmes, toujours appelées "Hasard", comme s'il s'agissait d'un unique prénom, guident l'auteur d'une œuvre à l'autre, en fonction de ce que chacune lui apporte. Puis il s'en détache, menant toujours plus loin la réflexion sur lui-même et son art: exister (matériellement) ou vivre (spirituellement), Shen Congwen choisit en toute conscience la seconde voie.

Parce qu'il décrit les hommes et écrit pour les hommes, il est censuré pendant la guerre (car il ne fait pas de propagande),

J'entrepris de raconter des histoires fondées sur ce sentiment de «connaissance en profondeur»: c'est ainsi que naquit Le Long Fleuve. L'interdiction qui frappa cette œuvre ne fut pas fortuite, car pour décrire la guerre en répondant aux exigences de l'heure, il n'était pas nécessaire de creuser aussi profond.
Shen Congwen, L'eau et les rêves, p.44

puis par la Chine communiste (parce qu'il ne fait pas de propagande).

Que dois-je écrire sur la feuille blanche? Parce que j'ai prarlé de «l'homme», c'est la troisième fois ce mois-ci que je suis épinglé par la commission de censure , preuve que ma réflexion sur les rapports humains et les règles auxquelles obéit mon style ne sont effectivement plus en accord avec l'époque.
Ibid, p.56

Ces pages se terminent sur le silence de la voix moqueuse du début qui abandonne l'écrivain seul face à ses doutes sur l'avenir et ce qu'il convient de faire:

— Que m'importe le plus? Les fleurs de l'abricotier ou les hommes? les gens qui ont joué hier un rôle dans mon existence ou bien toutes ces formes d'existence à venir?
Ma question se perd dans le silence.
Ibid, dernières lignes.

C'est un livre austère qui manie l'abstraction à la recherche de la spiritualité.


A noter: l'excellente postface de la traductrice Isabelle Rabut, à lire en préface lorsqu'on ne connaît pas Shen Congwen (ce qui était mon cas; je regrette donc de n'avoir pas lu d'abord cette postface).