Messieurs (et dames) intervenant aux séminaires, soyez plus cool! Celui-ci aurait facilement ri quand il levait les yeux de ses notes, malheureusement, il ne les levait pas souvent. Et donc il parlait trop vite.
Faites plus court, faites des points, ne rédigez pas, pensez à respirer, en un mot ne soyez pas si pressés.
Voilà.
A part ça, c'était bien.

NB: Philippe Chardin ayant distribué des feuilles avec les citations qu'il a utilisées, je reprends les références telles quelles. Il s'agit donc de l'édition de la Pléiade mise au point par Tadié, et non de celle de Clarac que j'utilise habituellement.


Philippe Chardin est professeur de littérature comparée à Tours.
Il a fait paraître Le Roman de la conscience malheureuse et L'Amour dans la haine ou la jalousie dans la littérature moderne (Dostoïevski, James, Svevo, Proust, Musil).
Proust ou le bonheur du petit personnage qui compare vient de paraître chez Honoré Champion.
J'apprends à l'instant, ce que je ne savais pas, qu'il est également l'auteur d'une œuvre romanesque, dont un Alma Mater, "premier roman comique inspiré par l'université française", ce qui m'intéresse beaucoup (termine Antoine Compagnon en souriant un peu malicieusement. Pour ma part, j'ai remarqué ce matin dans Amazon L'Obstination. La littérature peut-elle aider à garder une femme?)


On a davantage remarqué les amoralités que les immoralités chez Proust. Il apparaissait vite qu'il y avait non-compatibilité entre les codes moraux de la société et ceux des deux mondes proustiens, les mondes de l'enfance et du désir.
Le mot "amoralité" apparaît en 1885. L'amoralité dans le roman proustien est souvent lié au mot indifférent: «Il me parut indifférent...», «sur un ton indifférent...», «me rendant indifférent...». Qu'on songe aux moments où le narrateur avoue être devenu indifférent aux femmes de sa vie ou indifférent au souvenir de sa grand-mère.

Ici une introduction et une annonce de plan que je n'ai pas notées

I. L'amoralité ou le défaut de volonté: la scène primitive

Combray est le lieu de la scène primitive, avec le baiser de la mère. (Certes, en orthodoxie freudienne, la scène primitive doit avoir bien plus tôt, mais on peut la situer où l'on veut: dans la Recherche il s'agit d'un jeune garçon, quant à Pascal Quignard, il la situe avant la naissance!) Même si Proust n'avait pas lu Freud, la vision freudienne et la vision proustienne ont en commun l'intensité psychique de l'origine.

La scène de Combray présente une succession de transgressions des règles familiales, de la part du narrateur, de la mère et du père.
L'anxiété dévorante de l'enfant l'amène à attendre dans le couloir, ce qui constitue une transgression inouïe des règles.

Eh bien ! dussé-je me jeter par la fenêtre cinq minutes après, j'aimais encore mieux cela. Ce que je voulais maintenant c'était maman, c'était lui dire bonsoir, j'étais allé trop loin dans la voie qui menait à la réalisation de ce désir pour pouvoir rebrousser chemin. (Du côté de chez Swann, «Combray», Pléiade Tadié I, p.33)

La mère, qui respecte habituellement des règles strictes, cède, parce que le père, au lieu de la soutenir, n'obéit qu'à une règle qui semble être "Tel est mon bon plaisir".

Mon père me refusait constamment des permissions qui m'avaient été consenties dans les pactes plus larges octroyés par ma mère et ma grand-mère parce qu'il ne se souciait pas des « principes » et qu'il n'y avait pas avec lui de « Droit des gens ». Pour une raison toute contingente, ou même sans raison, il me supprimait au dernier moment telle promenade si habituelle, si consacrée, qu'on ne pouvait m'en priver sans parjure, ou bien, comme il avait encore fait ce soir, longtemps avant l'heure rituelle, il me disait : « Allons, monte te coucher, pas d'explication ! » Mais aussi, parce qu'il n'avait pas de principes (dans le sens de ma grand-mère), il n'avait pas à proprement parler d'intransigeance. (Du côté de chez Swann, «Combray», Tadié I, p.35-36)

On voit réapparaître la formation de l'école des Sciences politiques: Proust utilise à des fins comiques des termes du droit international. De même, les termes religieux ("parjure", "rituelle") sont tournés en dérision, dans la nostalgie d'une foi ou de règles morales.
Quant à la mère du narrateur, en acceptant de passer la nuit dans la chambre de son fils, elle accepte une exception, elle abjure sa croyance aux principes. D'autre part, elle fait ce qu'elle s'interdit en temps normal: elle laisse transparaître ses émotions devant son fils et elle pleure. Cela nous rappelle Madame Santeuil disant "On peut ce qu'on veut" en pleurant, ce qui atténue beaucoup la force de cette affirmation.
Quant à Françoise, elle est l'image-même de la réprobation, mais cette réprobation est liée non à une loi morale mais à un code pittoresque qui peut interdire des actions anodines et rendre obligatoires des massacres:

Elle possédait à l'égard des choses qui peuvent ou ne peuvent pas se faire un code impérieux, abondant, subtil et intransigeant sur des distinctions insaisissables ou oiseuses (ce qui lui donnait l'apparence de ces lois antiques qui, à côté de prescriptions féroces comme de massacrer les enfants à la mamelle, défendent avec une délicatesse exagérée de faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère, ou de manger dans un animal le nerf de la cuisse). (Du côté de chez Swann, «Combray», Tadié I, p.28)

II. L'amoralité des codes particuliers, en particulier des codes mondains

A. Le respect des mondanités, du comique à l'atroce
Les codes entrent fréquemment en contradiction avec les valeurs morales ce qui produit souvent un effet comique. L'amoralité des Guermantes évoquée avec ébahissement par le narrateur entre dans le génie de la famille. Les formes sont ce qu'il y a de plus important.

dans les manières de M. de Guermantes, [...] esclave des plus petites obligations et délié des pactes les plus sacrés, je retrouvais encore intacte après plus de deux siècles écoulés cette déviation particulière à la vie de cour sous Louis XIV et qui transporte les scrupules de conscience du domaine des affections et de la moralité aux questions de pure forme. (Le Côté de Guermantes, Tadié II, p.729)

Proust utilise les déformations, les déplacements spatiaux et les retournements pour décrire cette importance de la forme.

D'ailleurs, par un reste hérité de la vie des cours qui s'appelle la politesse mondaine et qui n'est pas superficiel, mais où, par un retournement du dehors au dedans, c'est la superficie qui devient essentielle et profonde, le duc et la duchesse considéraient comme un devoir plus essentiel que ceux, assez souvent négligés au moins par l'un d'eux, de la charité, de la chasteté, de la pitié et de la justice, celui, plus inflexible, de ne guère parler à la princesse de Parme qu'à la troisième personne. (Le Côté de Guermantes, Tadié II, p.719)

Ainsi s'expose le paradoxe vertigineux de la morale mondaine. L'humour léger et rose s'applique à la conduite légère des invités tandis qu'un humour grave et noir souligne les conduites boufonnes, odieuses et profanatrices. La cruauté de cette exigence de forme prend tout son relief devant la mort, et l'on se souvient de l'incroyable conduite de M. de Guermantes au moment de la mort de la grand-mère. Le narrateur s'en moquera de moins en moins pour devenir de plus en plus amer, ainsi dans l'un des derniers monologues du Temps retrouvé:

Un des moi, celui qui jadis allait dans ces festins de barbares qu'on appelle dîners en ville et où, pour les hommes en blanc, pour les femmes à demi nues et emplumées, les valeurs sont si renversées que quelqu'un qui ne vient pas dîner après avoir accepté, ou seulement n'arrive qu'au rôti, commet un acte plus coupable que les actions immorales dont on parle légèrement pendant ce dîner, ainsi que des morts récentes, et où la mort ou une grave maladie sont les seules excuses à ne pas venir, à condition qu'on eût fait prévenir à temps pour l'invitation d'un quatorzième, qu'on était mourant [...]. (Le Temps retrouvé, Tadié IV, p.617)

Parlant d'Aimé, Proust adresse un vibrant éloge paradoxal à des valeurs paradoxales: le dévouement à la puissance de l'argent, sans jugement moral. Proust met en évidence la morale des gens sans morale, mais aussi le jugement que nous portons sur ces gens, lui-même paradoxal.

Outre qu'il connaissait admirablement les lieux, il appartenait à cette catégorie de gens du peuple soucieux de leur intérêt, fidèles à ceux qu'ils servent, indifférents à toute espèce de morale et dont - parce que si nous les payons bien, dans leur obéissance à notre volonté, ils suppriment tout ce qui l'entraverait car ils se montrent aussi incapables d'indiscrétion, de mollesse ou d'improbité que dépourvus de scrupules - nous disons : « Ce sont de braves gens. » (Albertine disparue, Tadié IV, p.74)

B. Les causes d'indignation morale, source de malentendus; l'explication du malentendu, source de comique
Dans un audacieux syncrétisme, Proust va confondre différents corps de métier qui ont tous l'habitude de séparer la morale de la forme de la morale. C'est ainsi qu'il va assimiler un juge à un tenancier de bordel. Proust utilise l'une des formes les plus sûres du comique, le comique de répétition. C'est ainsi qu'il va utiliser le même ressort comique avec trois personnages, une mère de famille aristocratique, le chef de la sûreté, une femme du peuple. Ces trois personnages vont présenter une forte indignation morale, mais dont le motif ne sera pas celui qu'attendait le lecteur. Une fois le malentendu levé, ces personnages montreront la plus grande indulgence pour le fond de l'affaire.
- Ainsi, Mme de Surgis finit par interdire à Charlus de voir ses fils, non pas parce qu'elle est choquée des intentions du baron, mais parce qu'elle ne supporte pas qu'il leur pince le menton. Elle y voit un signe de folie.
- Le chef de la sûreté convoque le narrateur soupçonné de détournement de mineur. Le chef de la sûreté, dont on nous dit énigmatiquement qu'il «aimait les petites filles», fait la leçon au narrateur, pas du tout parce que celui-ci s'intéresse au petites filles, mais parce qu'il a proposé trop d'argent. (On remarque par ailleurs qu'à l'époque, c'est l'homosexualité qui choquait, pas la pédophilie).
- Enfin Françoise, qui estime que les filles qui souffrent en accouchant n'ont que ce qu'elles méritent et qui méprise Albertine, s'extasie sur la gentillesse des protecteurs de Théodore.

Françoise qui avait déjà vu tout ce que M. de Charlus avait fait pour Jupien et tout ce que Robert de Saint-Loup faisait pour Morel n'en concluait pas que c'était un trait qui reparaissait à certaines générations chez les Guermantes, mais plutôt — comme Legrandin aidait beaucoup Théodore — elle avait fini, elle personne si morale et si pleine de préjugés, par croire que c'était une coutume que son universalité rendait respectable. Elle disait toujours d'un jeune homme, que ce fut Morel ou Théodore : «Il a trouvé un monsieur qui s'est toujours intéressé à lui et qui lui a bien aidé.» Et comme en pareil cas les protecteurs sont ceux qui aiment, qui souffrent, qui pardonnent, Françoise, entre eux et les mineurs qu'ils détournaient, n'hésitait pas à leur donner le beau rôle, à leur trouver «bien du cœur». (Le Temps retrouvé, Tadié IV, p.278-79)

On assiste donc à un certain comique inverse. Proust brouille les cartes, les personnages s'indignent pour des motifs inattendus alors que les motifs attendus les laissent indifférents. Les situations se présentent à front renversé: Charlus s'érigeant en protecteur des ménages ne supporte pas les maîtresses de Swann, Jupien s'indigne du comportement de Morel laissant tomber l'oncle pour le neveu, Morel emportera plus tard la décision dans un procès du fait de sa «haute moralité» reconnue.

C. La subordination des jugements moraux aux affects

Mais, comme les vertus qu'il attribuait tantôt encore aux Verdurin n'auraient pas suffi, même s'ils les avaient vraiment possédées, mais s'ils n'avaient pas favorisé et protégé son amour, à provoquer chez Swann cette ivresse où il s'attendrissait sur leur magnanimité et qui, même propagées à travers d'autres personnes, ne pouvait lui venir que d'Odette, — de même, l'immoralité, eût-elle été réelle, qu'il trouvait aujourd'hui aux Verdurin aurait été impuissante, s'ils n'avaient pas invité Odette avec Forcheville et sans lui, à déchaîner son indignation et à lui faire flétrir leur «infamie». (Du côté de chez Swann, Tadié I, p.283-84)

On assiste à une réduction ironique des opinions aux motivations personnelles. Ce mécanisme s'applique également aux jugements politiques, comme on le voit au moment de l'affaire Dreyfus.

D. La sexualité échappe à la morale
La dissociation entre la sexualité et la moralité est mise en évidence durant la scène de la flagellation. Le narrateur fait preuve d'un certain "souci de soi".

l'habitude de séparer la moralité de tout un ordre d'actions [...] devait être prise depuis si longtemps que l'habitude (sans plus jamais demander son opinion au sentiment moral) était allée en s'aggravant de jour en jour, jusqu'à celui où ce Prométhée consentant s'était fait clouer par la Force au rocher de la pure matière. (Le Temps retrouvé, Tadié IV, p.417)

Le discours apologétique sur les scènes les plus crues soustrait le champ de la sexualité à la moralité. La sexualité est un domaine "où tout est permis" (selon Dostoïevski). Les circonstances atténuantes varient et s'inversent. La piété filiale de Mlle de Vinteuil ou le patriotisme des jeunes gens procédant à la flagellation sont loués, la profanation à laquelle procède Mlle de Vinteuil doit être pardonnée car elle est artificielle, à l'inverse, les jeunes gens doivent être pardonnés parce qu'ils procèdent à la flagellation avec naturel, presqu'avec ennui, sans aucun sens du vice.

III. La faiblesse humaine et la rédemption par l'œuvre d'art

Selon Proust, les morales sociales manquent d'humanité. Lui s'intéresse aux battements de cœur du détourneur de fonds dans le scandale Marie (dans Jean Santeuil) ou à la façon dont un homme trop voyant est exécuté par les Verdurin.
La notion d'indifférence est capitale chez Proust: indifférence aux opinions sur les mœurs, indifférence aux sentiments de la justice, indifférence à la morale elle-même. Seule l'intéresse la peine que l'on fait aux plus faibles.

De plus, le sentiment de la justice, jusqu'à une complète absence de sens moral, m'était inconnu. J'étais au fond de mon cœur tout acquis à celui qui était le plus faible et qui était malheureux. Je n'avais aucune opinion sur la mesure dans laquelle le bien et le mal pouvaient être engagés dans les relations de Morel et de M. de Charlus, mais l'idée des souffrances qu'on préparait à M. de Charlus m'était intolérable. (La Prisonnière, Tadié III, p.795)

On trouve ici une forme d'intransigeance morale kantienne: une morale de l'affection.
Emile Boutroux, le professeur de philosophie de Proust, avait cherché à humaniser la morale kantienne. Dans La Recherche, Brichot symbolise l'échec de Kant à résoudre le dilemme pratique suivant: faut-il accepter de trahir un ami? (Et Brichot finira par trahir Charlus après avoir un peu hésité.)
On trouve également dans Jean Santeuil un mépris de l'éthique au profit de la sacralisation du Beau.
On a vu dans une note à Sésame et les Lys que la débauche était moins à craindre que le snobisme.
Contre Sainte-Beuve est un projet d'affection, puisqu'il est une longue conversation avec la mère. C'est un projet paradoxal puisqu'il se propose de débattre du sujet sulfureux de la continuité ou non-continuité entre les vies et les œuvres: il s'agit de convaincre la mère de l'amoralité de la littérature.

quand elle lisait la prose de George Sand, qui respire toujours cette bonté, cette distinction morale que maman avait appris de ma grand-mère à tenir pour supérieures à tout dans la vie, et que je ne devais lui apprendre que bien plus tard à ne pas tenir également pour supérieures à tout dans les livres [...]. (Du côté de chez Swann, Tadié I, p.42)

Il y a un projet de rédemption éthique à travers le travail de l'écrivain et l'œuvre d'art.
Cela sera illustré dans le personnage de Bergotte qui mène notoirement une vie dissolue. La mort de Bergotte sont l'occasion des lignes les plus kantiennes de La Recherche. Elles interviennent en contrepartie des palinodies de Brichot au moment de trahir Charlus. C'est aussi l'occasion d'un pari sur l'immortalité de l'âme:

il n'y a aucune raison dans nos conditions de vie sur cette terre pour que nous nous croyions obligés à faire le bien, à être délicats, même à être polis, ni pour l'artiste athée à ce qu'il se croie obligé de recommencer vingt fois un morceau dont l'admiration qu'il excitera importera peu à son corps mangé par les vers, comme le pan de mur jaune que peignit avec tant de science et de raffinement un artiste à jamais inconnu, à peine identifié sous le nom de Ver Meer. Toutes ces obligations qui n'ont pas leur sanction dans la vie présente semblent appartenir à un monde différent, fondé sur la bonté, le scrupule, le sacrifice, un monde entièrement différent de celui-ci, et dont nous sortons pour naître à cette terre, avant peut-être d'y retourner, revivre sous l'empire de ces lois inconnues auxquelles nous avons obéi parce que nous en portions l'enseignement en nous, sans savoir qui les y avait tracées [...]. (La Prisonnière, Tadié III, p.693)

Proust ne croit pas à l'idée de Bildung. La Recherche suggère malgré tout la possibilité de progrès, de sagesse, comme chez Goethe à la fin des Années d’apprentissage de Wilhelm Meister. Toute La Recherche tend à rendre au narrateur à la fin de sa vie la volonté abandonnée lors de la nuit du baiser, source de toutes les transgressions.

La volonté est l'antidote à tout. On découvre uncurieux désir d'expiation, qui est une variation originale à partir de bien des sources: Oscar Wilde (l'influence de Wilde sur Proust est généralement très sous-estimées), Crimes et Châtiments, Les mille et une Nuits (et ici non plus le narrateur ne peut mourir tant que le récit n'est pas terminé).
Le remord, c'est celui d'avoir hâté la mort de la grand-mère et celle d'Albertine.

Dans ces moments-là, rapprochant la mort de ma grand-mère et celle d'Albertine, il me semblait que ma vie était souillée d'un double assassinat que seule la lâcheté du monde pouvait me pardonner. (Albertine disparue, Tadié IV, p.78)

Ô puissé-je, en expiation, quand mon œuvre serait terminée, blessé sans remède, souffrir de longues heures, abandonné de tous, avant de mourir! (Le Temps retrouvé, Tadié IV, p.481)

Ces lignes sont imprégnées de Dostoïevski. Comme chez lui on assiste à une assimilation du vice au crime. A l'amant soupçonné correspond le policier enquêteur. Raskolnikov tue deux fois, une vieille femme (démoniaque), et une jeune, décrite comme angélique. Chez Proust, le portrait des femmes "tuées" est inversé. De même, Raskonikov comme le narrateur souffre du même mal, l'ambition. Raskolnikov veut devenir un petit Napoléon, le narrateur Victor Hugo.

Conclusion

On assiste à une victoire de l'amoralité sur la loi morale. Cette transgression intervient dès le début avec la scène du baiser de la mère. Puis le paradoxe sape les bases des lois sociales: on le voit dans la vie mondaine, le comique né d'indignations morales pour de mauvaises raisons ou l'indifférence du narrateur.
La société, la sexualité, l'affection sont soustraits au champ moral, et cela nous est exposé avec un naturel désarmant. Tout cela est largement plus amoral que les scènes les plus crues.

La dimension éthique s'incarne dans la victoire de l'art, l'immortalité de l'âme, le remords. C'est par cela qu'il y a rédemption possible.

De ces carnets émergeront les "écrivains société" et les "écrivains solitude". L'épisode des Larivière, les cousins riches de Françoise, signe le retour du sentiment vrai, pur, à la fin du livre. Proust est tiraillé entre Flaubert et Dostoïevski. Le sentiment sera finalement le plus important, mais le sentiment ne fait pas partie de la morale.


La version de sejean