Hans Jonas est né en 1903 en Allemagne dans une famille juive assimilée. Le passage suivant intervient en 1920-1921.

Tandis que le socialisme exerçait une immense attraction morale autant qu'intellectuelle sur beaucoup de gens de ma génération, Martin Buber me conduisit au sionisme. Toutefois, il ne fut la première cause de mon adhésion à celui-ci. Au début, il y avait l'affermissement de ma conscience juive, dont je viens de parler, à quoi s'ajouta un sens politique aiguisé par les événements de l'époque [la défaite de l'Allemagne en 1918], et troisièmement je fus marqué par la virulence de l'antisémitisme, qui devait prendre un caractère nouveau, haineux et agressif, lié à la chute de l'empire, à la défaite, à l'édification de la république de Weimar et à l'insurrection spartakiste à Berlin, à laquelle des juifs prenaient partout activement part dans les rangs de la gauche radicale. Il ne s'agissait plus de la légère tendance habituelle à caricaturer, humilier, railler les juifs , ou à s'en distancer, mais d'une réelle hostilité active. Je notais que nous ne faisions plus partie du tout, que nous devenions les boucs émissaires de la défaites et des troubles de la révolution, que nous passions pour les auteurs du «coup de poignard dans le dos». Moi-même, je ressentis comme un peu déplacé que Hugo Preuss, juif, ait élaboré la Constitution allemande: «C'est aux Allemands de le faire, nous ne devrions pas nous exposer de compagnie». Bref, il se développait chez moi une conscience nationale juive, selon laquelle nous n'étions pas simplement des citoyens allemands de confession juive, mais un groupe ethnique pouvant certes rivaliser avec tous les autres pour la connaissance de la culture allemande — à ce moment-là déjà, ma connaissance de Goethe et d'autres classiques était supérieure à celle qu'avaient la plupart de mes camarades de classe —, sans pour autant faire réellement partie de l'ensemble. Ce sentiment d'une différence, allié à la fierté et à l'idée que jusqu'alors le mode d'argumentation du mouvement d'émancipation et d'assimilation avait échoué, m'amena donc au sionisme.
Avec mon père, je connus les plus terribles affrontements en raison de ma profession de foi sioniste.
[...]
En dehors de moi appartenaient au groupe quelques individus de mon âge représentant la classe inférieure des juifs. De modestes petits commerçants, souvent aussi des juifs qui à l'origine n'étaient pas venus de l'Est, donc des gens avec lesquels on n'entretenait pas de relations, des gens qui n'étaient pas pleinement fréquentables. Mon père était bien sûr très malheureux que je me déclasse ainsi pour me ranger spontanément, à cause de mes idées sionistes, dans une catégorie sociale inférieure. [...]
Hans Jonas, Souvenirs, Rivages, p.47 et 49

Hans Jonas émigrera en Palestine en 1935.


Victor Klemperer est né en 1881. Il était professeur de romanistique à Dresde avant le début de la seconde guerre mondiale. Les passages suivants sont datés du 23, 24 et 25 juin 1942.

[...] Lu L'Etat juif de Hertzl avec un sentiment de malaise.
Je ne peux plus vraiment croire que le national-socialisme n'est pas foncièrement allemand; c'est une excroissance proprement allemande, un carcinome fait de chair allemande, une variété de cancer, comme il existe une grippe espagnole.
[...]
Etude des écrits sionistes de Herzl. Incroyable parenté avec l'hitlérisme. Sauf que Herzl élude soigneusement la question du sang. La nation est pour lui «un groupe historique dont la cohésion est manifeste et qui a un ennemi commun. (Une bien fade définition).
Les Ecrits sionistes de Herzl. Ce sont les raisonnements, parfois même les mots, c'est le fanatisme d'Hitler. [...] Comme Herzl se dérobe à la question de la race! A quel point il a prévu l'avenir. (Et d'un autre côté, pas prévu du tout, car il tient la suppression de l'émancipation , la rechute européenne dans le Moyen Âge pour impossibles.) Et pourtant, il a tort pour des millions de gens. Moi, je ne suis qu'allemand.
[...] Les Ecrits sionistes de Herzl. J'ai été saisi par la profonde communauté de pensée avec l'hitlérisme. Le même triple accord: outrance de la tradition — outrance de l'antiaméricanisme — outrance de la solidarité avec les pauvres. En outre, les invectives outrées contre les riches, contre les prêtres d'autres chapelles. Le tableau de la magnificence future. Les assurances solennelles de la paix et les menaces.
Victor Klemperer, je veux témoigner jusqu'au bout, p.135, 136, 139 et 140

Victor Klemperer restera en Allemagne de l'Est après la guerre.