Les réceptions successives des poèmes de Grégoire de Naziance, par André Thuillier

A ce que j'ai compris, Grégoire de Naziance (†390), père grec, a été très vite connu en Occident pour ses lettres et ses discours qui faisaient autorité. En revanche, ses poèmes n'ont été reconnus que tardivement, leur contenu semblait impropre à un père de l'Eglise.
Cette courte présentation m'a donné grande envie de lire ces poèmes, qui paraissent aborder de nombreux sujets avec une grande liberté de ton et de pensée. (Je ne suis pas sûre que cela apparaissent à la lecture de mes notes qui s'attachent avant tout au factuel, à l'histoire, aux querelles, bref, à tout ce que je ne sais pas.)

Finalement, ce qui a été étonnant tout au long de ces trois jours, c'est que bien que ne parlant qu'entre spécialistes, chaque intervenant n'hésitait jamais à redonner une définition, préciser le contenu d'un dogme ou la raison d'un schisme, sans jamais jargonner, tout en distribuant des feuilles de citations entièrement en latin.

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Le deuxième concile œcuménique de Constantinople en 381 affirme la divinité du Christ contre la position des ariens. On peut dater de ce moment la césure entre le monde antique païen et le Moyen-Âge chrétien.

Grégoire le théologien a subi l'influence d'Augustin. Ses poèmes ne sont connus en Occident à la fin du XVe siècle. Ce sont des poèmes longs et difficiles qui abordent tous les genres; ils racontent sa vie en trimèdes iambiques. Ils ont été rédigés durant la retraite cappadocienne de Grégoire.
Celui-ci a également écrit un centon sur la divine tragédie de la Passion à partir d'Eschyle, ce qui fera scandale en Occident quand ce sera connu: comment celui qui avait dit que la Vierge était restée ferme dans l'épreuve pouvait-il la montrer en larmes?
Cela ne choquait pas l'Orient qui défendait la nature divine et humaine de la Vierge. En Occident, cette polémique n'était pas connue.

Les poèmes ont été connus très tôt en Orient, les latins ne les ont connus que beaucoup plus tard.

détour : quelques querelles contemporaines de Grégoire: Les Nestoriens reconnaissaient les deux natures du Christ mais n'acceptaient pas qu'elles soient contenues ensemble au même moment dans un seul corps. Les biophysistes, eux, refusaient la nature physique du Christ.
L'Eglise posa que l'hypostase du Christ est de deux natures, divine et physique. Les poèmes de Grégoire défendaient ces deux natures. Ils donnaient le titre de "Mère de Dieu" à Marie.

Nous ne possédons pas de manuscrits grecs de toute l'œuvre. Au XVe siècle, les conciles de Bâle et Florence vont permettre la diffusion de quatre manuscrits qui auront une influence sur Nicolas de Cues.

Ici, je ne sais plus de qui et de quoi a parlé André Thuillier: un excellent diplomate (c'était un Vénitien, a-t-il ajouté comme si cela expliquait tout) qui aurait racheté un ou des manuscrits des poèmes de Grégoire de Naziance? Je ne sais plus.

Les poèmes de Grégoire de Naziance commentés par David Nicetas seront solennellement reçus au concile de Ferrare-Florence de 1438-1439. Cette œuvre entrait ainsi en Occident. Elle contribua à la réflexion trinitaire du concile.

La réception de Saint Augustin à Byzance sous les Paléologues (XIIIe-XVe), par Marie-Hélène Congourdeau

Cette conférence va s'attacher à trouver les plus anciennes traces d'Augustin chez les commentateurs orthodoxes, dans les traductions puis dans les querelles.
Les spécialistes dans la salle avaient l'air enthousiastes devant les perspectives ouvertes.

        
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Si le thomisme byzantin du XIVe siècle a été bien étudié, la réception de Saint Augustin ne fait l'objet d'études que depuis une douzaine d'années. Augustin était peu connu à Byzance avant le XIIIe. Comme les latins le citent dans leur querelle contre les Grecs, il n'a pas bonne réputation auprès des commentateurs byzantins.

Les traductions

  • les mésaventures de Maxime Planudis

Constantinople a été dirigé par les latins de 1204 à 1261. Lorsque Michel Paléologue reconquiert le pouvoir, il a besoin de s'appuyer sur le pape pour lutter contre les Turcs. C'est pourquoi est signée l'union de Lyon en 1274, qui affirme l'union des Eglises latine et grecque.

C'est dans ce contexte que Maxime Planudis traduit le premier le De Trinitate. Il fut accusé par plusieurs d'avoir fourni une traduction dans laquelle il aurait coupé le passage parlant de la procession du Saint Esprit, en un mot, d'avoir infléchi le De Trinitate. (C'est très curieux car c'est faux, la traduction est très fidèle voire littérale: à croire que les détracteurs de Planudis ne l'avaient pas lu!)
Peu de temps après, Planudis écrivit contre le Filioque. Suite à la controverse qui suivit, il ne traduira plus de textes religieux.

Donc : Planudis a traduit fidèlement le De Trinitate, puis a réfuté le Filioque : quand était-il sincère?
Trois hypothèses:
1 - Sa traduction était excellente mais il a été contraint par l'empereur Andronic II de réfuter le Filioque;
2 - Planudis était contre le Filioque, c'est Michel Witt qui l'a contraint a traduire le De Trinitate;
3 - ou l'hypothèse du chat échaudé, adoptée par la conférencière: en 1274, le temps étant à l'union, Planudis rédige sa traduction, en 1280, la rupture de l'union entraîne une répression qui oblige Planudis à écrire contre le Filioque. Ensuite, dégoûté par ses querelles politiques, il ne s'occupera plus jamais de théologie. [1]

  • les frères Kydonis

Dimitrios apprend le latin auprès d'un dominicain de Pera, en lisant Saint Thomas. Ensuite, (tout naturellement), il traduit Saint Thomas, puis Augustin.
Pourquoi avoir traduit Augustin?
Sans doute parce que c'est un père de l'Eglise universelle. Mais alors, pourquoi ne pas avoir traduit les Confessions ou la Cité de Dieu?
Sans doute à cause de la façon dont ces textes traitent du Père et du Fils.

Les palamistes (partisans de Grégoire Palamas) établissent que la lumière est énergie, mais elle n'est pas l'essence (ousia) de Dieu. Il est impossible de connaître Dieu dans son essence, mais il est possible de le connaître dans son énergie. (Il est traité de l'essence de Dieu dans les Soliloques de Saint Augustin).
Dimitrios entrera dans la querelle pour défendre son frère et se convertira au catholicisme romain

Son fère Procoros était moine. Il a traduit plusieurs œuvres d'Augustin, quelques lettres et le passage d'une lettre qui parle de la lumière comme étant Dieu. Il est ainsi pris dans la querelle avec Grégoire Palamas et finira excommunié.

L'autorité d'Augustin à Byzance

Malgré le manque de traduction en grec (celles de Planudis et des frères Kydonis sont les premières connues à ce jour), Augustin était connu à Byzance et pas si rejeté que ça.

Grégoire Palamas a lu le De trinitate. Dans les 150 chapitres (de Palamas), on trouve des passages entiers d'Augustin sans qu'il soit cité explicitement. Par exemple, le chapitre 125 de Palamas reprend les discours contre les ariens de Saint Augustin, l'homélie 13 et 60 §2 reprend ?? (pas noté...). Mais Augustin n'est jamais nommé. Sans doute n'était-il pas politiquement correct/politiquement possible de citer Augustin quand on défendait l'orthodoxie.

Quelques années plus tard, Procoros et Philothe Kokinos, biographe de Palamas (il condamnera Procoros), entament une discussion. Selon Kokinos, Procoros interprète de façon fausse une phrase d'Augustin. Kokinos répond donc à Procoros qu'il se trompe, que ce n'était pas ce que voulait dire "le divin Augustin" : c'est donc la preuve qu'il est devenu possible de citer Augustin.

Nicolas Cabasilas (vers 1320 - après 1391) écrit la Vie en Christ, sorte de Beata Vita ou De librio arbitrio, dans laquelle on sent l'influence d'Augustin.

Conclusion

A la fin du XIIIe et XIVe siècle, Byzance connaît l'effervescence autour de l'union de l'Eglise. Les Grecs découvrent et lisent les Pères latins pour pouvoir les réfuter.
En lisant Augustin, ils découvrent qu'il y a bien plus chez lui que des arguments pour nourrir la querelle du Filioque. Augustin va nourrir la pensée grecque. Au XVe siècle, Augustin prend une autre dimension avec le concile de Florence (notions de Purgatoire, péché originel,...)

Notes

[1] Curieusement, la conférencière semble estimer que Planudis n'aurait pas traduit volontairement un texte auquel il n'aurait pas adhéré. Interrogée plus tard sur ce point, elle affirmera la possibilité que Planudis ait fait correctement son travail de traducteur sans y faire entrer des critères d'adhésion ou de rejet personnel. Mais dans ce cas, les trois hypothèses deviennent inutiles... M-H. Congourdeau semblait attachée à trouver une explication au silence de Planudis après 1280, qu'elle regrettait visiblement.

Le 25 juin

Ces gens qui ont réussi à donner à tous les jours du mois de juin (et nous sommes le 25), le même air luisant et propre, avec les mêmes coups de gong, les mêmes leçons, les mêmes commandements qui nous obligent à nous laver, à changer de robe, à travailler, à manger.

Virginia Woolf, Les Vagues, dans le deuxième "chapitre"


(Parfois je rencontre une date au cours de mes lectures, il me semble que c'est souvent celle du jour. Allons-y pour un relevé des coïncidences.)

Citations explicites ou recours implicites? Les usages de l'autorité des Pères dans l'exégèse carolingienne, par Sumi Shimahara

C'est une jeune Japonaise — peut-être est-elle française depuis toujours car elle parle sans aucun accent. C'est toujours une source d'émerveillement : pourquoi une Japonaise vient-elle se passionner pour la patristique médiévale? Et je m'imagine en train d'étudier des manuscrits japonais religieux du Moyen-Âge.
Je ne sais si elle en est la cause, mais la période qu'elle présente est sans doute celle avec laquelle je me sens le plus d'affinités, avant les querelles philosophiques ou théologiques des siècles à venir, qui me donnent l'impression d'être réservées à quelques spécialistes. L'époque carolingienne est celle de l'imprégnation et de l'assimilation des sources patristiques.
Curieusement, et connaissant les organisateurs je ne doute pas un instant que ce ne soit volontaire même si à mes yeux néophytes c'était indécelable en lisant le programme organisé par thèmes et non par périodes, nous allons avancer dans le temps au fur à mesure de ces trois jours, en commençant par la fixation du canon biblique et en finissant par Abélard et Saint Thomas.

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L'objet de cette communication est de montrer comment le recours aux citations patristiques sera de plus en plus libre au cours de la Renaissance carolingienne.

L'exégèse carolingienne a recours a des citations longues et exhaustives et annote les textes des Pères (soit une exégèse dans l'exégèse).
On critique Raban Maur (achevêque de Mayence circa 840) pour compiler trop et ne pas apporter de réflexions propres: il se défend en disant qu'il fait preuve d'humilité.

Ordonnancement de l'héritage des Pères

  • citations intégrales

L'œuvre des Pères est d'abord repris dans des florilèges, généralement consacré à un seul Père. voir par exemple les florilèges établis par Pierre de Pise. Ils ont sans doute une visée pédagogique, en permettant de disposer du "meilleur" d'un Père en un seul livre.

  • citations exhaustives et compilation

Claude de Turin ou Raban Maur se livrent à une exégèse anthologique. Ils récapitulent tout ce qui a été dit sur un verset. (L'unité d'organisation n'est donc plus l'auteur de l'exégèse, mais le verset commenté).
Raban Maur met au point un système de notations dans les marges de ses manuscrits (comme le faisait Bède au VIIIe siècle) pour indiquer l'autorité. Le procédé a également une visée pédagogique: il s'agit de citer ses sources.
Le recours à l'autorité permet également de se protéger (politiquement). Ainsi Jérôme écrit en 407 des textes profondément "barbarophobes" : quatre cent ans plus tard, Raban Maur cite intégralement le texte de Saint Jérôme comparant l'empire à une statue de fer aux pieds d'argile.

Assimilation de l'héritage des Pères

La phase suivante est une phase d'appropriation. Les sources sont rarement citées, les citations sont plus brèves, ce sont souvent des synthèses. La tendance générale est à la souplesse (cf. les travaux de Silvia Cantelli Berarducci).
Par exemple, Haymon d'Auxerre réécrit systématiquement ses sources. On assiste à une reformulation massive, les autorités sont généralement tues, ce qui complique la recherche des sources. Haymon d'Auxerre ne précise les références que des sources les moins connues, ou encore, la source de la source: si x cite y, Haymon mentionne y sans mentionner x.

Pourquoi Haymon ne cite-t-il pas toujours ses sources?
Hypothèse: peut-être n'indique-t-il la source que s'il transforme l'esprit de la citation. L'œuvre d'Haymon est une synthèse accompagnée d'une méditation personnelle; elle s'adresse à un public déjà savant.
Deux générations de commentateurs se sont succédés à Auxerre, Haymon, Heiric, Rémi. Rémi reviendra à des citations littérales.

Conclusion

- La tradition carolingienne est intégrée à l'époque carolingienne.
- C'est sans doute le moment où se séparent les Pères des commentateurs.
- Les carolingiens sont un maillon capital entre les Pères et l'exégèse ordinaire.

Le bateau ouvert, de Stephan Crane

Quatre hommes sont à bord d'un canot de sauvetage. Ils ne peuvent aborder à cause des récifs, ils passent la nuit en mer bien que la terre soit à portée de vue.

«Si je dois me noyer — si je dois me noyer — pourquoi, au nom des sept dieux déments qui gouvernent la mer, m'a-t-on permis d'arriver jusqu'ici et de contempler le sable et les arbres?»
Pendant cette affreuse nuit, en effet, un homme aurait conclu que telle était vraiment l'intention des sept dieux en dépit de l'abominable injustice du fait. Car c'était certainement une abominable injustice que de noyer un homme qui avait peiné si dur, si dur. Ledit homme éprouvait que ce serait là un crime des plus contre-nature. Il y avait eu d'autres gens noyés en mer depuis le temps où les galères grouillaient sur les eaux avec leurs voiles peintes, pourtant...
Lorsqu'un homme se rend compte que la nature ne le regarde pas comme important et qu'elle sent qu'elle n'estropiera pas l'univers en disposant de lui, son premier vœu est de jeter des briques au temple, et il déteste profondément le fait qu'il n'y a ni briques ni temple. Toute expression visible de la nature serait sûrement criblée de sarcasmes.
Stephen Crane, Le bateau ouvert, p.44-45

En lisant les pages de cette courte nouvelle qui reprend des éléments biographiques de la vie de Crane, (lors d'un naufrage, il passa trente heures dans un canot de sauvetage avec trois compagnons), j'ai pensé à Jack London, à Construire un feu, par exemple. C'est la même précision dans la description des éléments, la même petitesse de l'homme face à la nature. C'est le même don de savoir rendre les sensations du monde physique en les liant ou au contraire en les séparant des émotions. De Fenimore Cooper à Steinbeck, il me semble trouver chez les auteurs américains l'idée d'une confrontation à la nature, confrontation et tentative de pacte avec le pays-même, sa terre et son climat, idée reprise ensuite dans les westerns, où le pays est souvent autant à dompter que les bestiaux ou les desperados, idée qui se poursuivrait aujourd'hui jusque dans dans certains des films des frères Coen.

Tradition patristique et progrès dans l'exégèse médiévale. Autour du canon de la Bible, par Gilbert Dahan

En reprenant mes notes pour ce billet, je m'aperçois que le passage en italique au milieu de ce billet apportait des précisions (ou s'excusait de manque de) données en réalité le lendemain, dans cette communication de Gilbert Dahan.


Chaque salle a son président de séance, chargé avant tout de faire respecter les horaires (et ils le seront de façon remarquable, permettant aux auditeurs de circuler entre les différentes conférences sans en manquer le début ou la fin) et de présenter les intervenants. Notre président du matin a commencé par ces mots : «J'ai le plaisir, l'honneur et la charge...», belle formule que je me suis promis de réutiliser. Il nous informe de l'implacabilité des horaires, de la pause café («car nous savons que dans les colloques, elles sont aussi importantes que les communications»), d'un apéritif offert par l'éditeur Ashendorf à midi et quart dans la salle transformée en librairie («bien entendu, il est interdit d'y aller avant»). Il précise que chacun posera ses questions dans sa propre langue, à charge pour l'intervenant de se débrouiller pour comprendre et répondre.

Il nous présente Gilbert Dahan.
L'objet de sa communication sera de mettre en évidence l'exigence permanente d'exégèse parmi les commentateurs chrétiens du Moyen-Âge, qui n'ont jamais considéré les exégèse des Pères comme définitives (ceci aurait davantage été l'attitude des juifs).
(Je résume en début de transcription, car il manque beaucoup de transitions dans mes notes.)


Au haut Moyen-Âge, la Bible avait une importance considérable puisqu'elle imprégnait toutes les activités de la société. L'attitude des commentateurs de cette époque à l'égard de l'exégèse patristique restait très libre, ils réalisaient une alliance de la tradition et du progrès.
Le progrès était considéré comme une nécessité, comme un devoir. Je rappelle ce texte d'Henri de Gand dont j'ai déjà parlé ailleurs : la fidélité au Christ et aux apôtres exigeait une exégèse perpétuelle.
D'après Nicolas de Lyre († 1340), les textes de Jérôme, Augustin et autres docteurs de l'Eglise avaient à l'époque plus d'importance pour les Juifs que pour les chrétiens.
Rachi, qui a fondé une célèbre rabbinique à Troyes, meurt en 1105. Son commentaire du Talmuld était plus autoritatif pour les juifs que ne l'était la glossa ordinaria chez les chrétiens.
La Bible du XIIIe siècle est figée par le concile de Trente qui établit la liste des textes deutérocanoniques. Dès lors le canon biblique est figé. Quel rôle ont joué les pères de l'Eglise dans l'établissement de ce canon?

On se souvient de la controverse entre Jérôme et Augustin. Jérôme écrit un prologue à sa traduction du livre des Rois, dit "prologue casqué", casqué pour se prémunir des attaques.
Ce prologue établit une liste de textes. Doit-on retenir cette liste comme canon? Quels textes met-on dans le canon?
On trouve chez Junius , disciple de Théodore de Mopsueste, un écho de la controverse dans l'établissement d'un canon chez les Juifs.
Les Orientaux s'interrogent sur la canonicité de l'Apocalypse.
(J'ai juste noté des noms, Isidore de Séville, Hugues de Cher, Joachim de Flore).
Il y a des hésitations sur les livres de Salomon, sont-ils trois ou cinq? Au XIIe et XIIIe siècle, la liste est pratiquement arrêté, à quelques variation près.

Comment les commentateurs confrontent-ils ces listes au prologue casqué? En fait, ils le mentionnent mais ne discutent pas des écarts.

Qu'est-ce qu'un apocryphe? C'est un texte dont on ne connaît pas l'auteur ou dont on ne connaît ni l'auteur ni la doctrine, par exemple la jeunesse de Jésus ou l'Ascencion de la Vierge.
L'authenticité des épîtres aux Hébreux a ainsi été beaucoup débattu: étaient-elles de Paul ou pas? Ce fut souvent discuté au début du millénaire, mais plus tellement au XIIe et XIIIe et on conclut à l'authenticité de ces épîtres (ce qui n'est plus le cas aujourd'hui).

modestie d'Augustin.

Henri de Gand disait à propos des Ecritures: nous sommes loin d'avoir tout compris et tout expliqué. Le corpus de commentaires est donc infini, à condition d'agir avec méthode. Cependant il y a une hiérarchie entre les Pères:
Cyprien, Cyrille, Ambroise de Milan, Grégoire de Naziance,...
Origène, Eusèbe,...

Peut-on parler d'une exégèse normative au XIIe et XIIIe siècle? (question anachronique, car il s'agit d'une préoccupation moderne).
Vatican II rejoint le concile de Trente.
(petulentia: les esprits débordant de vitalité.)
Le nombre de versets dont le sens a été arrêté par des conciles (= exégèse normatif) ne dépasse pas une vingtaine.

L'exégèse retenue devait avoir recueillie "l'approbation unanime des Pères" : que se passait-il quand ce n'était pas le cas?

Par exemple : - Jean 3,5 : "Jésus répondit: «En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu."
Le concile de Trente a arrêté que l'eau, dans ce verset, n'était pas symbolique, mais à prendre au sens propre.
- Romains 5,12: "Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché;—"
Le concile de Trente en a déduit que le péché originel touchait tous les hommes (et non Adam seul).

La plupart du temps, il était difficile d'arrêter un sens unique, ne serait-ce qu'à cause des glissements de traduction. Hugues de St Cher et Thomas d'Acquin, par exemple, ont réfléchi aux problèmes des jeunes enfants morts avant d'avoir péché: étaient-ils eux aussi touchés par le péché originel? (réponse: oui).
Les traductions comportaient des fautes évidentes, on connaît les maux des traductions: ommission, xxx, corruption.
Le principe retenu était diversi sed non adversi: ils divergent mais ne s'opposent pas.

La démarche d'Abélard dans le prologue du Sic et non est d'éliminer toutes les raisons fausses de contradiction entre des interprétations. Concernant les raisons vraies, c'est au lecteur de prendre ses responsabilités et de choisir l'interprétation qui lui semble juste.

Ambroise, Bonaventure, Raoul de Fley.
Robert de Melun, élève d'Abélard, revient sur la controverse concernant le verset de l'épître aux Galates où Paul reproche à Pierre d'avoir respecté les interdits alimentaires juifs. Jérôme et Augustin en donnent des interprétations contradictoires. Robert de Melun fait remarquer qu'il est inutile de vouloir les concilier puisqu'ils admettent eux-mêmes ne pas être d'accord.

En conclusion, on peut dire que les exégèses patristiques étaient acceptées en tant que materialiter (solides), mais pas formaliter (pas fermes et définitives). L'exégèse du XIIe et XIIIe siècle n'est pas dogmatiques. Les Pères font partie du corpus autoritatif mais il n'y a pas de liste fermée des interprétations reconnues.
Il est souvent oublié que l'exégèse est une démarche sacrée. Ainsi les textes s'ajoutent aux textes. L'exégèse est l'exercice d'une liberté dans le cadre d'une tradition.

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questions de l'auditoire

Q1: Où s'arrête l'autorité des Pères, à la lettre, où va-t-elle jusqu'à l'esprit de l'Ecriture?
R de Dahan: La question reste floue jusqu'au XIIIe siècle.
Au XIIIe siècle, on assiste à la naissance de la théologie comme science, avec un vocabulaire spécifique. On semble alors considérer qu'il ne peut y avoir une discussion que sur la lettre.
Les Pères ne sont autoritatifs que sur la lettre.

Q2: et chez les juifs?
R: il y aurait une réception plus autoritaire par ou chez les juifs.
(J'espère ne pas dire de bêtises. Quand on répond ainsi à des questions imprévues on dit en général vingt pour cent de bêtises).
En particulier, Rachi est la référence.
Les textes deutérocanoniques (terme plutôt protestant) sont absolument rejetés par les juifs. Ils sont appelés sépharid trepsonim [1], les livres extérieurs.

remarque (dans l'auditoire): à Byzance, le problème était de faire reconnaître les pères latins.
R de Dahan. Oui: comment reconnaître les Pères latins en restant orthodoxes?
Cela posait moins de problèmes aux pères latins de reconnaître les grecs que l'inverse.


Notes

[1] phonétique!

The Narrative of Arthur Gordon Pym, d'Edgar Allan Poe

Parmi mes lectures obligatoires de ce mois (parfois il me semble que je fais trop de promesses), je devais choisir le texte d'un "écrivain de la mer". Melville était le plus évident (mais impossible de remettre la main sur Billy Budd, j'en viens à me demander si je l'ai acheté), Conrad bien sûr (Lord Jim m'attend depuis 1984), peut-être Loti, j'ai repoussé la tentation de Golding parce que c'était beaucoup trop long.
Je regrette un peu de ne pas avoir pris le temps de trouver Le vieil homme et la mer. Je l'ai lu il y a très longtemps, et quand j'y pense, je suis prise de vertige. S'il est un livre dont le temps de la lecture est appelé à représenter le temps de la fiction, c'est bien celui-là: rien d'autre qu'un poisson, un homme, la mer, et le temps. Il faut donc que l'écriture résiste à la lecture, empêche le lecteur d'atteindre trop vite la fin. Quelles techniques Hemingway a-t-il utilisées? Sont-elles efficaces? Qu'en penserais-je aujourd'hui?
Ce sera pour une autre fois. Je me suis résolue à lire Les aventures d'Arthur Gordon Pym, ce qui me permettait de combler une lacune et tenir ma promesse d'un même mouvement.

Trois remarques :
1/ Les récits qui commencent par un épisode qui paraît totalement détaché de la suite me fascine. Je songe à cette remarque de Victor Hugo citée par Ricardou:

«Toutes les pièces de Shakespeare, deux exceptées, Macbeth et Roméo et Juliette, trente-quatre pièces sur trente-six, offrent à l'observation une particularité qui semblent avoir échappé jusqu'à ce jour aux commentateurs et aux critiques les plus considérables (...). C'est une double action qui traverse le drame et qui le reflète en petit. A côté de la tempête dans l'Atlantique, la tempête dans un verre d'eau. Ainsi Hamlet fait au-dessous de lui un Hamlet; il tue Polonius, père de Laertes, et voilà Laertes vis-à-vis de lui exactement dans la même situation que vis-à-vis de Claudius; il y a deux pères à venger. Il pourrait y avoir deux spectres. Ainsi, dans Le Roi Lear, côte à côte et de front, Lear désespéré par ses filles Goneril et Regane, et consolé par sa fille Cordelia, est répété par Gloucester, trahi par son fils Edmond et aimé par son fils Edgar. L'idée bifurquée, l'idée se faisant écho à elle-même, un drame moindre copiant et coudoyant le principal, l'action traînant sa lune, une action plus petite que sa pareille; l'unité coupée en deux, c'est là assurément un fait étrange.»[...]
Dans la mesure où le récit-satellite, pour parler comme Hugo, résume le grand récit qui le contient, il joue le rôle d'un révélateur.
Jean Ricardou, Le Nouveau roman, p.60 à 86

Le premier chapitre de Gordon Pym est-il un révélateur? On y voit le caprice d'un jeune homme qui entraîne son ami dans une aventure stupide sans que celui-ci ne songe à résister, les dangers de l'ivresse (intoxication), un naufrage, une mort quasi-certaine, l'opposition d'un homme droit à un homme fourbe, enfin le retour au port, où tout se passe comme s'il ne s'était rien passé: l'aventure est tellement enjolivée par les témoins qu'elle ne peut plus être reconnue, les protagonistes mentent et personne ne met en doute leur mensonge:

Scoolboys, however, can accomplish wonders in the way of deception, and I verily believe not one of our friends in Nantucket had the slightest suspicion that the terrible story told by some sailors in town of their having run down a vessel at sea and drowned thirty or forty poor devils, had reference ever to the Ariel, my companion, or myself.
fin du premier chapitre

Une fois de retour, les jeunes gens mentent donc habilement sur ce qui s'est passé. Faut-il en déduire que le récit qu'on nous fournit est mensonge? Ou n'est-ce que le signe qu'il faut mettre en doute le récit de la transmission du récit, cet éditeur Poe qui reprendrait à son compte le récit de l'aventurier Pym?

Je soulignerais également la qualité onirique de cette première aventure: tout se passe comme s'il ne s'était rien passé. Un bateau a été détruit et a disparu, mais personne ne pose de question, personne ne s'étonne, sans qu'on sache s'il s'agit d'une preuve de l'extrême liberté dont dispose l'ami du héros dans sa famille, ou de la preuve de l'extrême négligence de l'auteur, ou de la volonté de l'auteur de ne pas enchaîner événements et conséquences (dans le but d'accentuer le caractère rêvé et brumeux de l'épisode?).

2/ M'a frappé l'accumulation des détails durant la traversée sur le Grampus: trois temps, celui de la claustration, celui de la mutinerie, celui du naufrage. Seul celui de la mutinerie permet l'action. Comment donner une épaisseur de temps au récit de l'absence d'événements? en se consacrant aux détails matériels, en détaillant tout, de la façon d'arrimer un chargement à celui de boire l'eau d'une tortue de mer. En accumulant les pages sur ce genre de détails à la Jules Verne, en s'attachant avec une précision maniaque à l'alternance des jours et des nuits (les naufragés dorment vraiment peu!), Poe réussit à faire passer le temps.
D'autre part, on sait dès le début du récit, par sa tonalité qui fait à plusieurs reprises des incursions dans le futur pour nous préparer à ce qui va se passer (tout en nous mettant sur de fausses pistes), que le personnage principal va être sauvé. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce sauvetage n'intervient pas rapidement et que Poe n'hésite pas à accumuler les situations désespérées et les faux espoirs, de navires fantômes à navire s'éloignant en sens inverse à navires scélérats ne recueillant pas de naufragés, sans compter que dès que ceux-ci accumulent quelques vivres, une vague plus forte vient leur enlever.
Chaque fois qu'un personnage plonge pour essayer de trouver de la nourriture ou qu'une voile apparaît à l'horizon, le lecteur se dit que l'épisode naufrage va prendre fin, comme par miracle, et que décidément être personnage de livre est de tout repos, on est toujours sauvé par un événement inattendu.
Mais pas ici. Les péripéties s'accumulent, les espoirs sont à chaque fois déçus (alors qu'on sait qu'il faut que l'auteur sauve ces personnages, on l'attend, à chaque nouveau délai on se demande comment il va s'y prendre), tant et si bien que lorsque apparaît le navire salvateur, le narrateur commence par nous prévenir que nombreux sont les navires qui ne s'arrêtent pas pour recueillir des naufragés — pour être aussitôt démenti. Poe joue ainsi à prendre systématiquement le contre-pied de ce qu'on attend ou de ce qui serait logique, créant des effets de suspense, d'étonnement et de malaise.

3 / S'il est frustrant pour le lecteur qui éprouve l'impression d'être floué (Poe échappant à la tâche d'expliquer à quoi Pym a échappé et comment), l'artifice qui consiste à faire mourir le narrateur après son son retour mais avant qu'il n'ait fini son récit, est une péripétie qui dans dans "la vraie vie" serait extrêmement vraisemblable.


Enfin, de façon plus anecdotique, je crois que la fin de ces aventures a directement inspiré la fin d'un des tomes de la Chronique de Narnia, The voyage of the Dawntreader. Il me semble même qu'elle en serait la contraposée positive.
Le Passeur d'aurore est parti vers l'est pour atteindre la fin du monde. Après de multiples aventures, il atteint un endroit où l'eau de l'océan est devenue douce. Elle a des pouvoirs magiques, elle comble la faim, rajeunit les explorateurs, leur permet de contempler le soleil. le navire se déplace sans vent, porté par un fort courant.
L'obsession du blanc, ici valeur positive, et le voile d'eau, rappellent Poe:

"My Lord", said Caspian to Drinian one day, "what do you see ahead?"
"Sire", sais Drinian, "I see whiteness. All along the horizon from nort to south, as far my eyes can reach."
[...]
The whiteness did not get any less mysterious as they approached it.
C.S. Lewis, The voyage of the Dawntrader, dernier chapitre

Les explorateur vont découvrir une mer de lotus.
Plus tard:

There was no need to row, for the current drifted them steadily to the east. None of them slept or ate. All that night and all next day they glided eastward, and when the third day dawned — withe a brightness you or I could not bear even if we had dark glasses on — they saw a wonder ahead. It was as if a wall stood up between them and the sky, a greenish-grey, trembling, shimmering wall. Then up came the sun, and at it first rising they saw through the wall and it turned into wonderful rainbow colours. Then they new that the wall was really a long, tall wave — a wave endlessly fixed in one place as you may often see at the edge of a waterfall.
C.S. Lewis, The voyage of the Dawntrader, dernier chapitre

à comparer avec:

I can liken it to nothing but a limitless cataract, rolling silently into the sea from some immense and far distant rampart in the heaven.
Edgar Allen Poe, The narrative or Arthur Gordon Pym, avant dernier chapitre.

Le Passeur d'aurore n'atteindra pas le voile d'eau, il s'échouera avant.

Saint-Victor

Finalement, c'est d'un commun...

Colloque international du CNRS pour le neuvième centenaire de la fondation de Saint-Victor, du mercredi 24 au samedi 27 septembre 2008, à Paris, Collège des Bernardins, 18-24 rue de Poissy, 75005. En 1108, Guillaume de Champeaux abandonne la direction de l’école cathédrale de Paris pour mener, avec une poignée d’étudiants, une vie d’ermite sur les pentes alors désertes de la Montagne Sainte-Geneviève. En quelques dizaines d’années, le groupe de scholares devient une puissante abbaye de chanoines réguliers et l’une des écoles les plus remarquables de l’occident médiéval, par la stabilité d’une longue lignée de maîtres, la diversité des domaines où ils se sont illustrés et l’étendue de leur fécondité jusqu’à la fin du Moyen Age. Neuf siècles après la fondation de Saint-Victor de Paris, cette fécondité multiforme continue d’étonner.

PS : Abélard fut l'élève de Guillaume de Champeaux, mais il était beaucoup trop doué pour que celui-ci n'en prît pas ombrage.

La formation du canon des Pères, du IVe au VIe siècle, par François Dolbeau

Voir ma note du 15 juin: ces notes ne sont que des notes, les éventuelles erreurs doivent m'être attribuées, seuls les actes du colloque feront foi.
J'ajoute des dates entre parenthèses, elles ont rarement été données tant elles allaient de soi pour les personnes présentes.


Michel Fédou, s.j., président du Centre Sèvres, la faculté jésuite de Paris, présente le sujet du congrès, "Réceptions des Pères et de leurs écrits au Moyen Âge - Le devenir de la tradition ecclésiale", évoque les différentes institutions qui ont contribué à son organisation et présente Rainer Berndt, s.j., président de la Société internationale pour l'Étude de la Théologie médiévale[1].

Celui-ci présente le programme des jours/des joies (son accent laisse un doute, même si son sérieux, non. (Quoique, de la part d'un jésuite, tout soit possible)) à venir. Ce programme couvre la période allant de la mort de Grégoire le grand († 604) à la Réforme à la fin du XVIe siècle et retrace l'histoire du fait religieux. Il ne s'inscrit pas dans la tendance du XIXe et XXe siècle de réhabilitation romantique du Moyen-Âge, mais dans le mouvement qui depuis quelques décades s'intéresse au Moyen-Âge hors de tout romantisme.
L'étude du christianisme au Moyen-Âge montre qu'il a tant imprégné la société qu'il intéresse tous les domaines du savoir. En particulier, on ne souligne pas assez l'importance qu'il a eu dans le développement de l'école, et donc dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. L'hagiographie de la catéchèse, en multipliant le nombre de personnes sachant lire et écrire, a préparé l'essor de la science.
La formation théologique repose sur la philosophie, elle le lieu d'une discussion entre ceux qui veulent interpréter les Saintes Ecritures et ceux qui souhaitent un aggiornamento méthodologique.

Puis André Vauchez prend la parole et rappelle les deux ans de préparation qu'a demandé ce congrès. Il fait le vœu qu'il se tienne en mémoire de Jean-Claude Guy, grand spécialiste des apophtegmes des Pères de l'Eglise. Il souligne le rôle de l'Institut universitaire de France qui a permis à la recherche de haut niveau de se développer en France. S'intéresser à la transmission, la nachleben, c'est aussi s'interroger sur la non-transmission, et ses raisons. La transmission se situe au croisement de la théologie, de la philologie et de l'histoire.
Il cite encore quelques noms de spécialistes français du Moyen-Âge, Pierre Petitmangin dont les travaux sur Pélagie font le lien avec l'Antiquité), Jacques Le Goff et ses Exempla, Gilbert Dahan et L'exégèse,...
Il présente enfin François Dolbeau, antiquisant et médiéviste, spécialiste de Saint Augustin dont il a publié les 26 sermons au peuple d'Afrique et en a donné une édition commentée.


La formation du canon des Pères, du IVe au VIe siècle, par François Dolbeau

Ce qui manque à mes notes, ce sont les transitions. Tant pis.

Au Moyen-Âge, la culture des lettrés se formait par la lecture de la Bible à travers les Pères. Il existait une équivalence entre le tryptique Loi/prophètes/hagiographies et évangiles/apôtres/Pierre, on lisait les Memoralia de Job comme si c'était le livre de Job.

Comment et pourquoi les écrivains latins sont-ils devenus des doctores? Que sont le canon et les Pères? les Pères sont des auteurs ecclésiastiques. On sait que le bibliothécaire de Prüfening classait les auteurs en Patres antiqui et Patres moderni (la séparation se faisant avec la mort de Bède (†735)). Les Pères ont d'abord été les Pères de la Bible, les patriarches, puis les Pères de l'Eglise, des évêques, puis des prêtres et même des laïcs.
On distingue trois caractères qui leur sont commun: une autorité doctrinale, la sainteté, la reconnaissance de l'Eglise. Il y a également l'âge: ce sont souvent les plus âgés de leur communauté. S'agit-il de Patres ou de magister?

Un canon des Pères signifie, dans son acception moderne, un corpus d'autorité patristique. Un canon, c'est aussi une mesure et également un processus: le lent établissement d'une liste plus ou moins officielle des Pères ayant autorité.

Ce canon n'a pu commencé à se former qu'une fois le canon biblique arrêté, c'est-à-dire à partir du canon d'Alexandrie. Les critères utilisés pour retenir les textes du Nouveau Testament sont la date, l'orthodoxie, l'autorité et la catholicité (livre 2 d'Augustin). A la fin du IVe siècle, la liste des textes bibliques est fermée, on trouve des détails de la mise en place du canon dans les fragments de Muratori. Cette liste est quasi définitive dès Athanase, en 350/351 et lors du synode d'Hippone en 393. La décision sera reprise à Carthage en 397.
Il était nécessaire d'arrêter cette liste pour lutter contre les polémiques.
(En y réfléchissant, il manque ici d'importantes incises sur les livres retenus par les chrétiens et non par les juifs (les livres deutérocanoniques), et la définition d'apocryphe: dont l'auteur n'est pas connu et l'orthodoxie n'est pas sûre. Tout cela était à la fois précis et plein de nuances, j'ai préféré ne rien noter que noter de l'à-peu près (déjà que...)).

Une fois le canon scripturaire fixé, la patristique peut émerger.
Les Patres finissent par désigner des écrivains (ecclesie doctore) présentant des arguments patristiques, comme Léon le grand vers le milieu du Ve siècle.

Augustin est témoin et peut-être acteur de la fixation du canon scripturaire. En 395, les évêques ont débattu de ce qui pouvait être lu en assemblée: les récits de la vie des martyrs étaient exclus, sauf le jour anniversaire dudit martyre; car selon Augustin, rien ne pouvait être supérieur à l'autorité canonique des divines écritures. Les Ecritures ne pouvaient être mises en doute.
Mais alors, comment est-il possible de parler de canon des Pères?
C'est qu'Augustin est resté isolé dans sa position. Une tradition venue d'Orient à imposer le recours à des Pères faisant autorité. De même que la nécessité de séparer les livres saints des écritures apocryphes avait obligé de définir un canon scripturaire, de même la nécessité de séparer les écrivains orthodoxes des non orthodoxes a conduit à l'établissement d'un canon des Pères.

Le concile d'Ephèse a reconnu l'autorité d'Athanase.

L'argumentation patristique a recours à des citations des Pères. Pélage ira jusqu'à citer Augustin contre lui-même dans la controverse Augustin-Pélage, ce qui amènera Augustin à s'intéresser à l'utilisation des citations des Pères dans les controverses.
Désormais Augustin craint l'incompréhension et les malentendus, et en 420, il entreprend de relire et de corriger ses propres écrits.

L'argument scripturaire a autorité sur la patristique. En 434, Vincent de Lérins établit les règles permettant de reconnaître la vraie foi. Elles reposent sur deux piliers: l'autorité de la loi divine et la tradition (les grands conciles et les Pères).

Qui sont les Pères? Augustin ne voulait pas en être un.

Le décret pseudo-gélasien et Cassiodore fixent des listes d'autorité. Le rapprochement entre Pères et Ecritures est parallèle à celui d'apocryphes avec hérétiques.

Notes

[1] à laquelle on ne peut appartenir qu'en étant parrainé par deux membres (ça me plaît, il semble qu'ils craignent d'avoir trop d'adhérents).

Remarques préliminaires à des notes prises lors d'un congrès de patristique

Tout cela est sorti d'une discussion animée sur la culture. Les discussions sur la culture m'ennuient, personne ne parle de la même chose et on peut à peu près tout soutenir selon la façon de délimiter le sujet. Personnellement, je bénis la démocratie qui permet de choisir ce qu'on lit, voit, entend, pense (ou de choisir de ne rien lire, ni voir, ni entendre, et de ne pas penser), ce qui ne m'empêche pas de me demander ce qui émergera du XXe siècle français dans cent ou quatre cents ans — mais il n'est pas du tout évident que le monde parvienne jusque là (j'ai l'intime conviction qu'il restera très (très) peu de choses, et j'en ris comme d'une bonne revanche à l'encontre de ces artistes contemporains si prétentieux).
Je bénis la possibilité de pouvoir s'instruire sans fin dès qu'on se donne la peine (ou qu'on a la chance) de trouver les bonnes pistes. Je bénis ces bibliothèques, ces cours de langues anciennes, le Collège de France, les conférences, les expositions, les concerts. Je suis davantage frustrée par l'excès de possibilités que par le manque.

Suite à cette discussion, je proposai par boutade à un blogueur dont je partage à peu près la vision de la "culture" d'assister à ce congrès. A ma grande surprise, il accepta.


Nous avons donc assisté à deux jours et demi de conférences, soit une vingtaine de vingt-cinq minutes, par les spécialistes européens de la question.
Je ne savais rien avant d'y aller: qui étaient les Pères, quelle période cela couvrait-il, etc. J'avais renoncé à chercher, de peur de tomber sur des informations erronées.
J'ai souri en écoutant la conférence d’ouverture de François Dolbeau, La formation du canon des Pères, du IVe au IVe siècle, qui prouvait que mes questions "de base" étaient débattues entre spécialistes (souvent je rappelle aux enfant que ce qu'ils apprennent en deux heures de cours est l'objet d'études d'une vie pour quelques chercheurs (ce qui est à la fois source d'humilité et d'absence de complexes : après tout, il est normal de ne rien savoir ou pas grand chose)).

Après trois jours de conférence, j'ai appris quelques dates, j'ai entendu beaucoup de noms, je suis affolée par mon ignorance et en rage contre l'école, j'essaie d'imaginer ce qu'aurait été le monde des premiers siècles sans le christianisme (les premiers siècles ne se seraient pas appelés premiers siècles), je m'aperçois que jusqu'à la Réforme, ou au moins jusqu'à Saint Thomas, la discussion avec l'Eglise d'Orient était constante, et que Luther (1483 - 1546) a déplacé géographiquement les débats (qui ont changé de contenu) qu'il a poussés jusqu'à la guerre.
Renaissance et Réforme me paraissent ce soir davantage, ou au moins autant, à l'origine du monde actuel que la Révolution française.

Comment est-on passé de Saint Thomas (†1274) à Pascal (1623 - 1662) ? Que s'est-il passé ? (J'ai appris incidemment que Pascal était relecteur d'Augustin au XVIIe siècle comme Machiavel (1469 - 1527) l'avait été au XVe).
Luther, Gutemberg, Christophe Colomb... La Renaissance est-elle avant tout caractérisée par une ouverture (géographique et technique) au monde, comme le soutient H., et non par une redécouverte de la philosophie antique (mais de ces trois jours il ressort qu'elle n'a jamais été oubliée) et un renouveau des techniques artistiques, comme il me semble l'avoir appris entre la primaire et le lycée?


Dans un autre ordre d'idées, les études patristiques ont tout pour me plaire. Très vite, les auteurs du Moyen-Âge vont citer les Pères sans toujours indiquer leurs sources, et une partie des études actuelles est consacrées au repérage de ces citations: qui lisait qui, et pour en dire quoi ou lui faire dire quoi? Qu'a-t-on perdu d'une langue à l'autre (latin/grec), quel malentendu aurait pu être évité, les traductions sont-elles fidèles?
Et où sont les manuscrits, qu'a-t-on conservé?


Je vais mettre en ligne davantage des lambeaux de notes que des notes. C'est difficile de prendre des notes dans un domaine que l'on ne maîtrise pas: il faut tout écrire, chaque mot compte, les références sont données en latin, je ne connaissais pas les titres de la plupart des œuvres alors qu'il aurait fallu que j'ai déjà des abréviations pour chaque titre en connaissant leur auteur...
Je les mets en ligne malgré tout, d'abord parce que cela me fait plaisir, ensuite parce que j'ai l'espoir qu'elles ne soient pas si fausses que ça (incomplètes, lacunaires, ayant parfois manqué l'essentiel pour noter une remarque incidente, mais pas fausses), enfin parce qu'elles pourraient éveiller la curiosité de quelques-uns. (Il y aura sans doute des actes de colloque un jour ou l'autre).

Impératif

Que personne ne soit vu sans un livre à la main.

Herbert, successeur de Guillaume de Champeaux (si j'en crois mon voisin, car j'ai mal entendu).

Quelques explications

Je recentre ce blog sur les livres et sur Renaud Camus; j'effectue une sorte de retour aux origines puisque tout cela a commencé quand j'ai claqué la porte (du forum) de la SLRC.

Historiquement, ce blog a vu le jour le 26 mai 2006. Je recopie ici à mes heures perdues certains billets de la SLRC, car je suis obsédée par la conscience de l'éphémère internautique. Les premiers billets du blog sont donc datés d'août 2002, traces de mes premières interventions sur internet.
La catégorie "SLRC, anté-blog" disparaîtra au cours des prochains mois, au fur à mesure de la création de nouvelles catégories qui me permettront de circuler plus rapidement entre les œuvres du Maître [1]. Je songe également à un index "bricolé" à partir de la structure ordinaire de ce blog (car je ne vais pas me lancer dans l'informatique: j'utilise ce que j'ai à disposition).
En un mot, je transforme ce blog en ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être: un outil à ma main.

Enfin, son adresse changera prochainement pour devenir vehesse.org.

A suivre.
(Bashô et Patrick, deux commentateurs occasionnels, pourraient-ils me laisser un commentaire avec une adresse mail?)


Notes

[1] Non, ce mot n'est pas à entendre au premier degré (ainsi que le croient certains!)

Le silence de la mémoire, de Nicole Lapierre

Je n'ai pas compris ce que cherchait l'auteur: trouver un prétexte universitaire pour partir à la recherche de ses propres racines (la mère de son père), explorer la faille entre mémoire et histoire, examiner les conditions d'une identité juive aujourd'hui, après la catastrophe (Shoah) et la naissance de l'Etat d'Israël ?

En 1984, Nicole Lapierre entreprend de retrouver les survivants de la communauté juive de Plock éparpillée par le nazisme puis les suites de la seconde guerre mondiale. Elle peint l'effervescence de la jeunesse juive en Europe orientale dans les années vingt et trente, poussée à choisir ou à inventer une nouvelle articulation entre la tradition du Shetl, la modernité économique et l'espoir né de la révolution russe. Ce livre constitue ainsi un arrière-plan parfait au chapitre "Rosa Luxembourg" des Vies politiques d'Hannah Arendt.
La jeunesse juive polonaise n'aura pas le temps d'inventer un nouveau modèle, la guerre détruira toute trace de sa vie antérieure, rendant impossible et l'oubli et la mémoire : se souvenir n'est pas vivre, oublier est trahir.
J'en retire l'impression que Nicole Lapierre nous murmure que tout un mode de vie était condamné à disparaître (très) lentement, absorbé par la modernité et les espoirs politiques, dispersé par l'émigration en occident ou en Palestine, et que l'une des conséquences paradoxales de l'œuvre nazie est que personne désormais n'osera parachever cette disparition : le shetl est dorénavant éternel, car comment s'autoriser à oublier?

Avec l'anéantissement d'une société fut aussi aboli l'espoir de ceux qui la contestaient. Ils voulaient rompre avec une vie juive marquée par la misère et la résignation, mais aussi se défaire de l'emprise de la tradition et du conformisme. De cette vie, plus rien ne demeure et les ruptures anciennes sont devenues d'irrémédiables et coupables abandons, scellés dans le silence. Revendiquer aujourd'hui les révoltes et rejets d'autrefois, c'est dénoncer, condamner les travers d'un univers depuis martyrisé. Rares sont ceux qui l'assument, même lorsqu'ils sont resté fidèles à leur engagement. Cet effondrement a rétroactivement doté du sens mythique de la nostalgie cet univers que l'émigration avait abandonné. Or la nostalgie est l'inverse d'une mémoire fondatrice, en elle, aucun présent, aucun avenir ne saurait se ressourcer, elle n'est que traces des pertes et des ruptures.
Nicole Lapierre, Le silence de la mémoire : à la recherche des Juifs de Plock, p.273

Exil avant la guerre (vers la France, souvent), fuite pendant la guerre (vers l'est, la Sibérie, le Nord de l'URSS ou le Caucase), hommage au peuple russe, pogroms polonais de 1946, tracasseries administratives françaises des années cinquante, livres de mémoire (Yzker biher), arogance des sabras (jeunes Israëliens nés en Israël) dans un pays qui valorise la résistance et les héros et tait la "catastrophe",...

L'épilogue clôt ce récit comme seul le réel ose clore un récit.
Et je songe aux Disparus de Mendelsohn : ce n'est finalement que l'accomplissement fictionnel de la recherche entreprise par Nicole Lapierre, recherche à la fois merveilleuse et éternellement décevante.
Je ne sais comment se termine Les Disparus.

A la kermesse (hier)

Acheté

  • le petit livre rouge de Mao (Ecrits politiques de Mao Tse-Tung (Est-ce bien raisonnable à la kermesse paroissiale?)). Livre mythique de ma jeunesse, j'espère que je trouverai le temps de le lire. La première page est datée de 1928, la dernière de 1949 : cela ressemble fort à un journal de guerre. Les caractère sont si petits qu'il me faudra une loupe.
  • L'Idiot dans l'édition du livre de poche de 1963. J'ai vérifié avec les deux volumes de la collection Folio empruntés à un ami: à trente ans d'écart, c'est la même traduction. Pensée pour Barthes qui voulait qu'une traduction soit revue régulièrement (ce qui me fait dire pour ma part qu'il est sans doute plus facile à un Français de lire Shakespeare en français qu'à un Anglais de le lire en anglais);
  • Lolita dans l'édition du livre de poche de 1959. Je suis contente d'avoir trouvé cette vieille édition (c'est le même fétichisme que celui qui m'a poussée à acheter Autant en emporte le vent dans une édition de 1938, une édition d'avant le film, donc (il faudrait que je la fasse relier, elle part en lambeaux));
  • deux Agatha Christie (dont Pension Vanilos qu'on avait déjà (j'ai cru que notre exemplaire appartenait à ma sœur, d'où l'erreur d'achat)), un Modesty Blaise (cette fois, achat volontaire d'un double, les Modesty Blaise sont difficiles à trouver et plaisants à offrir);
  • Exercices de style en collection blanche (des années 40);
  • L'Alchimiste de Coelho (je sais, je sais... c'est H. qui a insisté, par curiosité. Moi je l'ai déjà lu, à sa sortie (1995?) : un mélange de Saint-Ex et de Tahar Ben Jelloun, de mémoire, un Jonathan le goéland version saharienne);
  • Zadig et autres contes (Eh non, nous n'en avions aucun exemplaire à la maison. Cela a dû rester chez nos parents. Apparemment, H. avait éprouvé un besoin urgent de le lire il y a quelques jours et ne l'avait pas trouvé dans la bibliothèque);
  • La Tulipe noire en vieille édition de la bibliothèque verte (le genre de choses auxquelles je ne résiste pas).

J'ai noté avec surprise un nombre important de Michel Bataille. Je ne les ai pas achetés, sachant que je ne les relirais pas (ou que leur relecture me ferait honte).
Pas acheté non plus les quatorze ou seize tomes des Hommes de bonne volonté en livre de poche: impressionnant dans une bibliothèque, mais beaucoup trop volumineux pour une œuvre que je n'ai aucune intention/envie de lire.

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