C'est une jeune Japonaise — peut-être est-elle française depuis toujours car elle parle sans aucun accent. C'est toujours une source d'émerveillement : pourquoi une Japonaise vient-elle se passionner pour la patristique médiévale? Et je m'imagine en train d'étudier des manuscrits japonais religieux du Moyen-Âge.
Je ne sais si elle en est la cause, mais la période qu'elle présente est sans doute celle avec laquelle je me sens le plus d'affinités, avant les querelles philosophiques ou théologiques des siècles à venir, qui me donnent l'impression d'être réservées à quelques spécialistes. L'époque carolingienne est celle de l'imprégnation et de l'assimilation des sources patristiques.
Curieusement, et connaissant les organisateurs je ne doute pas un instant que ce ne soit volontaire même si à mes yeux néophytes c'était indécelable en lisant le programme organisé par thèmes et non par périodes, nous allons avancer dans le temps au fur à mesure de ces trois jours, en commençant par la fixation du canon biblique et en finissant par Abélard et Saint Thomas.

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L'objet de cette communication est de montrer comment le recours aux citations patristiques sera de plus en plus libre au cours de la Renaissance carolingienne.

L'exégèse carolingienne a recours a des citations longues et exhaustives et annote les textes des Pères (soit une exégèse dans l'exégèse).
On critique Raban Maur (achevêque de Mayence circa 840) pour compiler trop et ne pas apporter de réflexions propres: il se défend en disant qu'il fait preuve d'humilité.

Ordonnancement de l'héritage des Pères

  • citations intégrales

L'œuvre des Pères est d'abord repris dans des florilèges, généralement consacré à un seul Père. voir par exemple les florilèges établis par Pierre de Pise. Ils ont sans doute une visée pédagogique, en permettant de disposer du "meilleur" d'un Père en un seul livre.

  • citations exhaustives et compilation

Claude de Turin ou Raban Maur se livrent à une exégèse anthologique. Ils récapitulent tout ce qui a été dit sur un verset. (L'unité d'organisation n'est donc plus l'auteur de l'exégèse, mais le verset commenté).
Raban Maur met au point un système de notations dans les marges de ses manuscrits (comme le faisait Bède au VIIIe siècle) pour indiquer l'autorité. Le procédé a également une visée pédagogique: il s'agit de citer ses sources.
Le recours à l'autorité permet également de se protéger (politiquement). Ainsi Jérôme écrit en 407 des textes profondément "barbarophobes" : quatre cent ans plus tard, Raban Maur cite intégralement le texte de Saint Jérôme comparant l'empire à une statue de fer aux pieds d'argile.

Assimilation de l'héritage des Pères

La phase suivante est une phase d'appropriation. Les sources sont rarement citées, les citations sont plus brèves, ce sont souvent des synthèses. La tendance générale est à la souplesse (cf. les travaux de Silvia Cantelli Berarducci).
Par exemple, Haymon d'Auxerre réécrit systématiquement ses sources. On assiste à une reformulation massive, les autorités sont généralement tues, ce qui complique la recherche des sources. Haymon d'Auxerre ne précise les références que des sources les moins connues, ou encore, la source de la source: si x cite y, Haymon mentionne y sans mentionner x.

Pourquoi Haymon ne cite-t-il pas toujours ses sources?
Hypothèse: peut-être n'indique-t-il la source que s'il transforme l'esprit de la citation. L'œuvre d'Haymon est une synthèse accompagnée d'une méditation personnelle; elle s'adresse à un public déjà savant.
Deux générations de commentateurs se sont succédés à Auxerre, Haymon, Heiric, Rémi. Rémi reviendra à des citations littérales.

Conclusion

- La tradition carolingienne est intégrée à l'époque carolingienne.
- C'est sans doute le moment où se séparent les Pères des commentateurs.
- Les carolingiens sont un maillon capital entre les Pères et l'exégèse ordinaire.