Cette conférence va s'attacher à trouver les plus anciennes traces d'Augustin chez les commentateurs orthodoxes, dans les traductions puis dans les querelles.
Les spécialistes dans la salle avaient l'air enthousiastes devant les perspectives ouvertes.

        
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Si le thomisme byzantin du XIVe siècle a été bien étudié, la réception de Saint Augustin ne fait l'objet d'études que depuis une douzaine d'années. Augustin était peu connu à Byzance avant le XIIIe. Comme les latins le citent dans leur querelle contre les Grecs, il n'a pas bonne réputation auprès des commentateurs byzantins.

Les traductions

  • les mésaventures de Maxime Planudis

Constantinople a été dirigé par les latins de 1204 à 1261. Lorsque Michel Paléologue reconquiert le pouvoir, il a besoin de s'appuyer sur le pape pour lutter contre les Turcs. C'est pourquoi est signée l'union de Lyon en 1274, qui affirme l'union des Eglises latine et grecque.

C'est dans ce contexte que Maxime Planudis traduit le premier le De Trinitate. Il fut accusé par plusieurs d'avoir fourni une traduction dans laquelle il aurait coupé le passage parlant de la procession du Saint Esprit, en un mot, d'avoir infléchi le De Trinitate. (C'est très curieux car c'est faux, la traduction est très fidèle voire littérale: à croire que les détracteurs de Planudis ne l'avaient pas lu!)
Peu de temps après, Planudis écrivit contre le Filioque. Suite à la controverse qui suivit, il ne traduira plus de textes religieux.

Donc : Planudis a traduit fidèlement le De Trinitate, puis a réfuté le Filioque : quand était-il sincère?
Trois hypothèses:
1 - Sa traduction était excellente mais il a été contraint par l'empereur Andronic II de réfuter le Filioque;
2 - Planudis était contre le Filioque, c'est Michel Witt qui l'a contraint a traduire le De Trinitate;
3 - ou l'hypothèse du chat échaudé, adoptée par la conférencière: en 1274, le temps étant à l'union, Planudis rédige sa traduction, en 1280, la rupture de l'union entraîne une répression qui oblige Planudis à écrire contre le Filioque. Ensuite, dégoûté par ses querelles politiques, il ne s'occupera plus jamais de théologie. [1]

  • les frères Kydonis

Dimitrios apprend le latin auprès d'un dominicain de Pera, en lisant Saint Thomas. Ensuite, (tout naturellement), il traduit Saint Thomas, puis Augustin.
Pourquoi avoir traduit Augustin?
Sans doute parce que c'est un père de l'Eglise universelle. Mais alors, pourquoi ne pas avoir traduit les Confessions ou la Cité de Dieu?
Sans doute à cause de la façon dont ces textes traitent du Père et du Fils.

Les palamistes (partisans de Grégoire Palamas) établissent que la lumière est énergie, mais elle n'est pas l'essence (ousia) de Dieu. Il est impossible de connaître Dieu dans son essence, mais il est possible de le connaître dans son énergie. (Il est traité de l'essence de Dieu dans les Soliloques de Saint Augustin).
Dimitrios entrera dans la querelle pour défendre son frère et se convertira au catholicisme romain

Son fère Procoros était moine. Il a traduit plusieurs œuvres d'Augustin, quelques lettres et le passage d'une lettre qui parle de la lumière comme étant Dieu. Il est ainsi pris dans la querelle avec Grégoire Palamas et finira excommunié.

L'autorité d'Augustin à Byzance

Malgré le manque de traduction en grec (celles de Planudis et des frères Kydonis sont les premières connues à ce jour), Augustin était connu à Byzance et pas si rejeté que ça.

Grégoire Palamas a lu le De trinitate. Dans les 150 chapitres (de Palamas), on trouve des passages entiers d'Augustin sans qu'il soit cité explicitement. Par exemple, le chapitre 125 de Palamas reprend les discours contre les ariens de Saint Augustin, l'homélie 13 et 60 §2 reprend ?? (pas noté...). Mais Augustin n'est jamais nommé. Sans doute n'était-il pas politiquement correct/politiquement possible de citer Augustin quand on défendait l'orthodoxie.

Quelques années plus tard, Procoros et Philothe Kokinos, biographe de Palamas (il condamnera Procoros), entament une discussion. Selon Kokinos, Procoros interprète de façon fausse une phrase d'Augustin. Kokinos répond donc à Procoros qu'il se trompe, que ce n'était pas ce que voulait dire "le divin Augustin" : c'est donc la preuve qu'il est devenu possible de citer Augustin.

Nicolas Cabasilas (vers 1320 - après 1391) écrit la Vie en Christ, sorte de Beata Vita ou De librio arbitrio, dans laquelle on sent l'influence d'Augustin.

Conclusion

A la fin du XIIIe et XIVe siècle, Byzance connaît l'effervescence autour de l'union de l'Eglise. Les Grecs découvrent et lisent les Pères latins pour pouvoir les réfuter.
En lisant Augustin, ils découvrent qu'il y a bien plus chez lui que des arguments pour nourrir la querelle du Filioque. Augustin va nourrir la pensée grecque. Au XVe siècle, Augustin prend une autre dimension avec le concile de Florence (notions de Purgatoire, péché originel,...)

Notes

[1] Curieusement, la conférencière semble estimer que Planudis n'aurait pas traduit volontairement un texte auquel il n'aurait pas adhéré. Interrogée plus tard sur ce point, elle affirmera la possibilité que Planudis ait fait correctement son travail de traducteur sans y faire entrer des critères d'adhésion ou de rejet personnel. Mais dans ce cas, les trois hypothèses deviennent inutiles... M-H. Congourdeau semblait attachée à trouver une explication au silence de Planudis après 1280, qu'elle regrettait visiblement.