J'ai acheté ce livre d'abord parce qu'il était petit. J'essaie de ne plus acheter que des livres que je vais lire, je choisis donc des livres peu épais (c'est l'un des pires effets pervers du blogging: qui veut bloguer à propos de livres doit lire, qui lit ne blogue pas... à moins de choisir de tout petits livres).
J'ai hésité, car le ton de ce livre était atrocement banal, sans effet de manche. Puis je l'ai acheté parce que le ton en était sans effet de manche, atrocement banal.

Je ne le regrette pas. Il est constitué de chapitres très courts qui pourraient être des billets de blogs ou des éditoriaux. Ils ne leur manquent pour cela qu'une certaine ironie ou une volonté de démonstration.

J'ai rarement lu un livre aussi platement descriptif. Tout l'art de l'auteur réside dans le collage, l'apposition d'événements ou de scènes sans grand intérêt, à peine des événements, qui mis côte à côte ont encore moins de sens.

Tout cela se passe à Havard, parmi les futurs dirigeants politiques ou économiques ou médiatiques de la nation.
Rien ne se passe comme on n'aurait pu le prévoir.
Mais il y a longtemps que plus rien n'est prévisible.

L'auteur est très jeune, né en 1984. C'est son troisième livre. Je vais acheter les deux autres et je vais attendre les suivants.

Je mets en ligne le premier chapitre.

Dans le gymnase Hemenway de la faculté de droit de Harvard, il doit y avoir vingt-cinq tapis de course, constamment utilisés. Ce sont des machines remarquables, noires, brillantes, presque silencieuses : des outils de luxe au service de la santé et de la vanité. Chacun est doté d'un écran plat diffusant les meilleures chaînes du câble. Les coureurs sont eux-mêmes remarquables. Hemenway est considéré comme la meilleure salle de sport ouverte à la population non universitaire. Tout le monde est en forme. Aucun regard ne se croise, bien que l'endroit fourmille d'une énergie sexuelle alimentée par le balancement de queues-de-cheval humides. Les athlètes, vêtus de shorts moulants estampillés Harvard, de T-shirts « Sauvez le Darfour » ou de joggings aux couleurs des New York Knicks, semblent être des jeunes gens extrêmement sérieux, acquis à la cause de l'esprit sain dans un corps sain. Beaucoup, tandis qu'ils courent sur place, regardent les infos.
L'Info, c'est toujours l'Irak. Si l'on se tient au fond de la salle, près des courts de squash blancs aux normes olympiques, on peut observer cette élite courir sur place devant un des nombreux reportages : bombes artisanales explosant, reporters équipés de gilets pare-balles sur leurs chemises en coton ou l'éternel enfant en sang qu'on porte dans les bras. Si on revient le lendemain, on verra les mêmes personnes, courant au même endroit, regardant les mêmes horreurs. Sauf que ces horreurs empirent de jour en jour.
Bien sûr, tout le monde ne s'intéresse pas à la guerre. Pour chaque amateur de journal télévisé, il y a un amateur de sport et un amateur de série. Mais ceux qui regardent le JT sont les plus intéressants. Non que le sport ou les séries soient ennuyeux, mais en raison de l'analogie entre cette guerre malheureuse et le fait de courir sur place, dans la prestigieuse salle de sport de la plus prestigieuse université. Il est toujours difficile de savoir ce que les gens pensent des informations qu'ils regardent. Et ici, dans la plus prestigieuse salle de sport etc., savoir ce qu'ils pensent n'est pas seulement difficile mais crucial, parce que, parmi ces jeunes gens qui regardent les informations, certains espèrent en devenir un jour les acteurs - et parfois, à raison.
C'est du moins ainsi que ça se passait dans la promotion 2006 - ma promotion.

Guerre à Havard, de Nick McDonell, p.9 - Flammarion, 2008