27 janvier 2009 - L'importance de la photographie

Le compte-rendu plus qu'exhaustif est chez sejan.

Donc pour Barthes et Robbe-Grillet, raconter c'est tout de suite "une vie reçue" à la façon d' "une idée reçue".

Nadja (1927) et surtout sa préface, appelée avant-dire et publiée en 1963, postule l'incompatibilité de la littérature et de la vie. Vanité de l'écriture de soi.

On trouve dans l'incipit les deux expressions "qui suis-je?", "qui je hante".
Et dans la partie centrale: qui vive?
Le livre exprime la haine du temps passé à écrire. "Témoin hagard": point de vue de ce que je hante.

  • deux remarques

1/ Blanchot dans Le Livre à venir condamne le journal intime. Mais pas Nadja, car Nadja est un récit, et Blanchot agrée les récits. Or Robbe-Grillet utilise la fable, Barthes le fragment pour leur récit de vie. Blanchot rejette ce modèle romanesque. Il accepte Nadja qui utilise la photographie. => il y a donc une contradiction sur le récit: le récit est-il impasse ou solution?

Il faut tenir compte du changement d'époque: 1950 Blanchot pouvait trouver Nadja sublime; en 1970, Barthes et Robbe-Grillet étaient suspects.

Pour Blanchot, le récit commence avec l'impuissance du témoignage. On raconte ce qu'on ne peut rapporter. Le récit est une solution.
Robbe-Grillet : le tissu vivant des détails
Barthes : tissu du texte. trame, colmater pour raconter l'irreprésentable, aplatir la notation.
Blanchot: le récit déchire le tissu du récit ordinaire de la vie.

La vie pour Blanchot : un événement qui tranche la vie. Surprise, hasard, précipice.
La vie pour Barthes: un incident du corps, c'est inénarrable. Barthes n'aime pas les surréalistres : ils ont manqué le corps.

2/ Nadja utilise les photos pour la première fois. La photo porte témoignage. Nadja, ce sont des écrit de vie avec photographies.

L'un des meilleurs écrivains découvert par Compagnon ces derniers temps: W. G. Sebald. Les Emigrants: 4 nouvelles; Austerlitz
Ne seraient-ils pas à l'origine du récit avec photos? Les photos sont disséminées dans le texte et non illustratrives. Or toute photo tire vers la mort, comme nous l'apprend par exemple la Shoah et sa non-représentation (ce qui manque à la Shoah, ce sont des photos).
Le premier texte de Sebald s'intitule Vertiges, en 1990. Il commence par un texte d'Henri Burlard qui évoque les chevaux de Napoléon — morts le long d'un col de montagne.
Ainsi, derrière les photos de vie se trouve déjà Stendhal.

séminaire 3 : Bernard Sève - Témoin de soi-même? Modalités du rapport à soi dans les Essais de Montaigne.

Je continue à ne noter que quelques pistes pour moi-même (des références, principalement) sans beaucoup me préoccuper des articulations logiques et vous renvoie à sejan pour une recension minutieuse et parfois plus qu'exhaustive.


20 janvier 2008

On a souvent dit que Les Essais avait une dimension picturale (faire son portrait, cf. D. Arasse).

Ici, une autre approche: Montaigne témoin de lui-même, dans sa force (les actes) et sa faiblesse (les cogitations informes)

Les Essais : oralité. Ils ont souvent été dictés => la vraie forme du témoignage.

Montaigne était magistrat: on remarque l'importance du style judiciaire et les traces de la procédure.
Pas de trame dans les témoignages déposés en justice: c'était interdit par le code de procédures. La parole était erratique par obligation.
rappelle (ou explique) le style judiciaire des Essais. Ajout de majuscules (correction de Montaigne sur les manuscrits) au milieu des phrases pour marquer des scanssions, marquer le rythme de la voix.

3 sortes d'historiens: ceux qui fournissent tout en vrac, ceux qui sont excellents, et entre les deux, ceux qui gâchent tout en en faisant trop.

20 janvier 2009 - Trois tentatives d'écritures personnelles contemporaines.

Le compte-rendu exhaustif est chez sejan.

  • Alain Robbe-Grillet. Le Miroir qui revient - paru en 1983

Pas le seul. Egalement Nathalie Sarraute dans Enfance, la même année.
Robbe-Grillet : a commencé Le Miroir qui revient en 1976, l'a abandonné, l'a repris en 1983. Entre les deux, il était devenu possible de tenir son journal. C'est une démarche plutôt étrange de la part d'un auteur qui se voulait contestataire. Pourquoi attendre que cela devienne possible?
Solution trouvée: réécrire le passé comme subversif. Donner une autre cohérence au Nouveau Roman: "je n'ai jamais parlé d'autre chose que de moi" déclare (à peu près) Robbe-Grillet. Les Gommes, La Jalousie, c'était déjà de l'écriture personnelle. => Le passé est réécrit pour le rendre cohérent avec le présent.

Clive James, romancier australien, dans l'incipit de Unreliable Memories : l'incipit annonce que les premiers romans sont souvent des autobiographies déguisées, ceci est un roman déguisé.

Préjugé de Robbe-Grillet (à propos de Stendhal): l'abondance et la rapidité, l'absence d'efforts sont synonyme d'absence de qualité.
Pour Robbe-Grillet, l'écriture falsifie l'existence par le canon romanesque qui suppose une sélection et une simplification. L'utilisation de l'imparfait, de l'adjectif, les liens de causes à conséquences sont autant d'interprétation, relèvent de l'idéologie de l'interprétation.
On retrouve ici les critiques de Valéry pour Pascal: trop beau pour être vrai.
cf. Benveniste : il y a deux temps, celui du discours et celui de l'histoire.

La vie racontée devient romanesque, "toute réalité est indescriptible" => procès des formes littéraires.
Il n'y a pas d'issue. Robbe-Grillet décide d'organiser des fables.

  • Roland Barthes par Roland Barthes : "Tout ceci doit être considéré comme dit."

Ce n'est pas la même tactique car l'ennemi n'est pas le même: l'ennemi, c'est le récit.
1968 : annonce de la mort de l'auteur
1971 : apparition des biographèmes dans S/Z et retour amical de l'auteur. L'auteur n'organise pas de cohérence forte, il organise ou met en scène le liens entre quelques détails ténus. Il y a pluralité de détails.

Georges Gusdorf, spécialiste de l'autobiographie, a été très dur pour RB par RB'': c'est une parodie d'autobiographie, une fuite, sans recherche de cohérence, sans récit. Il s'agit de fragments non sertis. Pas de récit (on pense à Proust qui a passé la fin de sa vie à sertir les passages qu'il avait déjà écrit.)

Fragments non sertis, pas de récit : c'est ce à quoi on assiste aujourd'hui.

  • Najda de Breton: pour la semaine prochaine. Apparition de la photographie comme élément central.

La Légende du grand Inquisiteur d'après Dostoïevski

Benoît Lepecq a décidé de mettre en scène le chapitre 5 du livre V des Frères Karamazov dans la traduction de Markowicz, aux éditions Actes Sud.

Le café se trouve à l'angle de la rue Jean-Pierre Timbaud et de la rue Saint-Maur, à deux pas de l'ancienne adresse de Matoo. Le spectacle est très discrètement annoncé. Renseignements pris, il faut attendre 18h45: à cette heure-là, Delphine nous installera.
A l'heure dite, nous descendons dans une cave qui me fait penser à la petite salle de la Maison de la poésie. J'aime beaucoup ces petites pièces qui permettent d'être très proches des acteurs, dans mon expérience elles n'admettent pas la médiocrité (c'était en tout cas ainsi à la Maison de la poésie: les spectacles de la petite salle était bien meilleurs que ceux de la grande).

Cave voûtée, pierre, bancs de bois recouverts de velours rose ou violet, quelques chaises, trente places peut-être. Nous nous répartissons stratégiquement dans la salle, le plus grand derrière.
Au sol courent des bougies pour former une croix.
A 19 heures les lumières s'éteignent. Un personnage entre sur la scène scène éclairée par les bougies, habillé simplement en pantalon et pull sombres et commence directement son monologue : «Sais-tu que j'ai composé un poème l'année dernière?» Et les phrases se déroulent, sans accroc, persuasives, inquiétantes, images de l'enfer, de l'oubli de Dieu, de la Vierge implorant le pardon des pêcheurs malgré le supplice de son Fils, images de bûchers, de la place de Séville, du Christ tranquille se promenant parmi les badauds («tous le reconnaissent»), du grand Inquisiteur.

Est-ce à ce moment que l'acteur enfile la robe écarlate de l'Inquisiteur? je ne sais plus exactement. L'acteur s'est retourné, chasuble, gants, cagoule, chapeau plat, c'est allé vite. J'observe l'ourlet de la robe, dangereusement proche du bas des bougies qui animent la robe de reflets. Le visage est dans l'ombre, inquiétant, seul les traits saillants accrochent la lumière. C'est sobre et efficace.

Jésus est en prison. Le texte a été transformé en monologue : «Tu me dis que…» Le grand Inquisiteur se fait de plus en plus inquiétant, sa voix change, devient plus profonde, s'enfle de colère. C'est réellement impressionnant.
La liberté, le pain, la bassesse, le diable dans la sainte Inquisition, et le doute: après tout, il en est peut-être ainsi. La cave perd de sa substance, rôde la présence de l'Absent. Quel texte étrange.


Benoît Lepecq joue cette pièce chaque dimanche jusqu'au 26 avril au Chat noir, 76 rue Jean-Pierre Timbaud.
Deux représentations supplémentaires sont prévus dans les Yvelines: le 2 février la Maison de la Poésie de Guyancourt à 20h et le 5 février à l'Institut Marcel Rivière de La Verrière (20h également).


PS : René Girard commente ce passage dans Critiques dans un souterrain.

Un train traverse la nuit

Oulipo jeudi soir. Queval et l'alexandrin de longueur variable.

Avouons que cette séance ne m'aurait été d'aucune utilité si Elisabeth n'avait expliqué:
«Tout l'art des alexandrins de longueur variable est de jouer sur les diérèses et les synérèses: Un té èr a i èn traverse la nu-it.»

Et de douze. C'est tout simple, en fait.

séminaire 2 : Franck Lestringant - Témoigner au siècle des Réformes : le témoin et le martyr

Ceci ne sont que des notes pour moi-même. Je vous renvoie à sejan pour une recension minutieuse.


13 janvier 2008

Agrippa d'Aubigné (protestant) : «Ce n'est pas la peine qui fait le martyr, c'est la cause.»

Toutes les victimes ne sont pas martyrs. On songe aux homosexuels qui se sont suicidés en silence. Avec Corydon, Gide espère écrire un témoignage qui sauvera des vies.

l'histor / le martus : l'historien / le martyr
- l'historien: celui qui a vu. Un œil qui écrit. Il pèse les deux parties, ajoute le passé au présent et se tourne vers l'avenir.
- le martyr : une vérité engagée.

François Hartog pense qu'à notre époque le témoin tend à prendre le pas sur l'historien.

13 janvier 2009 - La littérature doit être impersonnelle

Le compte-rendu exhaustif est chez sejan.

Blanchot: s'il y a de la vie, il n'y a pas d'œuvre. Ecrire la vie: une naïveté. La vie ne précède pas la littérature.
Le langage est le non-moi, ce qui ne coïncide pas avec le moi.
Blanchot après 1940: "absence d'être". «Je me nomme, c'est prononcer mon chant funèbre».
cf. Brunetière: la littérature est impersonnelle. Blanchot note à propos de Kafka: Kafka remarque dans son journal qu'il est entré en littérature dès qu'il a pu substituer le il au je.
Blanchot: «Celui qui ne fait rien de sa vie écrit qu'il ne fait rien et voilà donc quelque chose de fait.»

Pourquoi des gens comme Virginia Woolf ont tenu un journal? Parce que la littérature fait peur. On conserve un journal pour garder un contact avec soi.

Amiel dit: le journal, c'est la méditation du zéro sur lui-même.
Le journal est un piège. Il donne l'impression d'écrire et de vivre alors qu'en fait on n'a ni écrit ni vécu. Blanchot parle de "paresse ocuppée» dans Faux pas.

Il y a un manque de sincérité dans le journal. Ecrire je suis seul suppose déjà un lecteur. Pour Blanchot, la littérature à la première personne est un paradoxe. Valéry trouve les Pensées de Pascal trop belles dans les formes: l'auteur ment.
Valéry: «il ne faut pas confondre l'homme qui a fait l'ouvrage avec l'homme qu'elle fait supposer.

Alias de Maurice Sachs

Ce livre fait partie des livres cités dans L'Amour l'Automne. Je n'y ai trouvé aucune phrase qui puisse m'être utile dans mon identification des sources, mais je ne regrette pas ma lecture : c'est un livre drôle et grave, totalement invraisemblable et loufoque dans son ensemble mais juste localement. Les observations sont amusantes, fines et exactes, avec quelque chose de proustien (voir l'extrait ci-dessous) et tandis que le ton — l'humour — est celui du cliché, on n'y tombe jamais.
La fin du livre nous montre Alias (le héros) sur le point de devenir celui qu'il a rencontré au début du livre, dans cette temporalité circulaire toujours dérangeante.
Ce livre vite lu ne sera sans doute ni relu, ni oublié.
Même la personne la moins au fait de la psychologie humaine eût compris que Mme Charpon vivait un des plus doux moments de sa vie, qu'elle touchait enfin à sa victoire. Et le bonheur était en elle, ineffable, car il n'est de joie plus forte que celle de la revanche. Combien de grandes vies n'ont eu d'autres moteur! Et combien il y a peu de joies comparables à celles qu'on éprouve lorsque après une longue attente on atteint enfin à la situation à laquelle personne ne vous croyait plus capable d'atteindre. Il faut avoir entendu notre père dire: «Toi qui ne sais rien...» Notre employeur dire: «Vous qui n'arriverez jamais à rien...» Notre meilleur ami écouter avec un sourire las l'exposé de nos plus chers projets, il faut avoir vu des années sur tous les visages une amabilité non exempte de doute, une apparence de confiance mêlée toujours d'une profonde méfiance. Il faut avoir follement espéré l'impossible, accepté de savoir seul que l'impossible était possible encore pour comprendre toute la joie d'une revanche. Ô jeune poète dont on moquait dans ta province la poésie, mais qui vieillard as rapporté chez toi la Légion d'Honneur, ô fils d'épiciers qui es entré à l'Académie Française, on vous pardonne votre enfantin attachement à ces institutions périmées puisqu'elles sont votre revanche sur vos parents incrédules, sur vos voisins railleurs, et sur vos propres faiblesses, car si la revanche est douce en ce qu'elle venge d'autrui, elle est plus douce encore en ce qu'elle venge de soi-même.

Maurice Sachs, Alias, (1935), p.100-101 dans L'Imaginaire Gallimard.



Intérêt pour L'Amour l'Automne: les rimes autour de la sonorité "Sachs", l'entourage de Sachs (en particulier Max Jacob, nom générateur ou géminal), l'évocation du double avec ''Alias''.

Catcheur poilu



Jim Londos & Herbert Hoover par Miguel Covarrubias (grâce à Gunther).

(Je me souviens de discussion à l'hôtel du Bastard, Didier et Denis faisant l'anthologie des tableaux du XVIIe et XVIIIe siècle comportant des poils masculins... Nous en étions à l'armagnac (région oblige) et c'était très amusant.)

Des vœux, enfin

POESIE UTILITAIRE

Pour cheminer de concert, chers amis lecteurs,
le long de cette année, nous présentons ici,
avec nos vœux sincères, ce qui nous tient à cœur :
Idées pour décorer, trucs et astuces aussi,
Salon, salle à manger, salle de bains, entrée.
Il n'est jusqu'au garage qui ne sera cité.
Recettes pour embellir aussi le jardin, car
Dans le numéro suivant nous vous offrirons
En cette fin d'hiver, quatre pages sur l'art,
la façon de cultiver lys et potiron.
Après les cheminées, les sièges et les toitures,
Maisons et maisonnettes, stores, volets roulants
Après le fer forgé, papiers peints et serrures,
Il nous faudra enfin, pour « être dans le vent »,
Saluer la venue de nouveaux matériaux.
Osons-nous espérer qu'en cette année nouvelle
Nous vous verrons toujours plus nombreux et fidèles?
Plaisir de la Maison

Abraham Moles, Psychologie du kitsch, (1971) p.111


Et des résolutions.

Introduction au thème des séminaires : le témoignage

Je continue à ne noter que quelques pistes pour moi-même (des références, principalement) sans beaucoup me préoccuper des articulations logiques et vous renvoie à sejan pour une recension minutieuse et parfois plus qu'exhaustive.

6 janvier 2008

En l'absence d'intervenant, Antoine Compagnon a profité de la seconde heure pour introduire le thème des séminaires de cette année: les témoignages.

Le témoignage: ne pas se présenter comme un exemple, mais comme un exemplaire.[1].

Le témoignage transporte dans le temps et l'espace.
La problématique du témoignage est très bien expliquée dans les premières lignes de Journal d’un homme de quarante ans de Jean Guéhenno. (1934)
L'écriture du témoignage naît avec les tranchées de 14-18.

A la lecture d'un témoignage, il n'est pas possible pour le lecteur de faire la part entre le type (général, lieu commun) et le tic (idiosyncrasie, anecdote).

D'après Chateaubriand dans ltinéraire de Paris à Jérusalem, les qualités d'un témoignage sont la fidélité, la neutralité, l'exhaustivité.
Montaigne veut un témoin simple, pas trop instruit, afin d'éviter l'amplification, la littérature.

autopsie: voir par soi-même.
Elizabeth Loftus en 1979 a démontré la faiblesse des témoignages dans Eyewitness testimony.
Compagnon cite également Témoins de Jean Norton Cru, qui montre comment les mêmes mythes traversent les récits des poilus.

Notes

[1] Le témoignagne est donc pris ici comme le récit de personnes inconnues, n'ayant rien de remarquable, sans légitimité politique ou artistique qui expliquerait qu'elles écrivissent des mémoires.

6 janvier 2009 : faire de sa vie une œuvre

Je ne ferai pas de compte-rendu exhaustif cette année, mais un seul et même post repris de semaine en semaine reprenant les quelques idées et références que je pense pouvoir m'être utiles.
Pour quelque chose de complet, voir sejan.

Barthes n'a pas prononcé le 19 janvier 1980 les mots qu'il avait prévus de prononcer et que l'on trouve aujourd'hui dans la version publiée de son cours Préparation du roman.
Faire de sa vie une œuvre: Chateaubriand, Proust, Stendhal, Gide, Montaigne.
L'écriture n'est plus l'enregistrement de la vie qui passe, mais la transformation de la vie par l'écriture. Il s'agit d'écrire la mort.

Pourquoi Barthes n'a-t-il pas prononcé ces phrases? L'écriture biographique était alors très mal vue dans les milieux qui l'entouraient, à droite comme à gauche.
On accusait les écritures du Moi
- soit de trop raconter le Moi (abus. critique de droite. maître à penser: Julien Benda avec La littérature byzantine.)
- soit de ne pouvoir le faire (aporie. critique de gauche. maître à penser Maurice Blanchot)

Benda reprenait une réflexion de Brunetière dans un article paru dans La Revue des deux mondes, "L'écriture personnelle". Brunetière y démontrait que l'écriture personnelle s'attache à l'individu contre le général, à l'anecdote (le bizarre) contre le lieu commun.

Une troisième voie est offerte par Jean Paulhan qui dans Les fleurs de Tarbes propose de partir du lieu commun à la recherche de la littérature.

Un peu de cuistrerie : je prévois deux citations à venir, une de Barthes «Dès lors le but de tout ceci n'est-il pas de se donner le droit d'écrire un "journal"?» ("Roland Barthes par Roland Barthes", p.90) et une de Proust «[...] c'est ici que je [Odette] travaille» (sans d'ailleurs préciser si c'était à un tableau, peut-être à un livre, le goût d'en écrire commençait à en venir aux femmes qui aiment à faire quelque chose et à ne pas être inutiles)» (A l'ombre des jeunes filles en fleurs p 616, Pléiade T1).

Correspondance entre Gustave Flaubert et George Sand

29 décembre 2008

Cette correspondance est une sorte de miracle: qu'on ait retrouvé tant de lettres, qu'on les ait réunies, qu'elles soient si soigneusement annotées par Alphonse Jacobs que chaque événement prenne sens.
C'est superbe d'élan et de tendresse, cela provoque le regret intense qu'on écrive plus ainsi, franchement, intensément, en vidant son cœur sans coquetterie, sans s'excuser et sans timidité.
Ce qui se dit est d'une certaine façon toujours la même chose: la santé, la nature, les saisons, la famille, les pièces en train de s'écrire ou de se monter pour Sand, le travail, les recherches, les indignations et les colères pour Flaubert qui réclame de la Justice dans l'art, qui affirme que la cause de la Justice a perdu contre la doctrine de la Grâce, et que c'est ce qui pourrit la société française.
Et puis les morts, les morts.


A la dixième lettre échangée, Sand écrit déjà à Flaubert:

Apportez l'exemplaire [de Monsieur Sylvestre, de Sand]. Mettez-y toutes les critiques qui vous viennent. Ça me sera très bon, on devrait faire cela les uns pour les autres, comme nous faisions Balzac et moi. Ça ne fait pas qu'on se change l'un l'autre, au contraire, car en général on s'obstine davantage dans son moi. Mais en s'obstinant dans son moi, on le complète, on l'explique mieux, on le développe tout à fait, et c'est pour cela que l'amitié est bonne, même en littérature, où la première condition d'une valeur quelconque est d'être soi.

Sand à Flaubert, Correspondance p.64, édition Flammarion (1981)

On apprend des détails sur Sainte-Beuve, on découvre l'esprit voltairien de Flaubert, l'énergie de Sand et sa fatigue dès que sa santé flanche, on se dit qu'il faudrait lire le journal des Goncourt — sacrées langues de vipère.

5 janvier 2009

- Flaubert redoutable lecteur. J'en viens à le soupçonner de n'écrire que pour pouvoir lire. Nourri de classiques : «Voilà ce que c'est de ne pas avoir lu les classiques dans sa jeunesse! S'il [Alexandre Dumas fils] avait lu les maîtres avant d'avoir du poil au menton, il ne prendrait pas Dupanloup pour un homme fort...» (p.440)
- guerre de 1870 : rupture d'équilibre. assombrissement sans retour de Flaubert. Sand âgée.

F: la colère. la Justice. la Science. contre le suffrage universel, aussi bête mais moins odieux cependant que la monarchie. écrire pour quelques-uns, une poignée.
Instruire d'abord la classe éclairée, le reste suivra. Opinion curieusement camusienne: «Ce qu'il nous faut avant tout, c'est une aristocratie naturelle, c'est-à-dire légitime. On ne peut rien faire sans tête. [...] La masse, le nombre, est toujours idiot. [...] Tout le rêve de la démocratie est d'élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli! Il lit les mêmes journaux et a les mêmes passions.» (351)

S: la patience. la justice inséparable de l'amour. républicaine sans illusion sur les hommes. écrire pour les ignorants, pour ceux qui ne savent rien.

F: Donner son opinion sur ses personnages serait une faute de goût.

Sand explique d'un mot ce que je ressens à la lecture de Flaubert: désolation. («Toi à coup sûr, tu vas faire de la désolation et moi de la consolation.» p.511)
C'est aussi ce que je ressens désormais avec Proust. Après leur passage il ne reste plus rien, que des ruines.

7 janvier 2009

Le travail d'Alphonse Jacobs m'ayant rempli d'admiration par sa précision et son humilité, je songeais à lui écrire quelques mots: le nouvel an, c'est pratique, ça permet d'être indiscret.
Il est mort.
«En juillet 1985, quelques mois avant de disparaître, Alphonse Jacobs écrivit à Bruneau: "Ne me plains pas, hein. Je ne le fais pas moi-même. Je crois que ma vie a eu une certaine utilité. J'ai fait au moins une chose qui, je crois, restera."» (cité par Julian Barnes au moment de la mort de Jean Bruneau).

Jules Vallès-Homère, Sarkozy-Mme de La Fayette, même combat ?

octobre 1871. Flaubert écrit :

Les trois degrés de l'instruction ont donné leurs preuves depuis un an. 1° l'instruction supérieure a fait vaincre la Prusse; 2° l'instruction secondaire, bourgeoise, a produit les hommes du 4 septembre; 3° l'instruction primaire nous a donné la Commune. Son ministre de l'Instruction primaire était le grand Vallès, qui se vantait de mépriser Homère.


note de bas de page : La tirade de Jules Vallès contre «le vieil Homère» avait paru d'abord dans L'Evénement du 17 février 1866, et fut reproduite peu après dans son livre La Rue, sous le titre «L'Académie». Vallès y disait entre autres: «Ah! ils me fatiguent avec leur vieil Homère! [... et terminait] sa diatribe par ce cri devenu fameux: «Et toi, vieil Homère, aux Quinze-Vingts!»

Correspondance entre Sand et Flaubert, édition Flammarion, p.351

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