Benoît Lepecq a décidé de mettre en scène le chapitre 5 du livre V des Frères Karamazov dans la traduction de Markowicz, aux éditions Actes Sud.

Le café se trouve à l'angle de la rue Jean-Pierre Timbaud et de la rue Saint-Maur, à deux pas de l'ancienne adresse de Matoo. Le spectacle est très discrètement annoncé. Renseignements pris, il faut attendre 18h45: à cette heure-là, Delphine nous installera.
A l'heure dite, nous descendons dans une cave qui me fait penser à la petite salle de la Maison de la poésie. J'aime beaucoup ces petites pièces qui permettent d'être très proches des acteurs, dans mon expérience elles n'admettent pas la médiocrité (c'était en tout cas ainsi à la Maison de la poésie: les spectacles de la petite salle était bien meilleurs que ceux de la grande).

Cave voûtée, pierre, bancs de bois recouverts de velours rose ou violet, quelques chaises, trente places peut-être. Nous nous répartissons stratégiquement dans la salle, le plus grand derrière.
Au sol courent des bougies pour former une croix.
A 19 heures les lumières s'éteignent. Un personnage entre sur la scène scène éclairée par les bougies, habillé simplement en pantalon et pull sombres et commence directement son monologue : «Sais-tu que j'ai composé un poème l'année dernière?» Et les phrases se déroulent, sans accroc, persuasives, inquiétantes, images de l'enfer, de l'oubli de Dieu, de la Vierge implorant le pardon des pêcheurs malgré le supplice de son Fils, images de bûchers, de la place de Séville, du Christ tranquille se promenant parmi les badauds («tous le reconnaissent»), du grand Inquisiteur.

Est-ce à ce moment que l'acteur enfile la robe écarlate de l'Inquisiteur? je ne sais plus exactement. L'acteur s'est retourné, chasuble, gants, cagoule, chapeau plat, c'est allé vite. J'observe l'ourlet de la robe, dangereusement proche du bas des bougies qui animent la robe de reflets. Le visage est dans l'ombre, inquiétant, seul les traits saillants accrochent la lumière. C'est sobre et efficace.

Jésus est en prison. Le texte a été transformé en monologue : «Tu me dis que…» Le grand Inquisiteur se fait de plus en plus inquiétant, sa voix change, devient plus profonde, s'enfle de colère. C'est réellement impressionnant.
La liberté, le pain, la bassesse, le diable dans la sainte Inquisition, et le doute: après tout, il en est peut-être ainsi. La cave perd de sa substance, rôde la présence de l'Absent. Quel texte étrange.


Benoît Lepecq joue cette pièce chaque dimanche jusqu'au 26 avril au Chat noir, 76 rue Jean-Pierre Timbaud.
Deux représentations supplémentaires sont prévus dans les Yvelines: le 2 février la Maison de la Poésie de Guyancourt à 20h et le 5 février à l'Institut Marcel Rivière de La Verrière (20h également).


PS : René Girard commente ce passage dans Critiques dans un souterrain.