Le compte-rendu de sejan.

Quelle différence entre un témoin et un auteur de journal?

Dans Notre jeunesse, Charles Péguy a publié les archives de la famille fouriériste. C'est l'histoire d'une vie de tous les jours, la mise en scène de la mystique républicaine.

Le témoin apparaît dans les cas de danger ou d'urgence, en face d'une audience qui n'écoute pas. Il s'adresse aux survivants posthumes.

Les genres à la première personne prennent des formes très variés: journaux, autobiographies, etc. Parmi les mémoires, citons, Les Mémoires d'un révolutionnaire de Victor Serge et Mémoires de guerre de Charles de Gaulle.

Pourquoi les mémorialistes ont-ils perdu de leur importance aujourd'hui? On leur préfère le récit de survivants. Catherine Coquio a analysé ces récits, il s'agit du récit de survivants de catastrophe, dès la première guerre mondiale.

Les premiers témoignages ont pris la forme de mémoires, de Vies majuscules, depuis Commynes.
Cette tradition commence à glisser à partir de la Commune. Louise Michel appelle ses souvenir des mémoires, mais elle glisse déjà vers le témoignage. En effet, Louise Michel ne possède pas de statut social reconnu, elle raconte simplement une expérience marquante destinée à interpeller le lecteur; à la différence du mémorialiste qui possède une autorité préalable, qui jouit d'un statut et vise un consensus.
Les Vies majuscules s'opposent aux vies bouleversées, les autobiographies aux témoignages. Les deux modes ont agi sur les représentations d'une époque.

Les critères contemporains privilégient le témoin qui a souffert dans sa chair aux dépens du mémorialiste qui a une position sociale.

exemple d'un mémorialiste: De Gaulle

De Gaulle a assumé la plus haute fonction que peut s'assigner un mémorialiste. Son parcours de vie donne sens à l'histoire et vice-versa: dans ses mémoires, il va superposer son histoire à celle de son pays. Son parcours de vie est exemplaire (a valeur d'exemple) par sa représentativité historique et la rectitude politique de l'homme.

Raymond Aron a dit que la grande guerre manquait de héros (d'individus). De Gaulle, la vie de de Gaulle, donne sens à l'histoire du pays. De Gaulle va opérer une reconstitution en trois temps: - la trangression et la chute (l'appel)
- la lente recherche de l'unité
- le salut
Ses trois temps sont organisés dans le sens d'une dynamique.

Les Mémoires racontent le mémorable: le désastre national, la vacance du pouvoir;
le témoignage raconte la catastrophe: il est porteur d'une vérité beaucoup plus fragile, dépouillé de tout.

De Gaulle est un mémorialiste singulier: il va prétendre être tout quand il n'est rien, il va s'inscrire dans un cadre national, dans une ambition nationale. La mort, les morts, ne sont considérés que comme des dommages collatéraux. Même la persécution des juifs n'est jamais envisagée dans sa singularité.
Pour De Gaulle, il s'agit de préparer la réconciliation. Il remonte d'ailleurs à Agrippa d'Aubigné. Il s'agit de suturer les divisions.

On peut songer à d'autres mémorialistes: Simone de Beauvoir (La Force des choses), Malraux en 1943, Hélie de Saint Marc, Elie Wiesel,...

un cas particulier: Victor Serge

Victor Serge présente un cas intermédiaire entre la vie bouleversée et la Vie majuscule.
On trouve dans Mémoires d'un révolutionnaire tout ce qu'on trouve dans des mémoires. Mais Serge décrit d'autre part la violence des systèmes politiques, son regard a été aiguisé par le système politique. Il analyse très tôt le génocide des juifs.
Toute personne nommée dans son texte sera mise en danger, et lui-même sera en danger de mort jusqu'à la fin. Il s'agit d'un récit nécro-historique, appartenant au "régime obituaire" (cf. Mémoires d'Outre-tombe).

Le mémorialiste est un témoin impliqué, et pour cela on s'en méfie aujourd'hui. Il endosse une posture de réserve en cas de drame national.
Les historiens lui préfèrent aujourd'hui les journaux intimes, les lettres. On préfère les témoins, nous vivons à l'âge du patrimoine.