La faim

Assis sur le parapet de pierre à pic sur la mer, des enfants en haillons chantaient, les yeux au ciel, la tête légèrement inclinée sur l'épaule. Ils avaient le visage émacié et pâle, les yeux aveuglés par la faim. Ils chantaient comme chantent les aveugles, la tête renversée, les yeux tournés vers le ciel. La faim humaine a une voix merveilleusement douce et pure. Il n'y a rien d'humain dans la voix de la faim. C'est une voix qui naît d'une zone mystérieuse de la nature de l'homme, où prend racine ce sens profond de la vie qui est la vie elle-même, notre vie la plus secrète et la plus vivante. L'air était limpide, et doux aux lèvres. Une légère brise embaumant l'algue et le sel montait de la mer, le cri plaintif des mouettes faisait frissonner le reflet de la lune sur les flots, là-bas, au fond de l'horizon, le pâle spectre du Vésuve se noyait lentement dans la brume argentée de la nuit. Le chant des enfants faisait plus pur et plus abstrait ce paysage inhumain et cruel, si étranger à la faim et au désespoir des hommes.

Curzio Malaparte, La Peau, p.50 (2008)

Parler français

(Jack parlait toujours français avec moi. Aussitôt après le débarquement des Alliés à Salerne, j'avais été nommé officier de liaison entre le Corps Italien de la Libération et le grand Quartier général de la Peninsule Base Section, et Jack, le colonel Jack Hamilton, m'avait tout de suite demandé si je parlais français. Et quand je lui avais répondu: «Oui, mon Colonel», il avait rougi de joie. « Vous savez, me dit-il, il fait bon de parler français. Le français est une langue très, très respectable. C'est très bon pour la santé.»)

Curzio Malaparte, La Peau, p.38 (Denoël 2008)

Le cadavre d'un Noir

Même si, de son vivant, le nègre n'était en Amérique qu'un cireur de bottes à Harlem, un chauffeur de locomotives, une fois mort il encombre presque autant de terrain que les grands, les splendides cadavres des héros d'Homère. Cela me faisait plaisir, au fond, de penser que le cadavre d'un nègre occupait presque autant de terrain qu'Achille mort, qu'Ajax mort, qu'Hector mort.

Curzio Malaparte, La Peau, p.33 (Denoël 2008)

La maison de tante Léonie (suite)

Un nouvel article d’Ariel Schwarz a paru dans l’Echo républicain du mardi 24 novembre:

[…] Un appel entendu. D'abord par le conseil général d’Eure-et-Loir. Vendredi 13 novembre, Wilfried Veerna, directeur du cabinet du président, s’était clairement positionné. […]
Une posture du représentant du département à laquelle s’ajoute désormais celle du préfet d’Eure-et-Loir, Jean-Jacques Brot. Vendredi, il a indiqué que «l’Etat ne saurait se désintéresser de quoi que ce soit et en particulier du lieu où Proust vécut et dont il s’est inspiré dans son œuvre. Nous avons un devoir absolu d’agir. Un devoir professionnel mais aussi moral.» Et de révéler qu’«avec madame Naturel nous nous sommes dit qu’il était souhaitable d’élargir un tour de table à tous ceux qui peuvent être concernés par l’avenir de ce lieu prestigieux.»
Le préfet plaide pour qu’aux cotés des représentants de la Société des amis de Marcel Proust, du conseil général, de la municipalité islérienne et «pourquoi pas de la communauté de communes» prennent place des représentants de la préfecture, de la direction régionale des affaires culturelles et du conseil régional de la région Centre.
Pour «redonner de la “fraîcheur”, et ce terme n’est pas péjoratif dans ma bouche, à ce lieu qui draine des proustiens du monde entier». Jean-Jacques Brot se retrouve dans «le projet culturel et touristique du conseil général». Cependant pour faire émerger «des idées» et «dégager des moyens», il estime qu’un «calendrier de travail doit être établi». Si, à l’heure actuelle, «aucune date n’a été fixée, je souhaite que cette première table ronde ait lieu en janvier ou au plus tard en février».
Autre désir du représentant de l’Etat: «Que les participants se réunissent dans la maison de tante Léonie.» Ce vœu, le préfet l’a justifiée en soutenant que «travailler dans ce lieu stimulera les bonnes volontés».


Cet article était accompagné d’un encadré:
Le conseil d’administration de la Société des amis de Marcel Proust s’est réuni lundi 16 novembre. Une assemblée au cours de laquelle le conseil a approuvé l’idée d’une table ronde «centrée sur l’avenir du musée», a révélé vendredi Mireille Naturel, secrétaire générale. Par ailleurs, le musée a été approché par plusieurs personnalités qui, comme mécènes, seraient disposées à aider l’établissement. Tel pourrait être le dessein du ministre des Finances du gouvernement égyptien, Youssef Boutrous-Ghali. En effet, jeudi, le musée a été approché par l’un des attachés d’ambassade de la représentation égyptienne à Paris. Enfin, une sénatrice du Rhône, native d’Illiers, se serait également préoccupée par la situation de l’établissement.
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