L'enfant Jésus de Prague

« Prague n’est pas seulement la cité de Jan Hus, elle est celle de saint Jean Nepomucène et de saint Wenceslas, celle que couvre de son ombre la cathédrale du Hradschin. Et elle est surtout celle de l’Enfant Jésus, qui la couvre de sa protection. »

Poème de Paul Claudel rédigé en octobre 1911 et paru dans Le Figaro en mai 1938.
Il neige.
Le grand monde est mort sans doute. C’est décembre.
Mais qu’il fait bon, mon Dieu, dans la petite chambre !
La cheminée emplie de charbons rougeoyants
Colore le plafond d’un reflet somnolent,
Et l’on n’entend que l’eau qui bout à petit bruit.
Là-haut sur l’étagère, au-dessus des deux lits,
Sous son globe de verre, couronne en tête,
L’une des mains tenant le monde, l’autre prête
À couvrir ces petits qui se confient à elle,
Tout aimable dans sa grande robe solennelle
Et magnifique sous cet énorme chapeau jaune,
L’Enfant Jésus de Prague règne et trône.
Il est tout seul devant le foyer qui l’éclaire
Comme l’hostie cachée au fond du sanctuaire,
L’Enfant-Dieu jusqu’au jour garde ses petits frères.
Inentendue comme le souffle qui s’exhale,
L’existence éternelle emplit la chambre, égale
À toutes ces pauvres choses innocentes et naïves !
Quand il est avec nous, nul mal ne nous arrive.
On peut dormir, Jésus, notre frère, est ici.
Il est à nous, et toutes ces bonnes choses aussi :
La poupée merveilleuse, et le cheval de bois,
Et le mouton sont là, dans ce coin tous les trois.
Et nous dormons, mais toutes ces bonnes choses sont à nous !
Les rideaux sont tirés… Là-bas, on ne sait où,
Dans la neige et la nuit sonne une espèce d’heure.
L’enfant dans son lit chaud comprend avec bonheur
Qu’il dort et que quelqu’un qui l’aime bien est là,
S’agite un peu, murmure vaguement, sort le bras,
Essaye de se réveiller et ne peut pas.

Paul Claudel, Images saintes en Bohême

L'ombre et le double

Le narrateur a un frère siamois. Il raconte ses réflexions d'enfant à la vue d'un petit garçon sans double.
He [a child of seven or eight] cast a short blue shadow of the ground, and so did I, but in addition to that sketchy, and flat, and unstable companion which he and I owed to the sun and wich vanished in dull weather, I possessed yet another shadow, a palpable reflection of my corporal self, that I always had by me, at my left side, whereas my visitor had somehow manage to lose his, or had unhooked it and left it at home.

Vladimir Nabokov, "Scenes from the life of a Double Monster", in Nabokov's Dozen

Pas de Littérature sans Morale du langage

Ce qu'on veut ici, c'est esquisser cette liaison; c'est affirmer l'existence d'une réalité formelle indépendante de la langue et du style; c'est essayer de montrer que cette troisième dimension de la Forme attache elle aussi, non sans un tragique supplémentaire, l'écrivain à sa société; c'est enfin faire sentir qu'il n'y a pas de Littérature sans une Morale du langage.

Roland Barthes, fin de la préface au Degré zéro de l'écriture

La rose

I saw a rose in a glass on the table — the sugar pink of its obvious beauty, the parasitic air bubbles clinging to its stem. Her two spare dresses were gone, her comb was gone, her chequered coat was gone, and so was the mauve hair-band with a mauve bow that had been her hat. Ther was no note pinned to the pillow, nothing at all in the room to enlighten me, for of course the rose was merely what French rhymsters call ''une cheville''.

Vladimir Nabokov, "That in Aleppo once…", in Nabokov's Dozen
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