Fardeau

Si j'étais un roi du Moyen-Âge (et rien ne dit que je ne le sois pas), je ferais construire une cathédrale, où l'on me verrait, au portail sud, portant cet édifice entre les bras, un peu embarrassé par le paquet.

Renaud Camus, Retour à Canossa, p.127

L'inégalité sexuelle

Houellebecq relève avec insistance la profonde inégalité sexuelle, non pas l'inégalité entre les deux sexes, mais l'inégalité terrible des individus devant le plaisir et l'amour, dont personne ne parle jamais, alors que chacun l'éprouve quotidiennement.

Renaud Camus, Retour à Canossa, p.48

L'attente

L'attente est signe de sa propre déception. Si j'attends si fort c'est parce que je sais déjà que rien ne viendra. L'attente crée le silence qui la fonde, et bientôt va l'exaspérer. Ce sont les hommes et les femmes qui n'attendent rien, qu'on appelle.

Renaud Camus, Retour à Canossa, p.95

Saint-Ex

Son mari n'a vu qu'une fois l'illustre cousin. C'était en 1939, à Toulouse. Antoine de Saint-Exupéry était déjà couvert de gloire, mais en même temps il sentait le soufre, politiquement. Par exemple il avait couvert la guerre d'Espagne ''du côté des républicains'', ce qui paraissait tout à fait inconcevable au père de notre commensal.

Ce dernier avait cinq ou six ans, à l'époque. Il possédait un petit avion de bois, un jouet qui ce jour-là s'est écrasé à terre et brisé. Le cousin Antoine a dit: «C'est ce qui s'appelle un accident.» C'est la seule phrase de lui dont se souvienne à présent le petit garçon de l'époque.

Renaud Camus, Retour à Canossa, p.93

Belles-Epaules

J'ai sous le nez ses spectaculaires épaules en trois temps — six temps, sans compter la nuque : bing, bing, bing, schlorpp, bing, bing, bing.

Renaud Camus, Hommage au Carré, p.462

Immigration et sans papiers

Qu'est-ce que ce sujet vient faire ici? Il s'agit pour moi d'affirmer mes convictions face aux positions de Renaud Camus, bien sûr, mais surtout (parce qu'après tout ils sont plus nombreux...) devant ses lecteurs et divers sympathisants politiques (qui sont loin de tous l'avoir lu).

En mars dernier, j'ai été frappée par une remarque de Patrick Cardon [1] qui observait qu'il existait autrefois une forme de tourisme sexuel de pères de famille (comprendre: de pères de famille venant se prostituer dans les ports de Marseille et autres) qui traversaient la Méditerranée quelques semaines pour gagner un peu d'argent discrètement puis rentraient au pays.
Aujourd'hui, s'ils sont parvenus à entrer en France, ils y restent, de peur de ne pas y réussir une seconde fois.
Il y a quelques temps (un an, deux ans?), les premières enquêtes menées en Angleterre montraient que beaucoup d'immigrés d'Europe de l'Est étaient finalement retournés chez eux après cinq ans. (Il y a cinquante ans, sans la Guerre froide, la plupart des immigrés d'Europe orientale seraient rentrés chez eux.)
En résumé, la rigidité du système favorise les installations définitives.[2]

Je suis favorable à la disparition des "sans papiers": que toute personne entrant en France ait un permis de séjour légal, qui lui permette de porter plainte en cas d'esclavage par des patrons iniques ou en cas de violences familiales ou que sais-je encore. Il s'agirait de réduire la zone de non-droit qui s'établit autour d'eux, cette zone d'ombre qui permet des exploitations honteuses.

En contrepartie, il devrait être beaucoup plus difficile d'obtenir la nationalité française. Puisque tous les étrangers auraient une existence légale, il n'y aurait aucune urgence à leur accorder la naturalisation. Dans cette logique, il deviendrait beaucoup plus simple, sans atteinte au sens commun, d'expulser ceux qui ne respecteraient pas les lois.
Reste le cas des enfants nés sur le territoire français. Pour eux je n'ai pas vraiment d'opinion, mais là encore, dans la mesure où ils peuvent être scolarisés gratuitement comme n'importe quel enfant français et qu'ils sont couverts par la Sécurité sociale de leurs parents, il n'y a pas d'urgence à leur donner la nationalité française.
J'aimais bien le fait qu'ils aient dû un moment la demander, poser un acte qui les engageait, je ne sais pas pourquoi cette règle ou loi a été abolie (je n'ai pas fait de recherches, la CJUE (ex-CJCE) est-elle intervenue? De même, qu'on me pardonne (et m'explique) les éventuelles impossibilités juridiques que pourrait comporter mon billet.)

Bien évidemment, une telle mesure aurait d'abord pour conséquence un afflux d'immigrés sans qu'en sens inverse il n'y ait de départs (ou retours): il faudrait le temps (plusieurs années, un ou deux changements de gouvernement) que les gens croient que cette loi ne serait pas changée dans les mois ou années à venir, qu'ils pouvaient retourner chez eux l'esprit tranquille, qu'ils pourraient revenir plus tard s'ils changeaient (encore!) d'avis.
C'est un peu comme la libéralisation des prix en 1986: l'idée était paradoxale, puisqu'il s'agissait de lutter contre l'inflation (la hausse des prix) en laissant chacun libre de les fixer.

Notes

[1] auteur de Tous les garçons s'appellent Ali, que je bloguerai un de ces jours.

[2] Les études montrent que paradoxalement, c'est la fermeture des frontières par Valéry Giscard d'Estaing en juillet 1974 qui a provoqué l'immigration telle que nous la connaissons aujourd'hui, le rapprochement familial devenant la façon simple de venir en France.

Flora Tristan

Et elle avait une meilleure raison d'être de mauvaise humeur: elle mourait.

Renaud Camus, Journal d'un voyage en France, p.476

Les intellectuels (tentative de définition)

Au sens strict, un «intellectuel» est un individu qui emploie sa culture et son intelligence à rendre le monde où il vit un peu plus intelligible et par conséquent un peu plus maîtrisable. Cela suppose donc que chaque fois qu'il défend une idée, c'est parce qu'elle a des vertus éclairantes et non parce qu'elle renforce son sentiment d'appartenance à une tribu quelconque (ethnique, nationale, religieuse, politique, associative, etc.) Comme il s'agit là d'une espèce désormais peu fréquente (ou qui, en tout cas, vit, selon le mot de Breton, «à l'abri des honneurs et loin du bruit»), j'ai préféré dans les lignes qui suivent, m'en tenir essentiellement à l'usage orwellien du terme. On désigne alors par «intellectuels» non seulement les différents idéologues au sens étroit du terme, mais, d'une façon plus générale, ces fractions des nouvelles classes moyennes qui, sous différentes formes, sont préposées à l'encadrement technique, politique et culturel du capitalisme développé. Spécialisés dans la manipulation des langage et des images (d'où, selon Orwell, leur «pauvreté émotionnelle» cf. The Lion and the Unicorn), les intellectuels, ainsi définis, concourent de façon évidemment privilégiée à la fabrication de «l'air du temps.»

Jean-Claude Michéa, Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, Climats (2010), p.32
Ce petit livre est une sorte de commentaire autour et à partir du livre d'Eduardo Galeano (dont j'apprends qu'il figurait «sur la liste des exilés uruguayens condamnés à mort par la Junte militaire argentine» (p.35)).

Je me demande de quelle façon cette seconde définition des intellectuels recoupe la catégorie des bobos et celle des professeurs socialistes (ces deux-là ne se recoupant pas, nous sommes bien d'accord. Mais puisqu'il s'agit de nuancer précisément entre des catégories floues…)

Sensibilité et bienveillance

L'ironie de l'histoire, c'est que cette incapacité viscérale des intellectuels à comprendre de l'intérieur une passion populaire (avec ce que celle-ci comporte, par nature, d'excès toujours possibles et de théâtralité nécessaire) est précisément ce qui leur interdit de critiquer avec toute la radicalité requise les monstrueuses dérives du football contemporain. Ici, comme du reste dans bien d'autres domaines, le manque de sensibilité et, plus encore, de bienveillance (qualités qui définissent, selon Orwell, la «common decency»), s'apparente tout simplement à une véritable erreur méthodologique. Qu'on imagine, par exemple, un individu, entièrement dépourvu de sens poétique: quels que soit par ailleurs son intelligence et son sens de l'observation, il est clair qu'il aura le plus grand mal à apprécier exactement la profondeur du mouvement par lequel l'Economie régnante en vient, peu à peu, à imposer des manières de parler (notamment dans la jeunesse, sa cible privilégiée, à tous les sens du terme) où toutes les fonctions critiques du langage ont été neutralisées. De la même manière, celui qui ne parvient pas à ressentir avec son corps et son intelligence, la voluptueuse inutilité du sport (lequel, notait encore Lasch, satisfait «l'exubérance que nous gardons de notre enfance» et entretient le plaisir «d'affronter des difficultés sans conséquence») ne parviendra pas non plus à saisir l'étendue réelle de sa mutilation présente, ni l'ampleur des nuisances qui menacent son avenir.

Jean-Claude Michéa, Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, Climats (2010), p.17-18
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