Claude Mauriac cite Le Paysan parvenu de Marivaux :
Quoi qu'il en soit, la conversation entre un vieil officier cultivé et un jeune auteur, telle que nous la fait entendre Marivaux dans cette voiture qui va à Versailles, pourrait se produire, aujourd'hui, encore, entre deux intellectuels d'âges et de formations différents, l'un tenant pour les auteurs rassurants dont il a l'habitude, l'autre pour les recherches nouvelles:

— En vérité, Monsieur, reprit le militaire, je ne sais que vous en dire, je ne suis guère en état d'en juger, ce n'est pas un livre fait pour moi, je suis trop vieux.
— Comment, trop vieux ! reprit le jeune homme.
— Oui, dit l'autre, je crois que dans une grande jeunesse on peut avoir du plaisir à le lire. (…) D'ailleurs je n'ai point vu le dessein de votre livre, je ne sais à quoi il tend, ni quel en est le but. On dirait que vous ne vous êtes pas donné la peine de chercher les idées, mais que vous avez pris seulement toutes les imaginations qui vous sont venues, ce qui est différent: dans le premier cas, on travaille, on rejette, on choisit; dans le second, on prend ce qui se présente, quelque étrange qu'il soit, et il se présente toujours quelque chose; car je pense que l'esprit fournit toujours bien ou mal.


Dernière phrase où apparaît virtuellement la découverte par Diderot, par Dujardin puis par Joyce, du monologue intérieur…

Claude Mauriac, Le Temps immobile, p.184-185 (19 juin 1970)
C'est étrange, j'aurais plutôt pensé l'inverse : qu'il faut avoir beaucoup lu pour être capable de chercher et apprécier la nouveauté, et que la "grande jeunesse" préfère les récits classiques, structurés. Elle s'impatiente dès qu'elle ne comprend pas, dès qu'elle est mise en difficulté. Il lui manque la patience de la lecture confiante.