L'ordre des chevaliers Teutoniques, dont Frédéric II aimait à faire remonter la fondation aux Hohenstaufen qui l'avaient précédé, voire à Barberousse, afin d'accroître son prestige, mais qu'il revendiquait aussi comme sa création personnelle, fut effectivement son oeuvre et celle de l'illustre grand maître de la confrérie, Hermann von Salza. Celui-ci séjourna plus de vingt ans à la cour de Frédéric II, où il fut son plus proche conseiller et son confident le plus intime à cause non seulement de sa fonction de grand maître, mais aussi de ses hautes qualités personnelles qui le rendirent indispensable à Frédéric en d'innombrables occasions. Hermann von Salza était vraisemblablement natif de Thuringe, et quelque chose de la nature d'un enfant de la Thuringe s'exprime dans tout son caractère. Il n'était pas vif et prompt mais plutôt pondéré et réfléchi et toute son action fut caractérisée par la loyauté sans défaillance, la rectitude et la virilité qui distinguaient aussi son ordre. On a loué tout particulièrement sa fidélité, qui fut en effet chez lui non seulement une qualité mais une force positive qui le poussait à l'action comme, depuis des temps immémoriaux, ce ne fut en général possible que chez les Allemands. Et c'est précisément cette fidélité qui a conféré quelque chose de presque tragique à l'illustre grand maître de l'ordre Teutonique. Car Hermann Salza avait deux maîtres: il avait prêté serment de fidélité au pape aussi bien qu'à l'empereur et tout conflit entre ces deux puissances l'exposait à une tension quasi insupportable. Ainsi ce fut par souci de garder sa foi à ses deux maîtres que, plus tard, il fera à d'innombrables reprises, des allées et venues précipitées entre la Curie et la cour impériale afin de préserver ou de rétablir la paix. Agir pour l'honneur de l'Eglise et de l'Empire, telle fut la tâche qu'il a lui-même désignée comme étant celle de sa vie. Aussi semble-t-il que le grand maître n'eut plus la force de vivre à l'instant où la rupture entre les deux puissances devint irrémédiable. Le Jeudi saint 1239, jour où le pape prononça l'irrévocable excommunication de Frédéric II, fut aussi celui de la mort de Hermann von Salza.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.92