A quoi tiennent les choses

Platon, on le sait, fut, à l'issue de son premier voyage en Sicile, arrêté et vendu sur le marché d'Égine: s'il n'avait pas été racheté et libéré par un homme de Cyrène, c'en était fait du platonisme.

Jacqueline de Romilly, La Grèce antique à la découverte de la liberté, p.29 (éditions de Fallois, 1989)

Le conclave de la honte

Immédiatement après la mort du pape, Mathieu Orsini fit saisir les cardinaux par des hommes de garde qui les traînèrent au lieu du scrutin, "comme des voleurs dans un cachot". Les brutalités commencèrent aussitôt: les cardinaux furent poussés à coups de pied et à coups de poings. Un cardinal, déjà perclus, fut jeté à terre et traîné par sa longue chevelure blanche sur les pierres pointues des rues étroites, si bien qu'il arriva tout en sang dans le local de délibération, dont les portes se fermèrent alors sur lui pour longtemps. Comme lors d'élections pontificales précédentes, le lieu du scrutin lui-même se trouvait sur le Palatin, dans ce qu'on appelait le Septizonium de Septime Sévère. C'était jadis un édifice monumental avec des nymphées agrémentés de fontaines et de jets d'eau; à l'époque présente c'était une ruine en forme de tour qui, tout récemment encore, avait particulièrement souffert des tremblements de terre. Les dix cardinaux n'y disposaient que d'une pièce, abstraction faite d'une niche latérale. Les hommes d'armes tenaient les prélats dans un isolement tellement strict que leur séjour ressemblait plutôt à un emprisonnement. En dépit de fortes gratifications, distribuées aux soldats pour les soudoyer et acceptées par eux, ni les serviteurs ni les médecins, qui ne tardèrent pas à devenir très nécessaires, ne furent autorisés à pénétrer chez les cardinaux. Toute la construction était délabrée et, à travers les fentes du plafond, c'était moins la pluie qui coulait goutte à goutte qu'un infect purin, car les gardes qui dormaient au-dessus de la salle du conclave utilisaient, par manière de plaisanterie, le plancher endommagé comme latrines. Au moyen de tentes improvisées, les cardinaux gardaient passablement propre et au sec l'endroit où ils dormaient, mais, sans vouloir ici entrer dans les détails, la puanteur qui régnait dans le local du conclave, outre la chaleur favorable aux fièvres du mois d'août romain, les brimades infligées par les hommes d'armes eurent en peu de temps pour résultat que, des dix cardinaux, presque tous tombèrent gravement malades et que trois d'entre eux moururent des suites de leur internement.

Jusque-là, les calculs du sénateur étaient justes: les cardinaux étaient désireux de se mettre d'accord aussi vite que possible sur la personne du nouveau pape afin de quitter ce local infernal. Mais les difficultés étaient extraordinairement grandes car le parti de la paix, numériquement le plus fort, ne réussissait pas à attirer de son côté un partisan du parti de la guerre, faible mais violent, ce qui empêchait d'obtenir la majorité des deux tiers. La conséquence fut une élection dédoublée: cinq cardinaux du parti de la paix avaient donné leurs voix à un sixième, le Milanais Godefroy de Sabina, alors que ceux du parti adverse avaient élu à trois le cardinal Romanus de Porto, particulièrement haï de l'empereur.

C'est alors que Frédéric II intervint. Remettant en vigueur d'anciens droits impériaux dans le cas d'élection dédoublée, il rejeta Romanus de Porto et approuva le choix de Godefroy. Peut-être les cardinaux du parti de la paix eussent-ils réussi à obtenir finalement la seule voix qui lui manquait, mais voilà que mourut dans le conclave l'un des leurs, l'Anglais Robert de Somercote, dans des circonstances abominables, comme on peut l'imaginer. Encore vivant, il fut jeté dans le coin des morts par les soldats qui lui chantèrent des parodies satiriques de chants funèbres, crachèrent sur lui et le laissèrent sans soins et sans les secours de la religion. Bien plus, lorsque les purgatifs qu'il avait pris commencèrent à faire leur effet, le cardinal mourant fut traîné sur le toit du Septizonium où, en présence de la Ville éternelle, il dut, sous tous les regards, accomplir ses derniers besoins.

La mort de l'Anglais rendit à nouveau impossible une majorité des deux tiers et l'on finit par se mettre d'accord sur un cardinal extérieur au conclave. Mais le sénateur Mathieu Orsini protesta aussi contre ce choix. Il voulait montrer aussitôt au peuple le pape couronné. Il se mit à vocéférer et à jurer terriblement en menaçant que, si le choix ne se portait pas bientôt sur l'un des présents, il ferait exhumer et placer dans la salle du conclave le cadavre du pape Grégoire afin que les cardinaux, d'ailleurs à demi morts, périssent sous l'effet de l'odeur de décomposition. En outre, à l'extérieur du conclave, il massacrerait en ville les tenants du parti impérial en se faisant précéder de la croix. Compte tenu des événements précédents, les cardinaux ne pouvaient pas douter de la véracité de cette menace, aussi se mirent ils enfin d'accord, après un conclave de deux mois, sur le Milanais Godefroy, qui agréait également à l'empereur. L'élu monta sur le trône pontifical sous le nom de Célestin IV.

On ne sait si l'on mit dans la personne de Célestin autant d'espoir qu'en suscita plus tard le pieux ermite, Petrus Murrone, qui, sous le nom de Célestin V, précéda  le puissant Boniface, vers la fin du siècle. Car, en la personne de Petrus Murrone, qui, animé de l'esprit franciscain le plus strict, était si dévôt qu'il réussit sous les yeux du pape à suspendre à un rayon de soleil son froc usé jusqu'à la corde, le monde avait salué le "pape angélique" promis depuis Joachim de Flore, ce pape qui, par pauvreté et renoncement, devait apporter la rédemption au monde et renouveler l'Eglise primitive. Mais les espoirs qu'on avait mis en Célestin V furent déçus: il abdiqua en effet peu de mois après son élection, et Dante devait maudire sa tiédeur:
Che fece per viltate il grand refuto…

Quant à Célestin IV, que "Dieu avait fait descendre de la céleste table", comme Frédéric II l'écrivit plus tard, il mourut au dix-septième jour de son pontificat, avant même d'avoir été consacré. Il était tombé malade au conclave et son seul acte consista à tenter, en vain, d'excommunier le sénateur Mathieu Orsini.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.519-521

Le dernier tour de Grégoire IX

C'est au moment précis où l'empereur allait porter le dernier coup que lui parvint la nouvelle de la mort du pape Grégoire IX à Rome. Pour la seconde fois, le pape venait d'arracher au Hohenstaufen exécré une victoire certaine sur Rome. Frédéric II devant Rome avait encore frappé dans le vide: le trépas était le dernier mauvais tour joué à l'empereur par le pape Grégoire.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.504

La sculpture

Cet art nouveau était assurément extrêmement suspect à l'Eglise, et, dans le camp des partisans du pape, cette réticence prit la dimention d'une véritable aberration qui les conduisit à accuser les Gibelins de pratiquer le culte des idoles et des images. Dante lui-même ne fut pas épargné: on racontait qu'il avait brûlé de l'encens devant des figures de cire. Quoi qu'il en soit, l'Eglise devait considérer comme une mélagomanie sans nom le fait qu'un empereur qui niait l'immortalité universelle de l'âme fit sculpter dans la pierre le corps périssable "en souvenir éternel". "Frédéric s'aroge le droit de changer les lois et le temps", c'est ce qu'on disait du "transformateur du monde" chez les partisans du pape.

La sculpture sicilienne eût été impensable sans la glorification du souverain et juge de l'univers. Elle se l'était même tellement fixée pour tâche que, abstraction faite d'un petit nombre de productions tardives où ses résonnances sont encore perceptibles, l'art monumental antiquisant s'éteignit avec Frédéric II. Après cette première résurrection de l'Antiquité, qui avait son origine dans l'Etat — car seule l'Antiquité fournissait un modèle permettant de célébrer l'Etat — la "réaction gothique" se fit sentir partout lorsque disparurent les Hohenstaufen.

Durant de nombreuses décennies, il n'y eut pas, dans le domaine séculier et profane, nécessité, et partant, possibilité d'honorer comme un personnage divin un autre homme dans le domaine artistique: le Hohenstaufen avait été le seul à inspirer cet hommage. L'individu en tant que tel n'était pas encore considéré comme suffisamment important et, sans l'empereur, seul à constituer "un être qui n'est pas une partie d'un autre être", il manquait le souffle vivifiant. En l'absence d'un gouverneur du monde, le goût de l'architecture et de la statuaire disparut. La splendeur éclatante qui s'était allumée comme un brasier dans le sud de l'Italie au temps de Frédéric II déclina avec lui pour s'éteindre comme une fantasmagorie luciférienne aussi terrifiante que séduisante.

Il n'est pas moins miraculeux que Frédéric II ait, en général, trouvé les artistes capables de produires des œuvres aussi parfaites pour des commandes aussi inhabituelles. Les travaux de l'école impériale de sculpture et surtout la ronde-bosse atteignirent en effet des sommets que l'art italien ne devait pas retrouver. L'étonnant est que Frédéric II tira ces maîtres de son propre état sicilien et qu'il suscita des vocations de sculpteur comme il l'avait fait pour les poètes. On se demande encore comment l'empereur put faire de simples tailleurs de pierre d'Apulie des sculpteurs aussi habiles. Pour glorifier l'Etat et les dieux de l'Etat, il avait besoin de cette habileté manuelle, et, comme elle était nécessaire, il la rendit possible.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.482-483

Les voyages de Lolita

Jeudi, après la séance de l'Oulipo (la suivante est jeudi prochain, exceptionnellement), Dominique m'a indiqué un site qui illustre les voyages de Lolita (ou dans Lolita).

Le site en son entier est entièrement dédié à Nabokov, plus des photos de Berlin, d'Asie centrale, et des textes plus personnels.

Quelques faiblesses

'Nearly forgot your cream', he said lightly. 'Wouldn't like to think I was driving you off by not pandering to your fleshy weaknesses. I like a few fleshy weaknesses in my priests.'

Hollins sayd 'Just as I like small acts of generosity from my sinners.'

Reginald Hill, The Woodcutter, p.462

Concision

At the head of a fresh sheet of paper he wrote Chapter 97 in the same immaculate hand with wich he had inscribed Chapter 1 nearly forty years ago. Sometimes he looked back a trifle ruefully at his chosen title, A Brief History of the Phoenician People, but a delicate sense of irony prevented him from changing it.

Reginald Hill, The Woodcutter, p.377

Discipline olympique

They removed the outer brown paper with a synchronicity that would have got them into an Olympic synchronized paper-removing team, only to find themselves confronted by a substantial layer of clear plastic wrapping.

Reginald Hill, The Woodcutter, p.334

Grimper

Imogen said, "When Wolf and I used to go climbing together, he taught me, when you're working at a line of ascent, look for the most hazardous route, the closer to impossible the better. Then resist the temptations to try it if you can.'
'I'm sorry. I don't get that.'

Imogen smiled as if unsurprised.
She said, 'Wolf used to say that rock climbing wasn't about getting to the top, it was about falling.'
'Conquering the fear of falling, you mean?'
Imogen shook her head impatiently.
'Conquering the desire to fall', she said.

Reginald Hill, The Woodcutter, p.306

L'apprentie psychanalyste

It had come as a disappointment to her as student to realize that understanding the often irrational origins of common emotions didn't stop you feeling them.

Reginald Hill, The Woodcutter, p.276

Sagesse

Human beings are better at avoidance than achievement. When things are bad, don't look for a good to struggle to, look for something worse to struggle from!

Reginald Hill, The Woodcutter, p.324

Pardonner sans concession

Ich habe die friedliche Gesinnung. Meine Wünsche sind: eine bescheidene Hütte, ein Strohdach, aber ein gutes Bett, gutes Essen, Milch und Butter, sehr frisch, vor dem Fenster Blumen, vor der Tür einige schöne Bäume, und wenn des liebe Gott mich ganz glücklich machen will, lässt er mich die Freude erleben, dass an diesen Baümen etwa sechs bis sieben meiner Feinde aufgehängt werden.
Mit gerürhrtem Herzen werde ich ihnen vor ihrem Tode alle Unbill verzeihen — die sie mit im Leben zugefügt — ja, man muss seinen Feinden verzeihen, aber nicht früher, als bis sie gehenkt werden.

Heinrich Heine, Gedanken und Einfälle, cité par Réginald Hill dans The Woodcutter, p.151
Soit à peu près: J'ai les désirs les plus simples. Mes souhaits sont: une modeste cabane au toit de chaume, mais avec un bon lit, de la bonne nourriture, du lait et du beurre très frais, des fleurs devant ma fenêtre, et devant ma porte, de très beaux arbres, et si Dieu miséricordieux souhaite me rendre totalement heureux, Il m'accordera la joie de contempler à ces arbres six à sept de mes ennemis pendus.
Du fond de mon cœur empli de compassion, je leur pardonnerai avant leur mort tous les méfaits — accomplis durant leur vie — oui, nous devons pardonner à nos ennemis, mais pas avant de les voir pendus.

Un roman policier intello

Est-ce parce qu'il est anglais, ou est-ce parce que c'est Reginald Hill, que l'on trouve de telles allusions tout naturellement glissées dans son dernier roman?
But they've done it once too often, and suddenly cops spring up all around as if someone had ben sowing dragon's teeth.

Reginald Hill, The Woodcutter, p.7



PS: pour mémoire, semaille de dents de dragon.

Se venger de Viterbe

Lui qui, dix ans auparavant, demandait à Michel Scot s'il y avait un espoir de revenir après la mort pour assouvir sa haine implorait maintenant que ses ossements pussent se relever après sa mort pour détruire Viterbe. Car il ne pourrait assouvir sa soif de sang s'il ne mettait pas le feu à la ville de sa propre main. S'il avait un pied au Paradis, il le retirerait, pour se venger de Viterbe.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.530 (Gallimard, 1987)

La compagnie héroïque des Césars

Comme tous les despotes, il [Frédéric II] était persuadé de sa clémence débordante. Dans la célèbre lettre qui annonçait son deuil, lors de la mort du roi Henri qu'il avait détrôné, Frédéric II se rangeait lui-même à côté de César. David et César, le modèle biblique et le modèle romain, doivent justifier les larmes du père endeuillé: "Nous ne sommes pas les premiers et nous ne serons pas les derniers à avoir subi dommages de leurs fils qui ont commis des fautes et à n'avoir pas moins versé des pleurs sur leur tombe. David n'a-t-il pas trois jours durant pleuré la mort d'Absalon, son premier-né, et Jules le superbe, le premier César, a-t-il refusé les devoirs funèbres et les larmes d'une générosité paternelle aux cendres de son gendre Pompée qui avait fomenté des complots contre la fortune et la vie de son beau-père?" C'est une manière nouvelle de considérer le passé: les grandes figures commencent à s'animer, tandis que l'homme en action se substitue au simple énoncé officiel de son nom.

Le personnage que Frédéric II voulait incarner et dont sa chancellerie diffusait l'image ne tarda pas à se faire connaître dans l'entourage proche et lointain. Les contemporains étaient prêts à voir l'empereur sous les symboles des Césars romains bien que le Romain statufié et vide de leurs rêves fût aussi éloigné de la vivante incarnation d'un César qu'était Frédéric II que le classiscisme était aux antipodes de Napoléon. Mais les ombres avaient retrouvé le goût du sang et les apparences étaient suffisantes pour qu'il fût possible de placer l'empereur dans la compagnie héroïque des Césars.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.405 (Gallimard 1987)

La Horde d'or

En 1227, alors que Frédéric II se livrait aux préparatifs de la croisade, le grand khan était enterré à Karakorum. De son vivant, ce dernier avait partagé l'empire entre ses quatre fils. L'Occident échut à Batu Khan. Sa capitale était Saraï sur la Volga et lui-même était le fondateur de la "Horde d'or". La force de choc de Gengis Khan se retrouvait intacte en son fils. Les principautés russes avaient succombé à ses assauts vers 1240 et, début 1241, il approchait de la Hongrie. Un autre détachement de l'armée de Batu Khan avait conquis la Pologne et marchait contre la Silésie. La menace semblait terrible. Pour la première fois l'Asie toute entière était en effet unifiée alors que l'Europe, soumise à de fortes tensions, était désunie, émiettée, décomposée en des milliers de forces antagonistes. L'Occident commença cependant de s'armer. En Germanie surtout on hâta les préparatifs, car les essaims des Mongols avaient déjà dépassé la Hongrie. Une armée mise sur pied par le roi de Bohême arriva trop tard. Le 10 avril, le roi de Bohême était à Liegnitz, mais le 9 avril, trente mille hommes à ce qu'on prétend, sous les ordres du duc Henri de Liegnitz, avaient été massacrés presque jusqu'au dernier par les Mongols. Avec des nobles germains, polonais, slaves, le duc, fils de Sainte Hedwige, s'était lancé au-devant des Tartares. Son armée fut vaincue et lui-même fut tué. Mais son sacrifice ne fut pas inutile. Ebranlé malgré sa victoire, le Mongol évita d'abord de rencontrer les armées du roi de Bohême et infléchit sa route vers le sud, dévastant la plus grande partie de la Moravie. Il alla jusqu'à Vienne mais se retira vers la Hongrie. Ce peuple conquérant n'avait poussé que très peu de temps au-delà des régions dont le paysage et les conditions de vie ressemblaient à celles de son pays d'origine. La mort du grand khan Ogotaï dans la lointaine Asie mit alors fin à tout danger.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.498-499 ( gallimard 1987)

Gengis Khan

Celui qui ébranla l'Asie, celui dont le pouvoir absolu était un phénomène inouï en Europe, l'homme qui conquit et organisa le plus grand empire jamais vu dans le monde, qui réunit les peuples dans sa main, leur donna des lois et une religion, qui déchaîna la plus grande tourmente qu'un individu ait jamais fait naître, ce personnage formidable avait à cette époque déjà achevé son extraordinaire carrière de conquérant.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.498 ( gallimard 1987)

Délation transparente

Le nimbe de l'omniscience lui était tout aussi indispensable que celui de l'omniprésence. Pour tenir les individus politiquement suspects sous la surveillance constante de l'Etat, l'empereur avait introduit un système très spécial qui avait, il est vrai, l'avantage de la publicité, mais était aussi pour cette raison incontestablement plus cruel que la plus soupçonneuse des surveillances secrètes. Tout individu qui faisait l'objet d'un soupçon dans le domaine politique —relations avec la Curie romaine, avec des exilés, des hérétiques, des rebelles— recevait des autorités supérieures un petit livret sur lequel était porté le motif de la suspicion mais aussi le nom du dénonciateur. Un tel procédé simplifiait sans doute, pour les justiciaires, la surveillance des suspects et l'intéressé lui-même n'était pas laissé dans le doute sur ce qu'on lui reprochait. Mais on croit sans peine le chroniqueur qui rapporte que ce type de procédures publiques provoquait d'âpres querelles et des haines réciproques entre suspectés et dénonciateurs.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.257 (gallimard 1987)

L'Europe au XIIIe siècle

La Germanie, bouillante et animée de la furie des armes […], la France, nourrice et mère des chevaleries […], l'Espagne, guerrière et intrépide, la fertile Angleterre, riche en hommes et en navires, l'Alémanie, remplie de guerriers fougueux, la Dacie, forte sur mer, l'Italie indomptée, la Bourgogne, étrangère à la paix, l'Apulie remuante, avec l'Adriatique et les îles amies de la navigation et invaincues de la mer Tyrrhénienne comme de la mer grecque: la Crète, Chypre, la Sicile […], la sanglante Hibernie avec les pays et les îles qui avoisinent l'Océan […], avec l'active nation des Gallois, l'Ecosse marécageuse, la Norvège glacée et toute nation noble et glorieuse sous le ciel de l'Hespérie.»

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.500

Fonctionnaire oblige

D'une manière analogue, il est dit à propos du grand maître justiciaire qu'il est le "miroir de la Justice" et, en tant que tel, il est placé comme maître au-dessus des autres justiciaires non seulement à cause de son titre mais aussi comme modèle "afin que les degrés inférieurs distinguent en lui les principes qu'ils doivent eux-mêmes observer".

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.256

Apprendre à voir

La lecture de L'Empereur Frédéric II est une source renouvelée d'étonnements et d'émerveillement (Je recommande de le lire absolument avant La Divine Comédie). Kantorowicz fait bien plus qu'étudier un règne, il étudie une époque et se penche sur les changemements de mentalité mis en branle sous l'impulsion de ce jeune empereur si savant et curieux de tout.

Il note ainsi le peu de poids qu'avait le regard dans la connaissance du monde: l'interprétation spirituelle comptait davantage que l'observation physique, tout avait, devait avoir, un sens qu'il convenait de découvrir:
Lorsqu'on essaie de nos jours d'attribuer au Moyen Âge un sentiment ou une vision de la nature, on ne fait que jouer sur les mots. Il est certain que le Moyen Âge tout entier considérait la nature comme sacrée, dans la mesure où elle représentait l'ordre éternel du monde, mais, au moins jusqu'à 1200, il fut bien loin de la comprendre, d'une manière non pas spéculative et pourtant intellectuelle, comme un être vivant, mû par ses propres forces et animé par sa propre vie. On n'attachait aucune importance à la vie de la nature et l'on préférait saisir les phénomènes, sous une forme complètement dématérialisée, comme des allégories, et les interpréter sur un plan transcendental après les avoir rattachés au savoir spéculatif. Une œuvre alexandrine tardive, le Physiologus, qui fut traduite dans toutes les langues, vint renforcer cette tendance. Elle fut pratiquement l'unique source des sciences de la nature qu'ait possédée le Moyen Âge, si l'on excepte l'Encyclopédie d'Isidore de Séville et Pline, et la plus populaire. A côté de quelques anecdotes sur les différents animaux et leurs habitudes, les significations allégoriques occupaient une large place dans le Physiologus et ce que le lion, le taureau ou la licorne signifiaient au point de vue moral, astral ou cosmique intéressait bien plus que ces animaux eux-mêmes.

L'évêque Liutprand de Crémone, qui fut envoyé comme ambassadeur à la cour de Byzance au temps des empereurs Othon, nous fournit un bon exemple de cette façon de voir la nature. On montra à l'évêque un parc zoologique impérial qui contenait un troupeau d'ânes sauvages. Liutprand se mit aussitôt à réfléchir sur ce que ces animaux pouvaient signifier pour l'univers. Une sentence sibylline lui vint alors immédiatement à l'esprit: «Lion et chat vaincront âne sauvage.» Tout d'abord l'évêque crut à une victoire commune de son maître l'empereur Othon 1er et du Nicéphore byzantin sur les Sarrasins. Mais il s'avisa bientôt que les deux empereurs souverains, également puissants, ne sauraient être convenablement représentés par le grand lion et le petit chat. Là-dessus, après une brève méditation, le vrai sens du parc aux ânes sauvages apparus clairement: l'âne et le chat étaient ses maîtres, Othon le Grand et le jeune fils Othon II, tandis que l'âne sauvage qui devait être vaincu n'était autre que, comme le prouve le jardin zoologique, l'empereur Nicéphore lui-même! C'est ainsi que Liutprand, l'un des clercs les plus savants de son siècle, voyait la nature. Il connaissait pourtant de très nombreux auteurs anciens: Cicéron, Térence, Végèce, Pline, Lucrèce, Boèce, pour n'en nommer que quelques-uns sans aucunement parler des poètes. En ces domaines, la littérature antique n'exerçait aucune influence et l'on empruntait à ses textes que ce que l'on portait en soi-même: des moralis et, au cas échéant, des aventures. Dans la mesure où vous étiez suffisamment cultivé pour le faire, vous considériez aussi les aventures sous l'angle spirituel. La lettre du chancelier Conrad qui décrivait son voyage en Sicile au cours duquel il vit Charybde et Scylla, les merveilles du magicien Virgile et d'autres du même genre, atteste cette projection du savoir acquis intellectuellement sur le monde des faits matériels. A l'âge des croisades, l'imagination des hommes s'inspirait de tous les animaux fabuleux et des êtres mythiques d'Ovide et d'Apulée, des légendes d'Alexandre, des navigations tourmentées d'Ulysse et d'Enée. Peu à peu, cependant, on apprit également à se servir de ses yeux.

[…] Comme on avait perdu l'habitude de regarder avec ses yeux et que l'on cherchait le sens spirituel des choses à la lumière de la pensée universelle, on ne pouvait espérer avoir un rapport avec l'Antiquité qu'à travers les auteurs faisant appel le plus possible à l'esprit et le moins possible aux yeux. Sous ce raport, les Arabes étaient les meilleurs intermédiaires. Ils avaient passé la littérature antique au crible avec les mêmes intentions, ils l'avaient assimilée dans la mesure où, s'adressant à l'esprit pur, elle pouvait, en fin de compte, être transplantée dans n'importe quel terrain, alors que tout ce qui portait la coloration particulière de la vie grecque et romaine leur restait entièrement fermé. Ils ne s'approprièrent pas un seul historien, pas un seul poète. Que leur importaient les tragiques, les lyriques, ou Homère dont il ne connaissait qu'un seul vers, le seul qui leur parût utilisable:

Qu'il y ait un seul souverain, un seul roi…1

En revanche, ils avaient accepté en héritage tous les traités de sciences naturelles et de médecine et presque tous les philosophes depuis l'époque d'Alexandre le Grand, mais ne connaissaient de la philosophie antérieure que le Timée, le Phédon et La République de Platon. Outre les auteurs de traités de sciences naturelles, ils se sentaient très proches des néoplatonniciens et à travers eux, ils avaient découvert Aristote en tant que fondateur d'un grand système. Encore les grands philosophes arabes du Xe siècle, Al-Kindi, Al-Farabi, Avicenne, n'eurent-ils accès à Aristote qu'à travers un découpage et un arrangement néoplatoniciens. Il fallut attendre le XIIe siècle pour voir apparaître le plus grand interprète arabe du véritable Aristote, l'Espagnol Averroès. Révéler à l'Occident l'Aristote plus fidèle d'Averroès ainsi que ses commentaires, retraduire en même temps d'autres auteurs antiques de l'arabe dans une langue occidentale, telle fut l'une des tâches essentielles des savants.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.310-313 (Gallimard, 1987)
Frédéric II était un observateur passionné des «choses telles qu'elles sont», et cette exigence était inusitée pour l'époque. Sa passion pour la chasse fut l'occasion de mettre par écrit ses observations et de commencer à faire changer la façon de voir la nature et les phénomènes naturels.
Ainsi le livre de l'empereur contient des milliers d'observations de détail, clairement formulées et logiquement ordonnées, qui passent toujours du général au particulier, selon la méthode scolastique. […] Les dessins sont faits «d'après nature» jusque dans les détails, et leur style — oiseaux en vol, dans les différentes phases de leurs mouvements — prouve qu'ils sont dus à l'observateur passionné qu'était l'empereur, bien que leur magnifique exécution en couleur soit l'œuvre d'un artiste de la cour. […] Quoi qu'il en soit, les experts estiment que les illustrations du livre de fauconnerie sont tout aussi étonnamment «en avance sur leur temps» que la plastique sicilienne. […]
Ce qui est significatif pour cet ouvrage n'est pas qu'Albert le Grand, par exemple, l'ait utilisé plusieurs fois, […]. Ce qui est important, c'est que les courtisans de l'empereur et ses fils, qui lui ressemblaient beaucoup, aient acquis un œil exercé à observer la nature vivante, de sorte que, bon gré mal gré, ils ne pouvaient que se conformer à la manière impériale de voir les choses, quel que fut l'objet auquel ils appliquaient cette vision. Ce que révèle le livre de fauconnerie, c'est l'existence d'une faculté de voir «les choses qui sont telles qu'elles sont». Cette œuvre, en outre, n'est pas celle d'un immigrant ou d'un érudit inconnu, mais de l'empereur du monde chrétien et romain — c'est une curieuse activité additionnelle de l'homme d'Etat.[…]
Il est significatif que les grands érudits, ceux du cercle de des Vignes comme ceux du genre de Michel Scot, se soient montrés défaillants lorsqu'il s'agit du sens de la vue: c'est l'empereur, le roi Manfred et également Enzio, le fonctionnaire noble Jordanus Ruffus, le fauconnier arabe Moamin qui sont les «visuels». Si la vision «renaît» avec eux, cela ne signifie pas que cette faculté s'était tout à fait perdue: le paysan et le chasseur ont eu le regard aussi pénétrant au Moyen Âge qu'à toute autre époque. Mais ceux qui auraient pu traduire en mots ce qu'ils voyaient, les clercs et les lettrés de toutes sortes, les «doctes» n'avaient alors pas d'yeux pour le monde physique. Frédéric II, prédécesseur des grands empiristes du XIIIe siècle, du dominicain Albert le Grand et du franciscain Roger Bacon, fut le premier non seulement à dominer comme nul autre la sagesse livresque de son temps, mais il fut aussi chasseur et, en tant que tel, s"en remit spontanément au sens de la vue. On a souvent fait remarquer que le livre de fauconnerie constitue un tournant dans la pensée occidentale et qu'il marque le commencement de la science expérimentale. Rappelons encore ici la vivante antithèse de l'empereur, François d'Assise, dont on se plaît à dire qu'il est l'initiateur de ce sentiment nouveau de la nature. Si Frédéric II, premier «esprit visuel», a cherché partout, dans les genres, les espèces et leur hiérarchie, la loi éternellement la même de la nature et de la vie, François d'Assise a peut-être été la première «âme visuelle», car c'est tout à fait spontanément qu'il a ressenti la nature et la vie comme des phénomènes magiques et qu'il a discerné en toute chose vivante le même pneuma divin. Dante fut en quelque sorte la synthèse des deux hommes.
Ibid, p.336
Parfois je me dis que le vrai amour de Kantorowicz, c'est Dante.

Au XIIIe siècle Frédéric II fait donc émerger une nouvelle façon de voir parce qu'il dispose d'un langage et d'un vocabulaire pour exprimer ce qu'il voit. Deux siècles plus tard, l'œil a remplacé l'oreille comme canal privilégié de relation à Dieu — et les mathématiques des commerçants ont remplacé l'élévation spirituelle des nobles dans la façon d'appréhender le monde, si l'on en croit Michaël Baxandal.
Il y a quelques temps en lisant L'œil du Quattrocento j'avais été frappée par des remarques sur l'importance des mathématiques dans la formation des jeunes gens, et ses conséquences dans la peinture (il faudrait citer l'ensemble du chapitre, je ne fais qu'en donner une idée):
Nous disposons d'un grand d'introductions aux mathématiques et de manuels de l'époque, et l'on peut voir très clairement de quelles mathématiques il s'agissait: c'étaient des mathématiques commerciales, faites pour le marchand, et deux de leurs techniques essentielles sont profondément impliquées dans peinture du XVe siècle.

La première est la technique de la mesure. Les marchandises n'ont été transportées régulièrement dans des récipients de taille standardisée qu'à partir du XIXe siècle. C'est un fait important pour l'histoire de l'art: avant cela, chaque récipient — tonneau, sac ou balle— était unique, et calculer vite et bien sa contenance était une des bases du commerce. La manière dont une société mesurait ses tonneaux et en calculait le volume est un bon indice de ses capacités et habitudes analytiques. L'Allemand du XVe siècle semble avoir mesuré ses tonneaux avec des instruments (règles et mesures) complexes et tout préparés, sur lesquels on pouvait lire directement les réponses: c'était là souvent le travail d'un spécialiste. L'Italien, au contraire, mesurait ses tonneaux en se servant de la géométrie et de Pi:

«Soit un tonneau dont chacun des fonds mesure 2 bracci de diamètre; en son ventre, le diamètre est de 2 1/4 bracci; et on est de 2 2/9 bracci à mi distance entre le ventre et le fond. Le tonneau mesure 2 bracci de long. Quel en est le volume?

Il s'agit en somme d'un couple de cônes tronqués. Élevez le diamètre des fonds au carré: 2x2=4. Puis le diamètre médian: 2 2/9 x 2 2/9 = 4 76/81. Additionnez-les 8 76/81. Multipliez 2 x 2 2/9 = 4 4/9. Ajoutez cela à 8 76/81 = 13 31/81. Divisez par 3 = 4 112/243 […] Maintenant, portez au carré 2 1/4 = 2 1/4 x 2 1/4 = 5 1/16. Ajoutez cela au carré du diamètre médian: 5 1/16 x 4 76/81 = 10 1/1296. Multipliez 2 2/9 x 2 1/4 = 5. Ajoutez cela au résultat précédent: 15 1/1296. Divisez par 3 : 5 1/3888. Ajoutez cela au premier résultat: 4 112/243 + 5 1/3888 = 9 1792/3888. Multipliez cela par 11 puis divisez par 14 (
i.e multipliez par Pi/4): le résultat final est 7 23600/54432. Cela représente le volume du tonneau.»

C'est là un monde intellectuel tout à fait particulier.
Ces instructions pour mesurer un tonneau sont tirées d'un manuel de mathématiques destiné aux marchands, de Piero della Francesca, Trattato d'abaco (Traité d'arithmétique), et cette association entre le peintre et la géométrie commerciale est exactement au centre de notre propos. Les capacités que Piero (ou n'importe que autre peintre) utilisait pour analyser les formes qu'il peignait pour jauger les quantités. Et l'association entre la technique de mesure et la peinture que Piero lui-même personnifie, est très réelle. […].

Le meilleur moyen pour le peintre de susciter une réaction basée sur latechnique de la mesure eétait de faire lui-même, dans ses tableaux, un usage intense du répertoire d'objets familiers sur lesquels le spectateur avait appris sa gométrie — bassins, colonnes, tours de briques, carrelages, et ainsi de suite. [etc…]

Michael Baxandall, L'Œil du Quattrocento, p.134-137
Plus loin, la règle de trois et l'importance des proportions sont évoquées:
[Cette] L'arithmétique était la seconde branche des mathématiques commerciales propres à la culture du Quattrocento. Et au centre de cette arithmétique, on trouvait les proportions.
[…]
[…] le jeu des proportions […] était un jeu oriental: le même problème de la veuve et des jumeaux apparaît dans un ouvrage arabe médiéval. Les Arabes eux-mêmes avaient appris ce genre de problèmes (et l'arithmétique corrélative) de l'Inde, qui l'avait élaboré au VIIe siècle, ou même plus tôt. Ces problèmes de proportions furent importés de l'islam en Italie, en même temps que bien d'autres notions mathématiques, au début du XIIIe siècle par Leonardo Fibonacci de Pise…2

Ibid, p.144-145
Ainsi, les gens du XVe siècle devinrent habiles, par la pratique quotidienne, à ramener les informations les plus diverses à une formule de proportion géométrique: A est à B comme C est à D. En ce qui nous concerne, ce qui est important, c'est q'une même aptitude soit au principe du contrat ou des problèmes d'échange d'une part et de l'élaboration et de la vision des tableaux d'autre part. Piero della Francesca jouissait du même équipement mental, que ce soit pour un marché de troc ou pour le jeu subtil des espace dans des peinture, et il est intéressant de noter qu'il l'expose à des fins d'utilisation commerciale plutôt que picturale. L'homme de commerce avait les aptitudes nécessaires pour saisir la proportionnalité dans la peinture de Piero, car, dans le cours normal des exercices commerciaux, on faisait tout naturellement la relation entre les proportions à l'intérieur d'un contrat et les proportions d'un corps matériel.

Ibid, p.149
Comment voyons-nous aujourd'hui, à partir de quels présupposés?
Est-ce moi qui m'imagine cela, ou vivons-nous réellement dans une société qui croit voir les choses comme elles sont, sans préjugé de représentation?
Et quels peuvent bien être ces préjugés? Une vision scientifique, une vision sentimentale, une vision kitsch?


Notes
1 : citation en grec dans le texte. Mon blog n'accepte pas les caractères grecs.
2 : que rencontra Frédéric II (remarque personnelle)

Concentrer le pouvoir

Pour un esprit moderne, la croissance organique s'obtient en décrivant des cercles de plus en plus larges dans l'espace réel. L'empereur, au contraire, dessinait des cercles de plus en plus étroits. Il s'était fixé pour tâche de parvenir au point le plus central de l'empire et d'y concentrer toutes les influences spirituelles conférées depuis bien longtemps par la dignité impériale. Il s'agissait précisément pour ce monarque de ne pas laisser sa puissance grandissante se dissiper au loin, il devait au contraire la condenser et l'accroître en direction du centre. Il en résulta une tension à peine supportable qui ne put jamais se libérer vers l'extérieur et qui resta toujours tournée vers le centre. Frédéric II est l'unique exemple dans l'histoire d'un monarque universel visant, non pas à étendre son pouvoir, mais à le concentrer. Dante, lorsqu'il ramène le cosmos en un point unique, est animé par la même vision.
Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.404

Eugène Leroy

Exposition Eugène Leroy jusqu'au 4 décembre à Paris : Galerie de France 54 rue de la Verrerie.

Il y a une quinzaine de toiles, parfaitement mises en valeur dans un bel espace.

Chance relative

James Joyce jetait des mots dans des carnets au fur à mesure de ses lectures. Il les barrait quand il les utilisait dans ses manuscrits.

Le travail sur les carnets de Finnegans Wake consiste donc à :
- déchiffrer l'écriture de Joyce ;
- retrouver dans Finnegans l'endroit où est utilisé le mot barré (parfois il n'est utilisé que dans les brouillons et n'apparaît pas dans la version finale) ;
- si possible retrouver ce qu'était en train de lire Joyce à partir des mots déchiffrés (ce qui permet de valider et consolider le déchiffrage d'autres mots alentours — et de savoir ce que lisait Joyce, retrouver un peu de sa vie, essayer éternellement de saisir la création se faisant).

Parfois la source est indiquée en clair dans le carnet:
— Parfois on a de la chance. Par exemple, quand il était à Saint-Malo, Joyce a noté la cote des livres qu'il empruntait à la bibliothèque dans son carnet… Malheureusement la bibliothèque a été bombardée en 1944.



Retranscription des explications de Daniel Ferrer.

Déformations

Welf et Waiblingen (autre nom de la famille des Hohenstaufen);
Guelfes et Gibelins;
elfes et gobelins (elfs and goblins).

Henri de Hohenstaufen

Mais le roi Henri n'aurait pu être un vrai Hohenstaufen si la fin de ses rêves n'avait pas été aussi le début de sa tragédie.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.347

Frédéric et les savants

Selon la légende, Averroès aurait vécu à la cour de Frédéric; en réalité, il mourut l'année où Frédéric, alors âgé de quatre ans, fut couronné roi de Sicile à Palerme.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.313


Presque tous ces savants de la cour se trouvaient aussi en contact étroit avec le cercle de Leonardo Fibonacci de Pise, par l'intermédiaire duquel la numération arabe fut transmise à l'Occident. (Ibid, p.315)


Frédéric II connut les œuvres de Maïmonide (mort en 1205) par l'intermédiaire d'un autre savant, Moïse ben Salomon de Salerne, qui avait commenté le ''Guide des égarés''. (Ibid, p.318)
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