Le nimbe de l'omniscience lui était tout aussi indispensable que celui de l'omniprésence. Pour tenir les individus politiquement suspects sous la surveillance constante de l'Etat, l'empereur avait introduit un système très spécial qui avait, il est vrai, l'avantage de la publicité, mais était aussi pour cette raison incontestablement plus cruel que la plus soupçonneuse des surveillances secrètes. Tout individu qui faisait l'objet d'un soupçon dans le domaine politique —relations avec la Curie romaine, avec des exilés, des hérétiques, des rebelles— recevait des autorités supérieures un petit livret sur lequel était porté le motif de la suspicion mais aussi le nom du dénonciateur. Un tel procédé simplifiait sans doute, pour les justiciaires, la surveillance des suspects et l'intéressé lui-même n'était pas laissé dans le doute sur ce qu'on lui reprochait. Mais on croit sans peine le chroniqueur qui rapporte que ce type de procédures publiques provoquait d'âpres querelles et des haines réciproques entre suspectés et dénonciateurs.

Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II, p.257 (gallimard 1987)