Au milieu du car c'était plus possible de s'entendre causer, et Stella fredonnait avec les pensionnaires. Elles, on les reconnaissait à leur odeur. Petites, elles ne se lavaient pas; grandes, elles se lavaient trop, et fleuraient donc le poisson ou le Rexona, selon l'âge. L'ennui et les raviolis en conserve avaient vermoulu depuis longtemps leurs bonnes joues roses de filles de la campagne. Leurs braves parents, qui n'auraient pour rien au monde voulu les voir finir "au cul des vaches", attribuaient cette mauvaise mine aux études dans lesquelles ils plaçaient un espoir démesuré. Pour les bonnes sœurs, qui lisaient leur courrier et pouvaient à tout moment les coller des dimanches entiers au collège sans craindre d'intempestives réactions familiales, c'était une main-d'œuvre taillable et corvéable à merci. Prisonnières, les pensionnaires étaient les reines de la défense passive, du système D, des codes secrets et des secrets tout court.

Alix de Saint-André, L’ange et le réservoir de liquide à freins, Folio, p.63