Périclès s'opposait à lui, tout comme Démosthène devait plus tard l'accabler de reproches: la liberté politique du peuple passe par l'admonestation, et non par le mensonge ou la flatterie; et c'est en tenant la foule bien en main que Périclès assurait le mieux, en fin de compte, cette liberté.

Pourquoi tant d'autres craignaient-ils de le faire? Ici, nous découvrons une autre entrave à la liberté; et elle vient du peuple lui-même. Pour s'opposer à lui, en effet, il faut parfois du courage. Et les orateurs qui se taisent ne craignent tant la calomnie que parce qu'ils craignent la colère du peuple. De fait, on s'aperçoit, dans Euripide et dans Thucydide, cet autre trait qui veut que la foule soit, par nature, excessive et violente, si bien que ceux qui devraient la guider ont peur d'elle. Comment ne pas rappeler que, dans Euripide, Ménélas et Agamemnon avouent tous deux ce sentiment? Dans Oreste, Ménélas voudrait bien faire quelque chose pour le jeune homme, mais il n'ose pas — pas ouvertement: «C'est que le peuple au plus ardent de sa colère est pareil à un feu trop vif pour être éteint» (696-697); et Agamemnon déclare dans Iphigénie à Aulis: «Nous sommes esclaves de la multitude.» Il imagine l'armée se dressant contre lui, furieuse de n'avoir pas obtenu le sacrifice d'Iphigénie et prête à le poursuivre jusque chez lui pour y exercer les pires vengeances. Quand, au lieu de parler du dèmos, on se met à parler de «la multitude» ou de «la foule», la terreur commence…

Jacqueline de Romilly, La Grèce antique à la découverte de la liberté, p.128