Note préparatoire à la lecture de la note 9 du chapitre III de L'Amour l'Automne (p.158-161)
Dans la figure oxymoron, on applique à un mot une épithète qui semble le contredire; c'est ainsi que les gnostiques ont parlé de lumière obscure, les alchimistes, d'un soleil noir. Sortir de ma dernière visite à Teodelina Villar et prendre un verre dans un bistrot était une espèce d'oxymoron; je fus tenté par sa rusticité et son accès facile (le fait que l'on jouât aux cartes augmentait le contraste). Je demandai une orangeade; en me rendant la monnaie, on me donna le Zahir; je le contemplai un instant; je sortis dans la rue, peut-être avec un début de fièvre. Je pensai qu'il n'y a point de pièce de monnaie qui ne soit un symbole de celles qui sans fin resplendissent dans l'histoire et la fable. Je pensai à l'obole de Caron; à Judas; aux drachmes de la courtisane Laïs; à la pièce ancienne qu'offrit l'un des Dormants d'Éphèse; aux claires pièces de monnaie du sorcier des Mille et Une Nuits, qui par la suite n'étaient que cercles de papier; au denier inépuisable d'Isaac Lequedem; aux soixante mille pièces d'argent, une pour chaque vers d'une épopée, que Firdusi restitua à un roi parce qu'elles n'étaient pas en or; à l'once d'or que fit clouer Achab sur le mât; au florin irréversible de Léopold Bloom; au louis dont l'effigie trahit, près de Varennes, Louis XVI en fuite.

[…]

[…] Selon la doctrine idéaliste, les verbes vivre et rêver sont rigoureusement synonymes […]

Jorge Luis Borgès, «Le Zahir», in L'Aleph