Véhesse

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jeudi 29 septembre 2011

L'incommodité du monde

L'enfance attribue a son ignorance et à sa gaucherie l'incommodité du monde; il lui semble que loin, sur la rive opposée de l'océan et de l'expérience, le fruit est plus savoureux et plus réel, le soleil plus jaune et plus amène, les paroles et les actes des hommes plus intelligibles, plus justes et mieux définis.

Juan José Saer, L'ancêtre, p.10

dimanche 25 septembre 2011

La douceur de vivre

Une des originalités du XVIIIe siècle, c'est (aussi) d'avoir découvert, de Montesquieu à Rousseau, le bonheur de l'existence.

Robert Mauzi, L'idée de bonheur dans la littérature et la pensée françaises du XVIIIe siècle, Paris 1968, rééd. 1994, p.46

samedi 24 septembre 2011

Dickens et Andersen

Quant à Dickens: Andersen, au cours de ses innombrables voyages, va le voir et séjourne longuement au sein de sa famille. Après son départ, Dickens fait apposer sur la porte de la chambre qu'il a occupé un écriteau proclamant qu'en cette pièce Hans Christian Andersen, le grand écrivain danois, a passé cinq semaines, lesquelles, à la famille, ont paru cinq siècles. Andersen, lui, est enchanté de son séjour. En guise de lettre de château, il publie un article intitulé "Un été chez M. Dickens". Il y célèbre particulièrement la chaleureuse ambiance familiale et la bonne entente entre les membres de la maisonnée. Lorsque l'article paraîrt Dickens s'est séparé de sa femme et toute la famille s'est dispersée.

Il y a un aspect irrésistiblement comique, tragi-comique, à bien des aspects de la vie de l'écrivain: y compris, et peut-être surtout, à ses épisodes les plus lamentables.

Renaud Camus, Demeures de l'esprit - Danemark Norvège, p.46

vendredi 23 septembre 2011

Le 1er août à la fondation Joyce

Chaque année la première semaine d'août, la fondation Joyce à Zürich invite les spécialistes de Joyce à se réunir pour échanger sur un thème, ces journées étant davantage axées sur l'échange et la réflexion que sur la conférence professorale. Le thème de cette année était la ponctuation, en 2012 ce sera le mensonge.
Je devais être à Zurich à ce moment-là, et encouragée par Daniel Ferrer j'ai donc demandé s'il était possible que j'assiste à la première journée, alors que l'atelier est normalement réservé aux intervenants. J'ai été très gentiment invitée par retour de mail.
Evidemment, tout cela était très impressionnant, dans la mesure où mon anglais est très hésitant et où j'étais la seule à n'être ni anglophone de naissance, ni professeur de littérature anglaise. Enfin bon. Voici quelques souvenirs. La journée a commencé par un tour de table.

Fritz Senn présente l'atelier, se félicite de la présence d'une Italienne, d'une Française (Français, les grands absents année après année, paraît-il).

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Tout ce qu'il dit est sérieux, tout ce qu'il dit est drôle: «C'est un atelier de travail, la parole se partage, ce n'est pas du football américain, «prends la balle et cours», c'est du football européen (soccer), tout est dans les passes.» Il nous invite à nous présenter et à dire quelques mots sur le sujet de cette année: la ponctuation chez Joyce (ou: la ponctuation de Joyce).

Tim Conley nous fait rire en racontant: «Mes collègues m'ont demandé ce que je faisais pendant mes vacances, j'ai répondu que j'allais en Suisse m'enfermer une semaine pour parler de la ponctuation chez Joyce; ils m'ont regardé comme si j'étais fou.»
Evidemment, vu comme ça… C'est vrai que c'est étrange, venir du Canada pour s'enfermer à Zürich… Faut-il avouer ce que j'éprouve lors de ces assemblées: la pièce fermée n'est pas fermée, elle enfle et prend les proportions de l'univers. Tous les chemins s'y précipitent et en partent, l'univers des possibles se déploie, tout est à portée de main. C'est à pleurer de joie et d'émotion, tant de liberté et de vitesse et de sérénité. Puis l'œil se dépose sur les participants, prend la mesure des chaises et des tables et des étagères, l'esprit se pose mais il reste au cœur une élation qui rend léger.

Quand vient mon tour, je les fais sourire en disant que j'ai grandi non loin de Beaugency (cf. Le Chat et le diable) et je baragouine quelques mots à propos de Proust (l'horreur, c'est que je sais que je fais des fautes, mais que je sais aussi qu'ils sont tous trop polis pour me le dire, et que donc je ne ferai jamais de progrès): «quelqu'un a dit que le plus important dans Proust était peut-être ce qui était contenu dans les parenthèses, donc je me suis dit, la ponctuation chez Joyce, pourquoi pas?»

A dix heures moins le quart, puis à onze, les cloches carillonneront si fort et si longtemps que nous serons obligés de fermer les fenêtres. C'est la fête nationale suisse.

Lors de ce tour de table, je découvre la diversité d'origine des intervenants (Amérique, Australie, Irlande, bien sûr, mais aussi Allemagne, Italie, Roumanie, Pologne, Hongrie).

Je découvre aussi que tous les signes typographiques qui ne sont pas des lettres ont vocation à être appelés "ponctuation": cependant Ben Jonson en exclut les apostrophes.

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Qu'est-ce que la ponctuation? donnée syntaxique, stylistique, musicale, ornementale, qui varie au cours du temps, de pays en pays, et se normalise progressivement avec la diffusion de l'écrit (Fritz Senn remarque (toutes ses remarques sont des semi-boutades: plaisanteries et pistes à explorer) que la ponctuation est née lorsque les incultes se sont mis à lire: les gens cultivés, l'élite, n'avait pas besoin de ponctuation pour comprendre un texte (Serait-ce applicable à Claude Simon?)).
Ben Jonson pensait que la ponctuation régulait le souffle et rendait la phrase plus claire: comme le pensait saint Augustin, la ponctuation était destinée à éliminer de dangereuses ambiguïtés. (In petto je me dis que cela permet aussi d'en créer…) L'une des premières grammaires anglaises parle de la ponctuation comme des articulations du corps, pour Jonson il s'agit du sang.
La ponctuation hiérarchise le sens, elle met en avant ou elle réduit en dépendance des groupes de mots par rapport à d'autres.
Si les signes de ponctuation peuvent facilement être trouvés par ordinateur, la valeur ou la fonction d'un signe de ponctuation sont de l'ordre du ressenti.

Gabler pense que Joyce utilise la ponctuation pour créer le maximum d'ambiguïtés. Cette hypothèse est peut-être valable si l'on considère la façon dont Joyce résistait aux corrections.

Sans transition, mes notes continuent par une intervention de Senn: «Joke is not democratic. If people doesn't understand it, just don't explain it.»
Fritz Senn fait remarquer que la ponctuation est le fait des imprimeurs et des correcteurs qui jouent un rôle normalisateur: «Il faut déjà avoir un nom pour pouvoir imposer sa ponctuation: The Dubliners sont encore ponctués classiquement.»

C'est la mise en page qui est invoquée quand il est fait référence aux conventions de l'écriture théâtrale dans les pièces françaises au XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle. In petto je songe à certains romans de la comtesse de Ségur (Les deux Nigauds), mais je me tais, découragée par ce qu'il faudrait expliquer en anglais. Fritz Senn va chercher La Tentation de saint Antoine, où les didascalies envahissent progressivement plusieurs pages. Bref commentaire à propos de Danis Rose, qui gomme la mise en page traditionnelle de "Circé"...

Evocation aussi des problèmes de traduction: que devient la ponctuation dans les alphabets non latins? Et que faire en espagnol, qui indique dès le début de la phrase qu'il s'agit d'une exclamation ou d'une interrogation: faut-il utiliser ces marques conventionnelles, ou les omettre, afin de respecter la surprise de la fin de la phrase prévue par l'auteur?
Hélas, je n'aurai pas les réponses à ces questions fascinantes (ou du moins les réflexions, leur expérience (il me semble que Jolanta Wawrzycka traduisait Joyce en polonais et rencontrait des problèmes particuliers que je n'ai pas bien compris)); je n'aurai pas les réponses et opinions de chacun puisque je ne resterai qu'une journée sur les cinq.
J'ai pris quelques notes, et je n'attribue pas à chacun ce qui lui revient, car mes notes sont décousues. La matinée a été consacrée à des généralités sur la ponctuation (Elizabeth Bonapfel, John Paul Riquelme, Björn Quiring). Je me souviens d'un quiproquo, un "carnivalize" compris comme "cannibalize", et qui a donné lieu à une intéressante réflexion malgré ou grâce à l'erreur d'oreille.

Nous avions été prévenus que tout était fermé à Zürich le jour de la fête nationale, certains se sont chargés de trouver du pain, il restait de la salade de pommes de terre de la veille. Fritz Senn est grand amateur d'une certaine sauce/pâte indienne, dont hélas je n'ai pas noté le nom. Sur les placards, les étagères, de toutes les pièces qui ne sont pas la bibliothèques sont affichées différentes phrases notées dans des hôtels du monde entier, phrases au sens gentiment absurde du fait d'erreurs de syntaxe (le plus souvent) ou de vocabulaire. Dans les toilettes est affichée la lettre de réclamation d'un gentleman protestant contre le départ prématuré d'un train l'ayant obligé à courir après son wagon le pantalon sur les chevilles (à peu près, je résume l'esprit).
Dans la cuisine, la conversation a roulé très naturellement sur le petit-fils, Stephen, grand empoisonneur de la vie des Joyciens.
Au hasard des conversations, j'apprends que Gabler a participé aux ateliers une année sur le thème de la musique dans Joyce, et qu'il a même chanté. «Très bien, d'ailleurs, commente Fritz Senn, ce qui n'est pas le cas de tout le monde, qui de ce fait devrait s'abstenir». (Mais la formulation anglaise était lapidaire, quelque chose comme "and therefore should not" avec conviction et un sourire invisible, je l'ai encore dans l'oreille).

Lorsque nous reprenons l'atelier, une feuille circule pour organiser la journée du mercredi («merci de noter si vous serez là, et si vous serez seul ou à deux. Et si vous choisissez le plat végétarien, merci de vous en souvenir le moment venu!»). Il est prévu une sortie sur les pas de Joyce dans Zürich (mais sa maison a été détruite), un passage au cimetière, un repas au bord du lac. Où serai-je mercredi? J'ai un pincement au cœur.

L'après-midi, Bill Brockman, spécialiste de la correspondance de Joyce, nous présente ses recherches sur la ponctuation de Joyce dans ses lettres, en partant du principe que c'est sans doute le lieu où Joyce se contraint le moins, où sa ponctuation est la plus naturelle.


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Il nous explique quelques points, par exemple que Joyce était hostile aux guillemets pour signaler les citations et aimait les tirets introduits par les Français pour signaler les dialogues.
Bill nous présente un choix de lettres à la ponctuation d'une complexité croissante. Il déchiffre les lettres devant nous, nous en donne le contexte et raconte quelques anecdotes.
J'ai noté deux phrases :
JJ à HS Weaver le 11 juillet 1924: «They set the book [Portrait of the artist] with perveted comas and I insisted to their removal…»
Fritz Senn explique que les jeux sur inverted, converted, reverted sont multiples. Par exemple, perverted Jew renvoie à converted Jew.

Le 21 octobre 1932, à propos d'une menace de chantage (mais je ne souviens pas qui à propos de quoi voulait faire chanter Joyce. Celui-ci répond): "Published and be damned". Affectionately yours. Wellington.

C'était passionnant mais j'ai écouté sans prendre beaucoup de notes. Nous nous séparons vers 17 heures («Aucune raison de prolonger la séance si nous avons dit tout ce que nous avions à dire» (FS)). J'achète des cartes postales et, après avoir un peu hésité, je me fais dédicacer Joycean Murmurs. Après tout, pourquoi pas?

mercredi 21 septembre 2011

J'ai enfin trouvé la théorie qui conforte mon art des jardins.

Visitant mon propre jardin, qui vraiment non é gran ché, une femme très aimable, mais vraiment très très très aimable — au point qu'on pouvait se demander si elle ne se moquait pas —, disait un jour:

«Et puis, quelle bonne idée d'avoir su lui laisser un air pas trop appliqué…»

Eh bien, Drachmann, je l'ai appris, et les personnes qui veillent sur sa maison (très bien), théorisent et officialisent ce point de vue, et ils en observent rigoureusement les principes, bien commodes, il est vrai, pour les paresseux. […]
[…] Pour peu qu'on n'ait pas de trop hautes et trop constantes exigences d'art («Et puis, quelle bonne idée de n'accrocher pas seulement des chefs-d'œuvre…»), la visite est délicieuse, et elle donne l'illusion de pénétrer doucement l'âme danoise. Ce n'est pas une chose aisée, Shakespeare nous l'a assez appris — et combien, en cela, cette âme est universelle.

Renaud Camus, Demeures de l'esprit - Danemark Norvège, "Villa Pax, Skagen, Jutland", pp.21-23

mardi 20 septembre 2011

Lectures et conférences obligatoires

Des inventaires après décès révèlent, tout au long du XVIIe siècle, l'indigence des bibliothèques de certains curés. En 1630, dans la pauvre chambre du curé de Dampierre (diocèse de Paris), on ne trouve que quatre volumes: le Calendrier des Bergers, un martyrologue, le Paradis des prières — recueil de méditations pour les différents moments de la journée —, et l'Estat de l'Eglise militante, ouvrage vaguement historique rédigé en 1555. En 1686 encore, la bibliothèque du curé de la Chapelle-Milon — toujours dans le diocèse de Paris — se réduit à «trois livres couverts en parchemin, l'un estant la vie des saints, l'autre la vie des saints pareil à dessus, l'autre des homélies escrites sur les évangiles, et un autre petit livre couvert de vélin et intitulé Advis et résolution théologique pour la paix de conscience».

Les séminaires contribuèrent de façon décisive à relever le niveau intellectuel du clergé: ils représentèrent, à l'âge de la Réforme catholique, une véritable «révolution ecclésiastique». […] En 1602, l'évêque de Nice ordonna à ses prêtres de posséder au moins douze ouvrages. En 1654, Godeau, évêque de Vence, donna dans ses mandements des listes de livres à lire à ses prêtres. En 1658, l'archevêque de Sens, Gondrin, demanda à ses curés de se procurer 47 ouvrages qu'ils devaient, le cas échéant, présenter lors des visites pastorales et, parmi eux, une Bible, le catéchisme romain, les Décisions du concile de Trente, la Somme de saint Thomas d'Aquin, l'Imitation, les Introductions de saint Charles Borromée aux confesseurs, et l'Introduction à la vie dévôte. […]

[…] Des «conférences ecclésiastiques» se proposèrent également de stimuler l'activité intellectuelle du bas clergé. \[...] A Angers, Mgr Le Peletier passa pour un prélat despotique parce qu'il imposa à son clergé des retraites et des «conférences» ecclésiastiques1. Mais, dans le diocèse de Paris notamment, la hiérarchie tint bon et donna aux conférences une organisation de plus en plus méthodique.

Jean Delumeau et Monique Cottret, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, (7e édition, mai 2010), p.360-361





Note
1 : Fr. Lebrun, Cérémonial (1692-1711) de R. Lehoreau, Paris, 1967, p.98

jeudi 15 septembre 2011

Julius exclusus e cœlis

J'ai "appris" "plusieurs fois" le latin, ce qui signifie en clair que je n'ai jamais su m'en dépêtrer. Mais je n'ai pas résisté à ce petit livre bleu bilingue trouvé par hasard pendant que je cherchais autre chose.

Il s'agit d'une satire nous décrivant Jules II interdit de paradis, et relatant sa longue conversation avec Saint Pierre. Elle a été publiée anonymement en 1517 (auparavant des copies manuscrites avaient circulé); elle est attribuée à Érasme. (Après lecture de la préface je dirais qu'on peut raisonnablement considérer qu'elle vient d'Érasme, mais qu'il se peut malgré tout qu'elle ait été écrite par Ulrich von Hutten, qui ne portait pas Jules II dans son cœur).

La préface de Sylvain Bluntz retrace les tribulations d'Érasme en Italie au gré des guerres papales. Elle montre la célébrité d'Érasme dans l'Europe de son temps, et reprend la démonstration qui lui attribue Julius exclusus en s'appuyant sur l'élégance de langue latine utilisée et sur divers manuscrits retrouvés parmi les papiers du philosophe (mais lui n'a jamais reconnu avoir écrit ce texte).

Érasme était un grand latiniste ainsi que nous l'explique Sylvain Bluntz en citant Stroh:
C'est un autre professeur de latin langue vivante, Wilfried Stroh1, (il présente sa bonne ville de Munich aux touristes en latin et il est présentateur d'émissions de télévision en latin) qui montre ce qu'était la maîtrise du latin d'Érasme:

«Nous faisons connaissance avec Érasme d'abord par deux livres curieux De utraque verborum ac rerum copia «L'abondance à la fois des mots et des choses», on y apprend à varier (verba) et à élargir (res) ses pensées. […] Dans la première partie, Érasme propose des exercices de latin d'une virtuosité extraordinaire, par exemple une phrase comme Semper dum vivam, tui meminero, «aussi longtemps que je vivrai, je penserai à toi», est donnée en trois cents variations. Les débutants disent par exemple: numquam, quod victurus sum, me tui capet oblivio, «jamais, aussi longtemps que je serai en vie, je ne t'oublierai»; des élèves plus avancés tenteront une expression plus rare: eadem me lux exanimem videbit, quae tui conspiciet immemorem, «Il me verra mort, le jour où je t'oublierai». Ce n'est pas seulement un jeu littéraire et intellectuel mais un entraînement sérieux qui se voulait à la pointe de l'enseignement de la langue, quel siècle!»

Sylvain Bluntz, préface à Érasme, Jules, privé de Paradis !, pp.22-23
Le texte est un dialogue entre Jules II et Saint Pierre, c'est une pièce de théâtre. Pierre décrit ce que devrait être l'Église et le Pape, pauvre au service des pauvres à l'image du Christ; Jules proteste, de bonne foi semble-t-il, il ne comprend pas comment ne pas se réjouir qu'il ait enrichi l'Église, et sa naïveté dans la brutalité contraste heureusement avec l'aspiration de Pierre à l'humilité et l'austérité.
Les notes en fin de volume permettent de suivre les allusions et de reconstituer les événements du début du XVIe siècle en Italie, mise à feu et à sang par Jules II (c'est du moins l'opinion d'Érasme, qui fait du Pape l'origine de toutes les guerres contemporaines).
Le plaisir vient de la lecture de la traduction enlevée en vis-à-vis d'un texte latin qui condense l'énergie d'une pensée ramassée:
Pierre : Mais le Christ nous a fait serviteurs, c'est lui qui est la tête, à moins qu'une seconde tête n'ait poussé. Mais qui, finalement, a donné de l'ampleur à l'Église?

Jules : Tu en viens au fait maintenant et je vais te l'expliquer. Cette Église jadis famélique et très pauvre, est aujourd'hui florissante à tous égards.

Pierre : À quels égards ? De l'ardeur de la foi?

Jules : Tu dis à nouveau des bêtises.

Pierre : De la sainte doctrine ?

Jules : Tu t'égares.

Pierre : Du mépris du monde ?

Jules : Laisse-moi te dire, je te parle de ce qui compte car tout ça, ce ne sont que paroles en l'air.

Pierre : De quoi s'agit-il alors ?

Jules : Il s'agit des palais de roi, des chevaux et des mules magnifiques, d'une domesticité nombreuse, des troupes très entraînées, d'une cour raffinée…

Génie : Des gardes redoutables, des voyous à ta botte.

Jules : … de l'or, de la pourpre, des revenus, pour que tous les rois paraissent humbles et pauvres comparés à la puissance et au faste du pontife romain. Que personne ne soit ambitieux au point de ne pas se reconnaître vaincu par Jules, que personne ne soit opulent au point de ne pas se reprocher sa frugalité, que personne n'ait tant de richesses et de revenus qu'il n'envie les nôtres. Voilà te dis-je, toutes ces choses, je les ai protégées et développées.

Pierre : Mais dis-moi, qui le premier de tous, a sali et mis en difficulté l'Église avec toutes ces paillettes alors que le Christ a voulu qu'elle fût aussi pure que simple?

Jules : Qu'est-ce que tu dis là ? Il est évident que l'essentiel, nous le contrôlons, nous le possédons, nous en jouissons.

Érasme, Jules, privé de Paradis !, pp.118 et 120

Je ne résiste pas au plaisir de donner le texte latin :
Petrus : At Christus nos ministros fecit, se caput, nisi mine secundum caput accreverit. Sed quihus tandem aucta est Ecclesia?

Iulus : Nunc ad rem accedis, itaque dicam. Illa olim famelica et pauper Ecclesia nunc adeo floret omamentis omnibus.

Petrus : Quibus? Ardore fidei?

Iulus : Rursum nugaris.

Petrus : Sacra doctrina?

Iulus : Obtundis.

Petrus : Contemptu mundi?

Iulus : Sine me dicere, veris inquam ornamentis; nam istaec verba sunt.

Petrus : Quibus igitur?

Iulus : Palatiis regalibus, equis et mulis pulcherrimis, famulitio frequentissimo, copiis instructissimis, satellitiis exquisitis,

Genius : Scortis formosissimis, lenonibus obsequentissimis.

Iulus : auro, purpura, vectigalibus, ut nullus regum non humilis ac pauper videatur si cum Romani Pontificis opibus strepituque conferatur, nemo tam anbitiosus, quin se victum agnoscat, nemo tam lautus, quin suam condemnet frugalitem, nemo tam num matus, nec faenerator, quin nostris inuideat opibus. Haec inquam ornamenta et tutatus sum et auxi.

Petrus : Sed dicito mihi, quis omnium primus istis ornamentis et inquinapit et oneravit Ecclesiam, quam Christus purissimam pariter et expeditissimam esse voluit?

Iulus : Quid istud ad rem attinet? Certe quod est caput tenemus, possidemus, fruimur; […]

Érasme, Iulius exclusus e cœlis, pp.119 et 121



Note
1 : Wilfried Stroh dans Le Latin est mort, vive le latin, traduit de l'allemand et du latin par Sylvain Bluntz et publié aux Belles Lettres en 2008 dans la collection «Le miroir des humanistes».

mercredi 7 septembre 2011

Annonces

Les jeudis de l'Oulipo

à la BNF à 19 heures.
Pizzas post-oulipiennes pour les volontaires

- 20 octobre 2011 : Ô les chœurs

- 10 Novembre 2011 : En avant la zizique (hommage à Boris Vian)

- 15 décembre 2011 : Opéra

- 12 Janvier 2012 : L'Oulipo invite l'Ousonmupo

- 9 février 2012 : BWV

- 22 mars 2012 : Couplains et refrets

- 12 avril 2012 : Morceaux en forme de poire

- 10 mai 2012 : Rock and roll

- 7 juin 2012 : Ce soir on improvise

Colloque des Invalides

Le 18 novembre, sur le thème "crimes et délits".
Blitzkrieg : cinq minutes d'exposé, et on coupe (puis on discute).

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