11 octobre

Je cherche rarement à sonder le mystère de ma paresse. Se faire des reproches n'est pas sonder. A cause de cette paresse j'ai gaspillé un trésor immense d'heures de travail. Aujourd'hui, avec une espérance de vie de huit ans et demi, il est vraisemblable que je vais continuer à le gaspiller jusqu'à la fin. Après tout, pourquoi pas? Je ne vais pas me mettre à moraliser là dessus, mais il n'est pas inutile d'y réfléchir.

Ce dont je souffre, en fait, n'est pas de paresse classique. Je ne vais pas m'étendre et somnoler sur un divan; je ne reste pas la tête vide à ne rien faire et je ne mijote pas pendant des heures dans un bain chaud pour siroter quelques verres. Toute cette inactivité aurait au moins quelque valeur sur le plan musculaire et mental. Non, ma paresse est pure crispation. Au lieu de décider soit de me reposer soit de ne faire qu'une seule chose, je n'arrive ni à travailler ni à me reposer. Par exemple, je commence à écrire sur ce livre puis j'interromps mon travail parce que je viens de me rappeler que je dois appeler quelqu'un au téléphone; puis au moment de téléphoner, je décide d'aller d'abord à la cuisine et de me faire une tasse de café; près de la porte, en passant devant la bibliothèque, je me demande quel était le nom de ce garçon employé un temps par la Hogarth Press et qui écrivit plus tard son expérience là dessus; je prends donc la biographie de Virginia Woolf de Quentin Bell et je la feuillette jusqu'au moment où je me dis que je ne suis pas assez curieux pour continuer à chercher. Je me rends alors compte que cette agitation n'aboutit à rien. Sur quoi, je me sens à la fois très mal à l'aise et indigné. Je me dis que je me conduis ainsi parce que je suis sous pression: beaucoup trop de gens m'assaillent de demandes qui sont des exigences mais aussi de compliments ou de critiques et ils espèrent que je ne vais pas les décevoir. Amors j'entre tout seul dans une colère sincère en m'apitoyant sur mon propre sort en m'écriant: «Pourquoi ne me laisse-t-on pas travailler?»

Christopher Isherwood, Octobre, p.46-47 (Rivages - 1984)