Pour Rémi.

Durant des années, lorsque j'arrivais à une fête, je savais bien que si jamais ils devaient se manifester, ce ne serait pas tout de suite, de but en blanc. J'avais beau passer des heures à jeter des regards par-ci par-là, mon radar intérieur était incapable de les distinguer. Je pouvais attendre ainsi vainement. En ma présence, ils ne se faisaient pas de signe.

Or depuis que j'ai fait mon coming out en public, beaucoup me déclarent d'emblée, avec une poignée de main complice: "J'en suis un, moi aussi."

Aujourd'hui, dès mon entrée, une flopée de gens s'agglutinent autour de moi, et j'entends fuser: "Moi aussi!", "Moi aussi!". Et je ne parle même pas des mails innombrables reçus au cours de ces dernières années et contenant des déclarations du genre: "Je me réjouis de pouvoir au moins t'écrire. Karol."

Une fois que nous nous sommes dévoilés, j'observe avec satisfaction que la bonne humeur nous gagne instantanément, tandis que nos visages se détendent. Même dans un lieu inconnu et étranger, nous ressentons une attirance mutuelle.

Et s'il nous est donné de partager notre plaisir, ne serait-ce que quelques minutes, on remarque tout de suite la passion que nous, les tchécophiles, éprouvons pour la Tchéquie.

[…] Elle constitue cette part de notre personalité qui nous fait défaut.

Mariusz Szscygieł, Chacun son paradis, p.15 (Actes Sud, 2012)