Wolfgang Hernndorf

Mercredi, Lisa lisait un gros livre, Sable. Je n'avais pas noté l'auteur très précisément, me disant qu'internet le retrouverait sans problème. Le soir venu, je cherche sur amazon.de. Impossible de mettre la main dessus, zut.

Aujourd'hui, je me suis souvenue des détails que Lisa m'avait donnés sur l'auteur: ayant appris qu'il avait un cancer, il avait produit coup sur coup quatre livres en quatre ans, alors qu'il n'en avait encore écrit qu'un avant que sa maladie ne soit diagnostiquée. Ils étaient devenus des best-sellers en Allemagne (in petto, cela m'a fait frémir: le Marc Lévy allemand?)
Il avait écrit Arbeit und Struktur, un blog dans lequel il expliquait sa façon de travailler et la discipline qu'il avait mise en place (c'est devenu un livre). Quand il s'était senti décliner, il s'était suicidé. (Tout ceci sous réserve d'inventaire, cela m'a été expliqué en allemand et je le comprends tant bien que mal).

Forte de ces souvenirs, j'ai cherché de nouveau: Wolfgang Herrndorf, Arbeit und Struktur. Et le livre, c'était Sand, j'ai dû traduire instinctivement en pensant trop à Dune pour me rendre compte de ma transcription.
Ce livre n'est pas traduit en français.


Finalement, je sens que je vais beaucoup parler des livres que je n'ai pas lus. C'est tellement plus rapide.

L'enfer, ce n'est même pas pour les autres

Claude Mauriac dîne avec son père le 3 novembre 1941.
Dîner avec papa dans le bistrot proche de chez moi, Francis. (Cette petite rue Bernard-Palissy: décor tout préparé pour jouer Molière). Puis je l'emmène au bar de la rue Champollion où il est séduit par l'animalité saine et bon enfant d'un public pittoresque.
— C'est si rare, pour un académicien, cette prise de contact directe avec un monde si différent…
Il a gardé sa rosette de commandeur de la Légion d'honneur, ce qui impressionne ce public habitué à d'autres compagnies.
Mon père dit aussi:
— En écoutant, en observant ces hommes et ces femmes, on mesure le contresens qu'il y aurait à leur appliquer les lois du christianisme. Comment ces enfants seraient-ils responsables? L'Enfer n'est que pour cinquante personnes, dont, hélas, je suis…
Je réponds qu'en raison du peu d'affluence, on renoncera à mettre l'Enfer en marche.
— Oui, dit mon père, Dieu n'allumera pas un si grand brasier pour si peu de monde…

Claude Mauriac, La terrasse de Malagar - Le Temps immobile 4, p.230 (Grasset 1977)
J'ai cité un peu longuement le passage sur l'enfer car je sais que cette idée d'un enfer économiquement non viable en amusera certains, mais ce qui m'a accrochée dans ce passage, c'est le bar de la rue Champollion.
Après tout, le principe du Temps immobile est le montage d'extraits de journaux pour montrer la permanence des thèmes et des motifs à travers les années. Je propose donc ce billet de blog d'octobre 2006 où se maintient toujours le bar de la rue Champollion.
(Et c'est alors que je regrette de ne pas avoir blogué plus tôt, avant même l'existence des blogs: je me souviens avoir ébouillanté au vin chaud ma fille de deux ans dans ce café.)

(«Livre qu'il appartiendra à chaque lecteur de compléter avec ses souvenirs personnels relayés par ses propres lectures», ibid, p.217 (mais je triche un peu, Claude Mauriac parle alors en 1957 d'un autre manuscrit, Les Barricades de Paris.))

Alibaba 27

(27) 27. — Gewiß, nimm gleich den Sattel und eile wieder fort. Schon hing dein Leben nur mehr an einem Faden, es hat große Eile, daß du dich aufs neue der Gefahr aus setzest. Nein, sei vernünftig. Wir haben ja keinen Mangel mehr; unsre erste Sorge soll jetzt sein, dieses Gold zu verscharren. Sonst wird es ein Zankapfel zwischen dir und deinem Bruder; das gibt Händel und du, guter Hammel, würdest allen Schaden davon tragen. Dein Vater allein, wenn er noch lebte, dürfte etwas davon wissen. Aber wohin vergraben wir's? fragte Alibaba, wir haben ja keinen Garten und keinen Acker.

28. — Ei, da hinter dem Ofen wollen wir unter dem Dielenboden einen kleinen Graben anbringen; da braucht's weder Kalk noch Kelle: ein Hammer, einige Nägel, und alles ist so sicher da, wie das Boot im Hafen. Gut Gedacht, erwiderte Alibaba, aber vorher müssen wir's doch zählen. — Zählen! dann bist du nicht fertig damit, bis sich morgen die Läden öffnen und die Vögel den Schnabel wieder aufsperren. Messen wir's eher. Ich laufe zum Schwager, fügte sie hinzu, indem sie einen Mantel umwarf, und komme gleich zurück.
Sie eilte hinaus nach der Klosterstraße hin, wo Kassim wohnte.

Fin de colloque

Au lieu d'aller préparer le devoir de grec de demain, je reste à discuter.
  • Roger Martin du Gard, La Gonfle, curieusement sous-titré "farce paysanne", ce qui fait un peu peur
  • Jean Giono, Le déserteur : la biographie imaginaire d'un homme véritable
  • Jean Giono, Le Hussard sur le toit, que j'ai beaucoup aimé au lycée.

Alibaba 26

(26) 24. Sie war eben damit beschäftigt, den Docht für den Abend zuzurichten. Als sie aber das Gold sah, war sie in solchen Grade betroffen, daß sie die Arme fallen ließ und keinen Laut von sich geben konnte. Ihr Puls schien zu stocken. Unglücklicher, was hast du getan? war endlich ihr erster Ruf. Welcher Unhold hat dir dazu geholfen? Ach! lieber leide ich jeden Verlust und bleibe elend alle Tage bis zu meinem letzten Hauche, als mir auch nur einen halm ungerechter Weise zuzueignen. Ist dies der Lohn eines Verbrechens, hast du vielleicht, um es zu erhalten, einen Mord begangen, weg! Besser du wärest ein Vielfraß, ein Trunkenbold un alles, als ein Dieb. Hättest du den reichsten Gehalt, wärest du ein Herzog, säßest du auf dem Throne, nie würde ich den für meinen Gemahl anerkennen, den ich als einen Schuft ansehen müßte.

25. Eher fliehe ich weit von hier, den Staub mir von den Schuhen schüttelnd, und lebe im freiwilligen banne, wo ich nur einen Hort finden mag, sei es auf einer nackten Insel, oder auf dem schroffen Gipfel der Felsen, worauf der Aar einen Ort findet zu seinem Horste… Er aber unterbrach sie lächelnd: Sprich doch nicht so, wie ein Star, ins Hundert hinein. In keinem Punkte bin ich auch nur einen Zollbreit vom rechten Pfade gewichen. Du sprichst von Mord, aber ich selbst war nie dem Tod so nahe. Schon glaubte ich den Knall der Flinte, das Zischen des Schrotes oder der Kugel zu hören. Huften, niesen, ein Ruck, und vierzig Dolche durchbohrten mich, mein Leichnam lag auf dem Sande, zerquetscht und zermalmt unter dem Hufe der Pferde.

26. Jetzt erzählte er von jenem Reitertrupp, von dem glücklichen Erfolg seines Besuches an dem Ort ihres Aufenthaltes, woran man, wäre man auch ein Luchs, nicht den geringsten Spalt entdecken könnte, den man auswendig für den Wohnungsort der Molche und Kröten ansehen sollte, inwendig aber schöner aussehe als der herrlichste Dom, worin jene Hunde mehr verborgen lebten als der Dachs in seinem Bau, und nicht nur Gold und Edelsteine, sondern allerlei kostbare Stoffe versteckt hielten. Du kannst dir wohl denken, setzte er hinzu, daß ich mir nur einen sehr kleinen Part herausgenommen habe. Den Leich und den Weiher sischt man nicht auf einmal aus. Findet man aber im Wasser eine Menge verschiedener Fische, Aale, Barsche, Salme, Lachsforellen und so fort, so finden wir dort eine eben so große Verschiedenheit von schönen Dingen, wann wir bald wieder das Retz auswerfen.

RIP Jean Fabre, fondateur de l'Ecole des Loisirs

Voir ici.

J'ai découvert cette maison d'édition aux alentours de 1993, quand la société où je travaillais a emménageé au dos de la bibliothèque de Levallois-Perret. A l'époque je ne lisais plus (comprendre: "plus rien de sérieux"), je feuilletais ce qu'il y avait sur les tables de présentation, j'emportais des policiers. Les bibliothécaires effectuaient un remarquable travail de sélection, je me souviens d'un livre de pâtisserie par Hermé (un "beau" livre) et d'un livre sur les énoncés des exercices de mathématiques en primaire dans les années 30 en Allemagne (qui revenaient assez souvent à calculer combien de kilos de patates mangeait un Juif en un an. J'ai compris alors ce qu'était l'endoctrinement).

Les livre de L'Ecole des loisirs, ce sont dans mon souvenir des livres "engagés" sur des sujets politiques, leurs conséquences sur le quotidien racontées du point de vue d'un enfant: je me souviens d'un livre sur la ségrégation aux Etats-Unis, un sur la guerre en Irlande, un sur une famille juive fuyant dans la campagne hollandaise, un sur l'homosexualité (Les lettres de mon petit frère de Chris Donner)…

Ce sont trois noms: Marie-Aude Murail (Le Hollandais sans peine, la série des Emilien, le grand cœur un peu nunuche, etc), Anne Fine (ce qui m'amènera à lire ses livres pour adultes aux éditions de l'Olivier (souvent atroces: Un bonheur mortel, Une sale rumeur), le premier de la liste étant Les confessions de Victoria Plum, dans lequel doit se trouver la remarque qu'un divorce, c'est la mort de toutes les private jokes qui ne sont plus rien dès que l'autre n'est plus là pour s'en souvenir avec vous)) et Robert Cormier, avec La guerre des chocolats et Après la guerre des chocolats, et surtout L'Eclipse, un formidable (comprendre effrayant) livre de SF écrit par un garçon qui découvre qu'un homme de sa famille par génération peut devenir invisible, et que c'est lui qui a hérité du don.

Comptent tout particulièrement le tendre Embrasser une fille qui fume et Toutes les créatures du bon Dieu de James Herriot (dont j'ai eu la surprise de découvrir en lisant Les demeures de l'esprit, Grande-Bretagne, Irlande II qu'il était une star en Grande-Bretagne).

Etrangement (ou pas), mes préférés dans cette liste sont épuisés et très difficiles à trouver.

Alibaba 25

(25) 22. Kaum hatte er gesagt: öffne dich, Sesame! da tat sich ein schmaler Gang auf, in den er zagend auf den Zehen hinein ging. Er hatte sich diese Höhle vorgestellt, als wäre sie düster wie ein Schacht und feucht wie ein sumpfiger Morast, für Frösche und Eidechsen ein trefflicher Wohnplatz. Wie erstaunte er, als er einen geräumigen, netten, sehr hellen Saal sah, ohne erraten zu können, durch welche Kanalë das Licht hereinströmte! Hätte ihn der Zufall in den Palast geführt, wann der König, von Marschällen, Seneschällen, Vögten, Generälen und von seinem ganzen Hofe begleitet, seinen Einzug hält; oder in die Sankt-Peterskirche zu Rom, wann der Papst, von Kardinälen, Erzbischöfen, Bischöfen, Äbten und Kaplänen umgeben, in der Karwoche, an Ostern, Pfingsten oder Weihnachten am Altar steht, während die harmonischen Töne der Orgel die Choräle begleiten, nein, dieses hätte keinen so tiefen Eindruck auf ihn gemacht.

23. Er gaffte alles an und stand wie an diesen Platz gebannt. Als er wieder zu sich kam, machte er einen Schrank auf; er enthielt Säcke, die aufeinander geschichtet lagen und die voll Schätze waren. Er nahm einige davon, lud sie auf seinen Esel, zog ihn am Zaum schnell fort, ihn mit einer Gerte peitschend, ohne daß das arme Tier sich diese Schläge und die ungewohnte Hastigkeit seines Meisters zu erklären wußte; keuchend kam er heim, trug die Säcke hinein und schüttete sie zu den Füßen seiner Frau aus, die zuerst gemeint hatte, die Säcke seien voll Späne.

La religion comme terreur : Epicure

C'est en cherchant comment éviter la peur qu'Epicure fut conduit à la philosophie théorique. Il soutenait que les deux grandes sources de la peur étaient la religion et la terreur de la mort qui étaient liées puisque la religion encourage la croyance que les morts sont malheureux. Il rechercha donc une métaphysique qui prouverait que les dieux ne se mêlent pas des affaires humaines et que l'âme périt avec le corps. La plupart des hommes modernes pensent à la religion comme à une consolation mais, pour Epicure, c'était le contraire. Le surnatuel intervenant dans le cours naturel des choses lui paraissait une source de terreur et il considérait l'immortalité comme fatale à l'espoir d'être soulagé de la souffrance.
[…]
La haine de la religion exprimée par Epicure et Lucrèce n'est pas très aisée à comprendre si l'on fait crédit aux rapports conventionnels qui insistent sur l'allégresse qui émanait de la religion et des rites grecs. […]
Jane Harrisson a montré d'une manière convaincante que les Grecs avaient, à côté du culte officiel rendu à Zeus et à sa famille, d'autres croyances plus primitives et plus ou moins associées à des rites barbares. Ceux-ci furent en partie incorporés dans l'orphisme qui devint la religion dominante des hommes de tempérament religieux. On a parfois supposé que l'Enfer était une invention chrétienne, mais c'est une erreur. Le christianisme n'a fait que systématiser les croyances populaires. Dès le début de la République de Platon il est visible que la crainte de la punition après la mort était déjà communément ressentie à Athènes au Ve siècle, et il n'est guère probable qu'elle ait pu diminuer dans l'intervalle qui sépare Socrate d'Epicure. […] Pour ma part, je crois que la littérature et l'art grecs donnent une fausse idée des croyances populaires. Que saurions-nous du méthodisme de la fin du XVIIIe si aucune relation de cette époque ne nous était parvenue en dehors des livres et des descriptions émanant des classes cultivées? L'influence du méthodisme, comme celle de la religion de l'âge hellénistique, s'est développée par le bas. Il était déjà puissant au temps de Boswell et de Sir Joshua Reynolds et pourtant les allusions qu'ils en font ne rendent pas compte de l'étendue de son influence. Nous ne devons donc pas juger de la religion de la masse en Grèce, d'après les descriptions que nous en trouvons dans l'Urne grecque ou d'après les œuvres des poètes et des philosophes de l'aristocratie. Epicure n'était pas un aristocrate, ni de naissance, ni dans ses amitiés; peut-être ce fait explique-t-il son hostilité exceptionnelle contre la religion.

C'est grâce aux poèmes de Lucrèce que la philosophie d'Epicure a été révélée aux lecteurs depuis la Renaissance. Ce qui a le plus impressionnés, du moins ceux d'entre eux qui n'étaient pas philosophes de profession, c'est le contraste qu'ils présentent avec la croyance chrétienne sur le matérialisme, la négation de la Providence, le rejet de l'immortalité. Ce qui frappe surtout le lecteur moderne c'est le fait que ces idées, qui sont à présent généralement regardées comme tristes et déprimantes, ont pu être présentées alors comme un évangile de libération, le salut devant le pesant fardeau de la peur.

Bertrand Russel, Histoire de la philosophie occidentale, p.302-304 tome 1 (Les Belles Lettres 2011)

Les livres viennent d'eux-mêmes

C'est ce que m'a dit un jour "lecteur". Il m'expliquait qu'il n'achetait pas de livre, que les gens sachant qu'il s'intéressait aux livres l'en lui amenaient.
Depuis qu'il m'a dit cela, j'ai souvent eu l'occasion de constater le phénomène. En l'occurrence il s'agit de doubles d'une bibliothèque (mais pas que). Ils sentent l'odeur des vieux livres humides:
  • Jean Giono, Mort d'un personnage dans une très jolie collection, "La petite Ourse"
  • («Tu ne connais pas? C'était une maison d'édition suisse dans les années 60, elle n'existe plus».)
    En le feuilletant ce soir, je m'aperçois que c'est un exemplaire numéroté.

  • Jean Giono, Les Grands Chemins dans la collection Soleil de Gallimard
  • — Ah, j'adore cette collection.
    — Tu sais comment ils s'en sont débarrassé? Quand tu [un libraire] commandais deux livres de la collection blanche, ils t'envoyaient un exemplaire de la collection Soleil pour un centime. Tu pouvais en faire ce que tu voulais, le vendre ou le garder pour toi.

  • Jean Giono, L'Iris de Suse
  • — C'est le dernier publié de son vivant.

  • Jean Giono, Faust au village, collection blanche avec jaquette
  • Il y a longtemps il fut cité de mémoire après un excellent repas.

  • Jean Giono, Voyage en Italie
  • — Tu vois, c'est un petit livre, pas son meilleur… Mais franchement, à côté de La Modification

  • Julien Green, Terre lointaine
  • parce que malgré notre chagrin, nous ne cesserons jamais d'être camusiens.

  • Julien Gracq, La littérature à l'estomac
  • dans l'édition "papier kraft" de Pauvert (Libertés). J'aime beaucoup son format, sa mise en page. J'en possède deux autres, Contre Celse et L'Antéchrist.

Les suivants me sont tendus avec le commentaire: «Ceux-là viennent de Nantes». Je n'ai pas compris s'il s'agissait de Jean ou de la vente paroissiale de novembre.
  • Georges Casalis, Luther et l'Eglise confessante
  • ce qui me fait penser que j'ai été choquée de voir que la traduction de bekannte Kirche n'était pas connue du traducteur de Ma vie en Allemagne avant et après 1933 (Löwith).

  • Louis Hurault, Guide Terre Sainte, routes bibliques, les chemins de la parole
  • — Tu es sûr que tu ne veux pas le garder?
    — Le premier qui ira à Jérusalem l'empruntera à l'autre.
    (Et je me dis que cela me sera utile pour Clarel.)

Tout ce qui est or ne brille pas




source.

Souvent je pense à cette autre phrase tirée du même poème: "tout ce qui est or ne brille pas".
All that is gold does not glitter,
Not all those who wander are lost;
The old that is strong does not wither,
Deep roots are not reached by the frost.

From the ashes a fire shall be woken,
A light from the shadows shall spring;
Renewed shall be blade that was broken,
The crownless again shall be king.

J.R.R. Tolkien, The Lord of the Rings
Tout ce qui est or ne brille pas,
Tous ceux qui errent ne sont pas perdus ;
Le vieillard endurant ne se recroqueville pas,
Les racines profondes ne sont pas atteintes par le gel.

Des cendres sera éveillé un feu,
Une lumière des ténèbres jaillira ;
Trempée à neuf sera la lame qui était brisée,
Le sans couronne sera de nouveau roi.

J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des anneaux

Calvin et Carol Wojtyla

Je passe à la bibliothèque rendre des livre en me promettant de ne pas en reprendre.

Je repars avec Une amitié qui a changé l'histoire, Jean-Paul II et son ami juif de Jerzy Kluger et Calvin insolite pour Patrick, les actes d'un colloque qui s'est tenu à Florence en 2009.

Ce dernier livre est très lourd, mais Patrick n'aura pas tout à lire: une bonne partie des interventions est en italien. En le feuilletant, j'ai la surprise de découvrir le nom de Franck Lestringant qui intervient avec un article intitulé "Calvin, personnage de la Mappe-Monde Nouvelle Papistique (Genève, 1566).

Je lis l'autre livre en diagonale pendant mon trajet de retour. L'écriture est fade, mais l'histoire pleine de rebondissements: comme toutes les vies des survivants qui ne sont pas passés dans les camps sont rocambolesques, pleines de voyages et de détours inattendus! Jerzy Kluger était le meilleur ami de Karol Wojtila à l'école primaire et au collège à Cracovie, ils sont séparés après le bac (l'équivalent du bac) au moment où la guerre se rapprochait. Les hommes de la famille ont fui devant les nazis, laissant les femmes derrière eux («les femmes ne craignent rien, ils ne s'en prendront pas aux femmes»). Jerzy Kluger a passé plusieurs mois en Sibérie, est devenu soldat dans l'armée rouge, s'est marié en Egypte avec une Irlandaise catholique, a combatu en Italie et après avoir appris que sa famille avait été exterminée en Pologne, s'est installé à Rome.

Le récit d'une vie permet de mieux rendre compte de la simultanéité des événements que les approches thématiques, je n'avais pas pris conscience de la proximité temporelle de la construction du mur du Berlin et de l'annonce du concile Vatican II.

Tout le monde ne souhaitait pas la tenue de Vatican II. Bon nombre des pères du concile s'y étaient opposés dès le départ, disant qu'il n'était pas nécessaire de réunir un concile œcuménique avant qu'un siècle se soit écoulé depuis le premier concile du Vatican. Le pape Pie IX avait convoqué Vatican I en 1868, concile dont l'un des résultats avait été le dogme de l'infaillibilité pontificale en matière de foi et de morale. Quand Jean XXIII mourut en 1963, moins d'un an après l'ouverture du concile, ses opposants réclamèrent que celui-ci soit dissous. Mais le nouvel évêque de Rome, le pape Paul VI, s'y opposa, disant que les «fenêtres devaient s'ouvrir pour laisser un air nouveau entrer dans l'Eglise». (Phrase que ne manque jamais de citer notre professeur de synoptiques quand nous aérons la salle de cours, me rappelant Mauriac citant invariablement Jammes le jour de Pâques.)

La troisième session de Vatican II était en cours, et l'article qui avait attiré l'attention de Kurt rapportait le discours d'un jeune archevêque polonais, d'une teneur très différente de ce qui avait été dit jusqu'alors. Alors que les autres pères du concile ne voulaient prêcher l'Evangile qu'aux fidèles et s'opposaient à tout changement, le jeune archevêque proclamait que l'Eglise devait s'ouvrir aux pays athées et commnunistes.

— Il est courageux, cet archevêque polonais, commenta Kurt tout en lisant, mais cela m'étonnerait qu'on l'écoute.
— Comment le sais-tu? demandai-je.
— Simple question de bon sens. Il est polonais et progressiste!
—Quelle différence?
J'étais un peu perdu.
— La curie romaine est conservatrice et traditionnaliste, et elle fera tout ce qu'elle peut pour bloquer certaines réformes.
— Mais ce sont les évêques du concile qui décideront, pas la curie. Et ils sont des milliers, venus du monde entier.
— Ouais, ouais.
Kurt était sûr de lui.
— Mais tu vas voir. Les conservateurs se lèveront de leur siège —et ils ont les meilleurs de la maison—, et c'est qu'ils savent parler, ces théologiens, ces prêcheurs, ces types respectables habitués à se la couler douce à l'évêché! Ils arriveront à convaincre tout le monde que le changement, l'innovation, l'ouverture au monde, tout cela ce n'est que billevesées, et que les seuls enseignements valides sont ceux qui sont établis de longue date. Y compris celui qui dit que le pape n'a jamais tort. Tu verras, ce concile sera exactement comme les autres.
Je restai silencieux un instant, bien près de partager le pessimisme de mon ami. Puis je dis:
— Tu as peut-être raison, mais est cet archevêque polonais dont tu me parlais? Comment s'appelle-t-il?
Kurt rouvrit le journal.
— Karol Wojtyla.

Jerzy Kluger, Une amitié qui a changé l'histoire, Jean-Paul II et son ami juif, p94-95 éd Salvator, 2013
Kluger téléphone à tous les couvents de Rome jusqu'à retrouver son ami qui le croyait mort.

Le reste est le déroulé des conséquences politiques de cette amitié, déroulé vu de l'intérieur de cette amitié: pélerinages du pape à Auschwitz et Jérusalem, reconnaissance par le Vatican de l'Etat d'Israël, visite de la synagogue de Rome, etc.


Note pour mémoire : ajouter une citation du journal de Congar

Le dernier des injustes de Claude Lanzmann

Serge en avait dit du bien, Marie déteste Lanzmann, et moi j'ai le plus grand respect pour Shoah (qui est aussi une douleur pour des raisons personnelles).

Je suis donc allée voir Le dernier des injustes. C'est un film poignant, pas uniquement parce qu'il raconte l'histoire de Murmelstein et de Theresienstadt, mais parce qu'il met en scène le temps qui passe à l'échelle humaine, le Lanzmann de 2012 conversant avec le Lanzmann de 1980. Le temps devient visible, nous le contemplons dans le miroir de la caméra, et ce n'est sans doute pas le moindre mérite du film de nous faire ressentir quasi physiquement, matériellement, tout ce que nous aurions perdu si Claude Lanzmann n'avait pas mené à bien son projet dans les années 70, projet qui a abouti à Shoah.

Le vide. C'est le mot qui me vient à l'esprit quand je pense à ce film. Vide laissé par les personnages manquants, les témoins à interroger qui ne sont pas là — mais où sont-ils?
Ils sont morts, et l'on regarde les cheveux blancs de Lanzmann, sa voix traînante quand il lit les premières feuilles de son texte sur le quai de la gare de Theresienstadt (je ne suis plus si sûre que c'était cette gare), son pas lourd quand il gravit interminablement les escaliers d'une des grandes bâtisses de la ville "offerte aux Juifs" en nous racontant les vieillards jetés ici sous les toits, devant descendre et remonter dans le noir pour trouver un peu d'eau ou des latrines, désorientés et ne retrouvant plus leur bâtiment…
Et si Murmelstein fut le dernier des injustes, ou plus exactement le seul doyen de ghetto qui ait survécu à la guerre, Lanzmann est le dernier des témoins: il n'y a plus que lui désormais, tous les hommes qu'il a filmés sont morts un à un, il est le dernier écho, il marche devant la caméra, il tient la caméra, il est le dernier, il est seul, et déjà il n'est presque plus là, il est en train de s'effacer, là, devant les murs de la forteresse, tandis qu'il lit.

Il y a l'histoire de Murmelstein et il y a l'histoire de Therensienstadt, et la façon dont l'un finit par se confondre avec l'autre, aboutissant à l'aveu: «Je savais que je vivrais tant que vivrait le ghetto». Et donc Murmelstein a tout fait pour que vive Theresienstadt. Ce "donc" est-il de trop? En aurait-il fait autant si sa vie n'en avait pas dépendu? A l'inverse, en a-t-il fait trop justement pour protéger sa vie? Et de quel droit juger, nous qui sommes assis dans des fauteuils de spectateurs cinquante ou soixante ans après, et surtout, avec quels éléments?

C'est ce que nous propose Lanzmann: nous donner des éléments pour juger — à cela près que les éléments ne peuvent être présentés de façon neutre et que le spectateur sait qu'ils sont présentés dans un sens à décharge.
Comment le sait-il? Je ne me souviens plus, il me semble que je le savais par les quelques lignes que j'avais lu sur le film avant d'entrer dans la salle. Peut-être aussi étais-je favorablement influencé dans ce que j'avais lu dans Hilberg (La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, 1988), la position impossible des "doyens" des ghettos, placés "entre le marteau et l'enclume", selon les termes de Murmelstein. Je conservais le souvenir du suicide d'Adam Czerniaków; il me semblait que tous les doyens avaient fini par mourir en se suicidant ou en accompagnant un convoi d'orphelins, quand ils se résignaient enfin à ne rien pouvoir faire pour sauver les enfants (la grande obsession semble d'avoir été de sauver les enfants: en cela Murmelstein diffère, son obsession était de protéger les vieillards). J'avais oublié des figures comme le "roi" du ghetto de Lodz. (Récit de Murmelstein: «Il [un Allemand] m'a demandé: "Ça ne vous plairait pas d'être le roi des Juifs?" J'ai répondu que le dernier avait fini sur une croix, il n'a pas compris.»)

Lanzmann raconte, mais il y a des manques. On sait bien, si on a vu Shoah, que vingt ou trente ans plus tôt, qu'il serait parti à la recherche de témoins, de contradicteurs, qu'il aurait essayé de trouver des preuves "vivantes" de ce que raconte Murmelstein.
Mais il est trop tard, il ne reste que les kilomètres de bobine à monter.

Alibaba 24

(24) 21. Die rauhen Äfte der Eiche machten ihm ein Bett, das am Ende sehr unbequem wurde. Doch wartete er noch, bis er sie ganz aus den Augen verloren hatte und sein Ohr nur noch das Surren der Insekten vernahm. Dann rutschte er behutsam herab. Als er einmal herunter war und weder ihre Augen noch ihre Pistolen mehr zu fürchten hatte: Ei, dachte er, wenn ich es einmal versuchte, da hinein zu gehen! Gewiß waren diese Heiden nicht da, um Mineralien und Fossilien aufzusuchen. Ein anderes Interesse leitet sie, als solche Studien. Sie haben vielmehr Kleinodien, Juwelen und der gleichen darin versteckt. Wie viele Kapitalien vielleicht liegen unfruchtbar da aufgehäuft! Und ich kenne kein Statut, das sie hinderte, einem armen Tropf zu dienen, der Kaum ein Hemd hat, seine Blöße zu decken.
Les billets et commentaires du blog vehesse.free.fr sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.