J'aime l'amphibologie du mot "reconnaissance".
Ce matin, tombée sur quelques lignes qui résonnent avec certaine rumination camusienne. (Peut-on résonner avec une rumination? Hum…)
Camp-Long, jeudi 20 août 1959
[…]
Mon Dîner en ville dans toutes les librairies: 12e mille. Une pile de 7e remarquée lors de mon dernier passage a été remplacée (à deux tirages près par autant d'exemplaires du dernier tirage. Comment (et pourquoi?) cacherais-je ma satisfaction? Lu dans le dernier livre de Blanchot:

Les lecteurs sans indulgence risquent dêtre irrités en voyant cette Virginia Woolf qu'ils aiment, si éprise de succès, si heureuse des louanges, si vaine d'être un instant reconnue, si blessée de ne l'être pas. Oui, cela est surprenant, douloureux et presque incompréhensible. Il y a quelque chose d'énigmatique dans ces rapports faussés qui mettent un écrivain d'une telle délicatesse dans une dépendance si grossière. Et chaque fois, à chaque nouveau livre, la comédie, la tragédie est la même…

Toutes proportions gardées, je suis pareil et ne réussis pas à en avoir honte (si je n'ignore point le ridicule apparent, pour des tiers, d'une telle attitude). J'en ai souvent donné ici la raison: c'est parce que nous avons un irrémédiable complexe non seulement d'infériorité mais même d'inexistence…
Et cela me remet en mémoire ces paroles de mon père au sujet de maman:
— Elle m'écrit des lettres si gentilles. […] le vrai est que nous avons tous un complexe d'infériorité, que nous ne pouvons nous croire aimés. […]

Claude Mauriac, La Terrasse de Malagar - le temps immobile 4, p.441-442 (Grasset 1977)