Vivre

Il consacra ainsi son testament philosophique à Paul Valéry […]. Dans les remarques et dans les vers de ce «penseur sans foi», Löwith avait vu le reflet de sa propre image et, au-delà, le doute qu'il avait élu, depuis toujours peut-être, comme l'étoile polaire de sa recherche. Il avait trouvé chez Valéry cette question qui […] aurait pu lui servir d'emblème: «Est-il possible de vivre et d'agir humainement sans croire à quelque choses et espérer en quelque chose?1».

Préface de Enrico Donaggio à Max Weber et Karl Marx de Karl Löwith (1932), p.23 - traduction de Marianne Dautrey - Payot 2009.



1 : K. Löwith, Paul Valéry. Grundzüge seines philosophischen Denkens, in Sämtliche Schriften, vol. IX metzler, Stuttgart, 1986, p309.

Tabish Khair - How to fight Islamic Terror from the Missionary Position

Comment combattre la terreur islamique à partir de la position du missionnaire. Envoyé par Guillaume.
Ce titre est malgré tout plus réservé que le livre de la fille de Milena Jesenska, Pas dans le cul aujourd'hui.

Tabish Khair est indien et vit au Danemark.
J'ai l'impression que les Anglais translittèrent en Khair et les Français en Kair.
Le reste: à suivre.

L'exigence du jour

13. L'expression est tirée des Années de voyage de Wilhem Meister de Goethe: «Quel est ton devoir? L'exigence du jour.» Si, dans le roman de Goethe, cette réplique avait le sens d'un renoncement, elle est devenue l'expression d'un établissement dans un mode de vie bourgeois mettant fin à l'errance des années d'apprentissage (N.d.T.)

Karl Löwith, Max Weber et Karl Marx, 1932, p.98 dans l'édition Payot (2009).
La traductrice est Marianne Dautrey.

Les intellectuels ont toujours été contre la France

Je mets alors la conversation sur le prestige dont bénéficie actuellement le communisme chez les intellectuels. Je ne parle pas des petits combinards, et autres calculateurs, mais des esprits droits. «Les intellectuels français ont toujours trahi la France», me répond le général de Gaulle, qui me cite deux textes incroyables de Voltaire adressés à Frédéric II après Rossbach — où l'on voit le cul des Français rimer avec vaincu, et l'inhabileté au combat des mêmes Français opposée à leur science du pillage. Tout cela cité impeccablement, chaque mot scandé, lancé comme un soufflet:
Vous n'avez qu'à y réfléchir: les intellectuels ont roujours pris parti contre la France.
J'invoque le Maurras d'autrefois, à l'époque où c'était l'Action française qui polarisait autour d'elle toutes les intelligences, même celles des partis adverses. Et à mon grand étonnement, de Gaulle dit:
— Mais Maurras était aussi contre la France. Contre la France de son temps.
Ce qui est bien mon opinion et je me réjouis de la lui voir partager, contre toute attente. Je songe qu'en s'opposant si violemment aux partis, il risque lui aussi de prendre parti contre la France de son temps. Je dis seulement:
— Là réside précisément tout le problème. Les pires ennemis de la France ont souvent cru la servir. Ils aimaient une France de leur goût; il reconnaissaient à cette seule entité le nom de France et ne croyaient pas trahir en combattant l'autre, la vraie…

Claude Mauriac, Aimer de Gaulle, p.345 - Grasset, 1978

Récits d'un jeune médecin, de Mikhaïl Boulgakov

Pour qui ignore ce qu'est un voyage à travers les chemins de campagne les plus reculés, il est inutile d'en entendre le récit : de toute façon, il ne comprendrait pas. Quant à celui qui sait de quoi il s'agit, je ne tiens pas à le lui rappeler.

Mikhaïl Boulgakov, Récits d'un jeune médecin, incipit, Seuil 1986.
Cet ouvrage, hors commerce, vous est offert par votre libraire pour tout achat de trois volumes des collections "Points".

Asensio condamné en appel

Concernant la plainte au pénal, Juan Asensio a vu sa peine confirmée en appel. Les dommages et intérêts sont plus faibles qu'en première instance, sans doute pour tenir compte de sa situation financière.

Comment évoquer ce que j'en pense, ce sentiment doux-amer de savoir qu'il est puni mais qu'il n'a pas compris ce qu'on lui reprochait, et que sans doute il se sent victime d'un monde injuste; ou qu'à l'inverse, il a parfaitement compris et qu'il était temps qu'il soit enfin rattrapé par ses actes.
Comment savoir?

Une chose est certaine, il n'hésitera jamais à harceler toute personne en position de faiblesse, affective ou sociale (comme Renaud Camus fragilisé socialement par sa condamnation pour incitation à la haine raciale, Renaud Camus que JA poursuit d'une vindicte maladive sur twitter, comme s'il n'avait rien d'autre à faire. Sans doute n'a-t-il rien d'autre à faire).

Album de Marie-Hélène Lafon

J'ai donc lu ce livre offert, rapidement, en une journée. Il s'agit presque, ou peut-être (je n'ai jamais été très sûre de la définition de ce genre) de poèmes en prose, de poèmes prosaïques, donc, un hommage au Cantal, aux champs, aux vaches, aux maisons, aux gens, un chant d'amour non dépourvu d'humour et de pointes aiguisées à l'occasion.

Qui sont les lecteurs de Marie-Hélène Lafon ? En moi elle touche directement des souvenirs d'enfance (l'odeur des vaches, le bruit des bidons de lait), combien sommes-nous encore à avoir de tels souvenirs? Mais ce ne sont pas des souvenirs qu'elle raconte, c'est bien une campagne contemporaine que nous, citadins, pensons disparue et qui subsiste. C'est une idée qui réconforte et console.

Bottes

Les bottes jonchent. Le carrelage du couloir, le pavé de l'étable de part et d'autre de la porte qui donne sur la cuisine, le plancher de la grange, à gauche contre le mur avant l'armoire aux outils, ou, dans les cas d'urgence et par temps sec, le seuil cimenté de la maison; et leurs semelle épaisses creusées de nervures géométriques plus ou moins garnies de matière s'offrent à tous les regards.

Elles sont volontiers vertes, d'un vert modeste et contrit, ou rousses, voire cuivrées, façon vache salers; elles ne sont pas noires, ni bleues, on n'est pas au bord de la mer, on n'est pas au manège, on vient de l'étable, on y va, on y retourne; les bottes agricoles sont d'abord faites pour ça, pour le fumier, le lisier, la merde dans tous ses états, solide, liquide, grasse, grumeleuse, comptacte, en croûte, en ruisseaux, en flaques étales; les bottes sont faites pour la bouse dont elles se rient, retrouvant leur virginité au premier coup de brosse sous le jet d'eau ou en trois pas dans le mouillé de l'herbe.

Les bottes connaissent le terrain et toisent les chemins, on ne la leur fait pas. Elles garderont les pieds au propre, au sec, et au chaud si l'on a su se munir de ces chaussons pointus de laine chinée portés sur la chaussette et achetés en lots de trois paires au marché du mercredi depuis que plus personne n'est là pour les tricoter. On ne sait pas dans quelle partie du monde les chaussons sont fabriqués, on les suppose chinois ou portugais mais ils sont solides aussi, même s'ils tiennent moins bien les reprises; et pour la chaleur, franchement, si on n'avait pas su, on n'aurait pas vu la différence.

Les normes d'hygiène instaurées pour la fabrication du fromage fermier ont imposé l'usage de bottes blanches réservées à la laiterie et qui sont vendues à prix d'or à la Coopérative agricole ou chez Gamm Vert; elles jonchent non moins le vertibule réglementaire, dûment carrelé, où l'on chausse, déchausse, rechausse, en grommelant d'abondance. Elles déchoiront, vaincues, recyclées en bottes à tout, blafardes et maculées.

La botte prend parfois du galon, s'embourgeoise à la solognote ou à l'anglaise, façon gentleman-farmer, et s'affiche dans des vitrines cossues, et s'agrémente en sa partie supérieure d'une ganse décorative ou d'une sorte de bourrelet technique qui moule le mollet; et de flirter alors avec la chasse, la pêche, le loisir sportif: et de jouer les mijaurées de salon en présence de sa cousine paysanne, crottée, vaillante, sans ambages et rétive aux ronds de jambe.

La botte se porte toute l'année, à toute heure, en toute saison, on pourrait ne pas la quitter, on la regrette parfois, on s'y résigne, on y étouffe, on renâcle, on la trahit pour le bottillon court qui se révèle insuffisant, même au jardin, finalement on y revient, on la retouve et elle s'impose, elle triomphe, l'air de rien, modeste et indispensable.

Le capiton intérieur de la botte, doux, spongieux, voire pelucheux, s'effleure du bout des doigts si d'aventure il faut procéder à l'extraction d'une chaussette encalminée ou d'un quelconque corps étranger, bille, bout de bois, caillou, allumette, dont on se demande bien comment il a pu s'introduire en ce tréfonds. Retournée, empoignée, secouée sans ménagements, la botte garnie peut aussi se déverser sur le carrelage, elle n'en reprendra pas moins du service à la première occasion. Elle est sans rancune et, bonne fille, supportera les effusions pointues du jeune chien qui l'abandonnera, éreintée et orpheline de sa pareille, sous le tas de bois ou au fond du garage.

Amputée de sa tige, elle finira en galoche de jardin, soucieuse encore de bien servir, toute honte bue.

Marie-Hélène Lafon, Album, p.21 - Buchet-Chastel 2012

Autobiographie romancée, autobiographie romanesque

Pierrot le fou à la télévision. Anna Karina dit: «Je rêve que la vie soit comme les romans: logique, claire, organisée…» C'est ce que font de leur vie les auteurs d'autobiographies. Une autobiographie romancée est impardonnable, une autobiographie romanesque est inévitable. J'ai composé un roman avec ce que les universitaires et critiques s'entêtent à appeler mes «mémoires» ou mes souvenirs.

Claude Mauriac, Le rire des pères dans les yeux des enfants, p.474 - Grasset 1981
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